dimanche 25 mars 2018

Touite et miséricorde

Curieuse aura que celle des basiliques ou des cathédrales : les auteurs de manifestations déplacées de tout genre semblent attirés par elles comme par des aimants. De temps à autre y pénètrent, pour en perturber la vie, des fous, des bouffeurs de curé, des néopaïens suicidaires, des intégristes mécontents… On peut même y rencontrer des militants de gauche empêchant par leur bruit qu’une messe soit célébrée, comme ce fut le cas un dimanche récent à Saint-Denis. Accompagnés de quelques migrants dont ils disaient vouloir défendre les droits, ces militants ont cru opportun de prendre une église pour une tribune.
Ce genre d’événement – parfaitement regrettable – n’a pas manqué, on l’aura deviné, de provoquer une de ces vaines querelles dont notre époque a le privilège, menée comme il se doit à coups de touites. A droite, et surtout très à droite, on s’est étouffé d’indignation : « En appelant des migrants à profaner la basilique Saint-Denis, nécropole de nos rois, "La France Insoumise" et l’extrême-gauche démontrent que, dans leur folie immigrationniste, ils sont prêts à piétiner notre civilisation et à profaner un lieu de culte historique », a touité Mme Marine Le Pen. A gauche, très à gauche, on s’est justifié en prétendant qu’envahir une basilique avant la messe va dans le sens de ce que prône l’Eglise en matière d’accueil des étrangers : « J’assume d’avoir soutenu cette occupation sans irrespect ni violence de sans-papiers qui ont rappelé symboliquement qu’une église était du côté du droit d’asile et des plus démunis », a touité M. Éric Coquerel, député « France insoumise ».
Passons sur le fait que M. Coquerel confonde une église et l’Eglise. En ces temps de désert spirituel… Disons que l’Eglise est favorable à l’accueil des personnes et que la basilique Saint Denis est une église qui est du côté de Saint-Denis.
Soyons bref, aussi, sur l’emploi – peut-être abusif – du mot profanation par les chantres de la France éternelle-et-très-chrétienne dont certains ne s’étaient pas autant indignés au moment du suicide du pauvre Dominique Venner devant un autel de Notre-Dame de Paris, geste qui lui était indéniablement une profanation. On ne sache pas que les migrants venus causer du désordre à Saint-Denis soient allés danser au milieu des quelques sépultures royales qui s’y trouvent encore après l’affreuse profanation qui eut lieu pendant la Révolution française sur l’ordre de ce qui tenait alors lieu d’Etat. Ni qu’ils aient fait des saletés devant quelque autel ou tabernacle. En revanche, on voit où veulent en venir quelques-uns desdits chantres quant à la présence, non dans une basilique, mais en France d’étrangers en situation irrégulière.
En somme, tout cela relève du petit jeu habituel, qui est pour tout dire assez lassant. Nous avons même eu droit aux explications d’usage des Décodeurs du Monde, pâteuse et approximative comme il se doit.
Cependant, une réaction à cet événement et aux réactions qu’il a provoquées mérite notre attention. C’est celle de Mme Clémentine Autain, députée « France insoumise » comme M. Coquerel. « Mais il n’y a rien à profaner. On a tout mis à la fosse commune en 1793 », a touité la dame. Comment dire ? C’est simplement abject, « tout » désignant ici les restes de quelques rois, reines et princes. Les titres de ces derniers ne font d’ailleurs rien à l’affaire, nonobstant mon royalisme de principe : il s’agit de restes humains, que Mme Autain semble se réjouir de considérer comme des déchets bons pour la benne. Il en est, à l’instar de Georges Clemenceau, pour qui la Révolution est un bloc : tout y est bon, y compris les massacres et les profanations de sépultures. Ces gens ne m’ont jamais rassuré.
Que dire à tout ce monde ?
A M. Coquerel, pour commencer, qu’il ne faut pas confonde Eglise et église et qu’une église n’est pas une quelconque salle de métingue où l’on cherche à donner de la voix et à se donner de l’importance. La basilique Saint-Denis ne s’appelle pas la Scène Saint-Denis, que je sache. Quant à l’Eglise, s’il approuve comme il l’affirme sa générosité envers les immigrés, il lui eût été loisible d’amener ceux qu’il prétend défendre assister en silence à la messe qui par sa faute n’a pas été célébrée, afin de leur faire découvrir et peut-être de découvrir lui-même la source de cette générosité.
Aux droitards de tout pelage si attachés à nos églises, et je l’espère à l’Eglise, que celle-ci considère l’accueil des étrangers comme une des sept œuvres corporelles de miséricorde.
A Mme Autain, qu’ensevelir les morts est pour l’Eglise une autre de ces sept œuvres corporelles de miséricorde.
Et à nous, catholiques, pour ne pas céder à la tentation de traiter tous ces gens d’imbéciles, que supporter avec patience les personnes ennuyeuses fait partie des sept œuvres spirituelles de miséricorde.
Enfin, il faudrait dire qu’il y a des choses plus graves, plus terribles, qui se passent chez nous en ce moment. Dans de telles circonstances, certains touitent, d’autres offrent leur vie pour sauver celles de leurs compatriotes face à des assassins qui nous haïssent. J’ajoute cette précision en mémoire du lieutenant-colonel Beltrame.
Bonne Semaine sainte !

jeudi 15 mars 2018

« Le bon cœur » (Michel Bernard)

Puisqu’il a été question récemment, à l’occasion d’une sotte polémique lancée par quelques grincheux et relayée par d’autres, de Jeanne d’Arc, il est légitime de se poser une question : que peut-on encore en dire de neuf ? Pour le meilleur et pour le pire, sa figure a été abordée par maints écrivains, historiens, dramaturges, cinéastes, peintres et musiciens. Sans parler des politiciens de tout pelage.
Il est évidemment possible de lire ou de relire au sujet de Jeanne des ouvrages tels que ceux de Colette Beaune ou encore cet étonnant essai de Léon Bloy, Jeanne d’Arc et l’Allemagne, ou encore de revoir le sobre film en deux parties que réalisa Jacques Rivette voici bientôt 25 ans. Mais rien de neuf ?
Un écrivain, Michel Bernard, vient de s’y essayer dans Le bon cœur, roman paru il y a peu aux éditions de la Table ronde. Délicate tâche que de traiter sous la forme d’un roman la brève, invraisemblable et magnifique équipée de Jeanne d’Arc, sillon profond tracé dans l’histoire de notre pays. Les pièges étaient aussi nombreux et redoutables que béants.
Il y a d’abord celui de l’exposition d’une thèse, qu’elle soit farfelue ou sérieuse. Jeanne d’Arc, après tout, a dérouté ses contemporains et pas qu’eux. De là à partir sur la première piste qui ferait croire à la résolution de quelque énigme ou qui voudrait nous vendre quelque « secret » que nous cacheraient de terribles instances[i]… Rien de toutes ces fadaises dans le roman de Michel Bernard, pas plus que l’exploration de voies plus sûres, qui auraient, certes, l’avantage d’être véridiques, mais présenteraient le rédhibitoire inconvénient de faire de l’œuvre d’art que doit être un roman un outil vaguement orné : ni beau ni commode, ce ne serait ni un bon outil ni une bonne œuvre d’art.
Un autre piège serait celui de l’épopée : bannières claquant au vent, chevaux cabrés et cris de guerre toutes les deux pages, avant le fracas des armes. Une variante naturaliste, sanglante et brutale, de ce genre épique eût été possible aussi, faisant cette fois tomber l’œuvre dans le Grand-Guignol. Puisque Jeanne d’Arc prit part à des batailles, certaines mémorables, ces épisodes apparaissent dans Le bon cœur, mais point trop n’en faut : de bataille en bataille, il faut se déplacer, parler, prendre ses quartiers, prier, bref vivre. Sans oublier la mission de Jeanne : amener le Dauphin à enfin devenir Charles VII et se laissant sacrer à Reims.
Deux risques, une fois écartés les premiers annoncés, se présentent : la platitude et le pittoresque.
Le premier pourrait résulter du choix, dans un roman historique dont les personnages sont tous réels, de s’interdire de prendre trop de libertés avec la vérité. Tout étant alors couru d’avance, l’auteur risque alors de ne faire que le résumé plus ou moins bien écrit d’une histoire déjà connue. C’est peut-être à ce risque-là que Michel Bernard s’est le plus exposé, les dates et les lieux étant toujours indiqués avec exactitude et certains chapitres étant même précédés d’une carte où est tracé le parcours de l’héroïne pendant la période couverte jusqu’à la prochaine ; de plus, le roman ne comporte aucun passage dialogué. Michel Bernard est-il vraiment tombé dans ce piège ? Nous tâcherons d’y répondre plus tard, mais il semble qu’il ait choisi de courir le risque pour éviter dans une des formes les plus dangereuses de pittoresque : le pittoresque médiéval.
Ce piège a plusieurs entrées. Celle du vocabulaire, pour commencer, principalement dans les parties dialoguées : selon que l’on préfèrera le sucre ou la boue naturaliste, ce ne sera que gentes dames et gentils damoiseaux, ménestrels évaporés caressant quelque luth au pied de la tour où est emprisonnée quelque damoiselle (coiffée d’un hennin), ou alors des « holà, tavernier » dans le cliquetis des pots d’étain, auxquels seront ajoutés une bonne mesure de rots, poils de barbe, odeurs corporelles et bouches édentées. Sans oublier quelques moines paillards ou fanatiques, occasion de caler un peu de latin. Nous sortons là du vocabulaire pour entrer dans l’atmosphère. Ce genre de bouillie nage en général dans un jus anachronique, dont Charlemagne est parti boire une pinte avec du Guesclin et le chevalier Bayard. Un épais vocabulaire guerrier ou vestimentaire peut fort bien achever de lier cette mauvaise soupe.
Dieu merci, Michel Bernard nous évite ce supplice-là aussi.
Fort bien, mais ne pas tomber dans tous ces pièges ne suffit pas à faire un roman, encore moins un bon roman. Que fait donc Michel Bernard pour cela, maintenant que nous savons toutes les erreurs qu’il n’a pas commises ?
Eh bien, il fait un habile travail de romancier, à la fois omniscient et humble, ce que lui permet et ce à quoi l’oblige le caractère réel des événements ici narrés. Comme nous savons d’avance ce qui adviendra, point n’est besoin d’inventer quelque épisode que ce soit. En revanche, il est possible d’appréhender les choses en faisant varier les points de vue. Pour cela, entrer dans les personnages, s’y glisser comme dans un gant, voilà un beau travail de romancier. L’histoire est ainsi vue à hauteur d’homme, à travers des sentiments et des impressions. A travers, par exemple, la perception qu’a Jeanne de soi et des autres, mais aussi à travers celle des autres sur elle. Ainsi, les premières pages commencent par l’impression qu’elle a faite à Baudricourt et par la réaction de ce dernier :
« Cette fois, il la gifla. Robert de Baudricourt le regretta aussitôt, mais lorsque le regard de la jeune fille, un instant détourné par le coup, revint se planter dans ses yeux, la colère qui avait fait partir son bras se ranima »…
D’autres impressions sont fort concrètes, notamment quant aux accents des uns et des autres – dont on peut rire tout en se comprenant tant bien que mal, témoin le choyaux qu’écrit un clerc quand Jeanne lui dicte dans une lettre le mot joyeux. La lenteur des déplacements permet aussi de percevoir progressivement la variété des paysages ou de la lumière : ce sera une des premières impressions de Jeanne dont nous serons les témoins, sur le trajet de Vaucouleurs à Chinon. Ces passages ont l’intérêt – outre leur beauté – de nous dépeindre – sans que cela soit explicitement énoncé – une Jeanne découvrant dans son étendue et sa diversité un pays – la France – au bord duquel elle est née. Et de nous rappeler que la France – ou tout autre pays – n’est pas qu’une idée ou un principe – fût-ce la légitimité d’un roi à affirmer ou à défendre – mais aussi des terres, un relief, une lumière, et surtout les hommes qui l’habitent.
Le concret peut d’ailleurs s’unir au mystique, comme lorsque Jeanne, désormais captive, fait étape avec ses geôliers, sur la route d’Arras à Rouen, au Crotoy[ii] : si la proximité de la mer se fait sentir par les cris de mouettes fatalement plus nombreux que dans son Barrois natal et par les odeurs qu’apporte le vent, elle se fait aussi sentir au moment de l’eucharistie : « Elle communia. Le pain avait un goût plus salé »[iii]. Peut-on faire plus incarné ?
Petit à petit, outre l’histoire bien connue de Jeanne d’Arc, Michel Bernard nous fait découvrir sa version de la Pucelle, qui est fort attachante, car bien incarnée. On imagine une jeune fille certes simple, mais à la fois joyeuse et inquiète, fidèle à ce qu’elle perçoir de sa vocation, respectueuse et insolente… Pour mieux se faire une idée de ce que j’essaie de dire là, il est loisible de contempler l’illustration qui orne le bandeau du livre. C’est un portrait (de profil) de Jeanne d’Arc telle que l’a imaginée un artiste du XIXe siècle, Paul Dubois : une jeune fille aux cheveux courts et peu soignés, dont les épaules sont couvertes d’une armure, regarde devant elle, peut-être légèrement vers le haut. Est-ce vers le roi ou quelque capitaine expérimenté ? Ou vers le ciel ? Sa bouche, encore enfantine, esquisse un mouvement : une moue, une insolence, une question naïve, une saillie d’une étonnante sagesse, ou une simple prière ? Rarement une illustration aura été si justement choisie.


[i] Un secret existe, et il est entre Jeanne et Charles VII. Il est généralement admis que c’est ce secret qui fit considérer Jeanne comme une prophétesse.
[ii] Dans un château qui a pour maître un certain Ralph Butler, « collaborateur proche du duc de Bedford. Son vrai nom était Raoul Bouteiller, mais il trouvait que cela sonnerait mieux dans la langue de ses nouveaux maîtres. » Ainsi, l’anglomanie n’est pas d’hier en France (et c’est dans Chatty Corner que vous lisez cela !).
[iii] Ici, un reproche : Jeanne étant chrétienne, il eût fallu écrire plutôt hostie que pain.

samedi 3 mars 2018

Jeanne d’Arc et le néant

Ne serait-il pas urgent de nous défaire du bruit ambiant ? L’actualité qu’on nous sert ressemble parfois à un torrent de choses dérisoires sur lesquelles tout un chacun se croit autorisé à avoir un avis ou tenu d’en avoir un. Serions-nous tous devenus des experts en immenses riens ? Tout y passe, avant d’être plus ou moins oublié : les querelles entre les héritiers de Johnny Hallyday, les disputes entre MM. Wauquiez et Juppé, le scandale récurrent du froid et de la neige en hiver… L’important est de nous servir la polémique du jour.
Une des plus lamentables de ces polémiques, récemment, a été celle qui a tourné autour des fêtes johanniques d’Orléans. Une des plus instructives aussi, à plus d’un aspect. Rappelons de quoi il s’agit.
Commençons par un aveu : à part les Orléanais, nous ignorions probablement, pour la plupart, l’existence desdites fêtes jusqu’à il y a quelques jours. Si j’ai bien compris de quoi il s’agit, des festivités ont lieu chaque année à Orléans, en mai, pour commémorer la libération par Jeanne d’Arc, en ce même mois de l’année 1429, de la ville, qui était assiégée par les Anglais depuis des mois. Au cours de ces festivités, une jeune fille doit défiler à cheval dans un costume évoquant celui de l’héroïne. Pour ce faire, un comité est chargé de sélectionner celle qui le fera, selon des critères bien établis.
Cette année, l’honneur a échu à une certaine Mathilde Edey Gamassou. Aussitôt, quelques énergumènes se sont répandus sur Touiteur pour clamer leur indignation. Pourquoi ? Eh bien, Mlle Edey Gamassou se trouve être une jeune Française de père béninois et de mère polonaise. On pourrait en rester à cette anecdote, des autorités orléanaises participant au comité évoqué plus haut ayant rappelé que la « Jeanne d’Arc » de 2018 réunissait toutes les conditions requises.
Cependant, les protestations desdits énergumènes, ayant été publiées sur des réseaux dits sociaux, ont fait du bruit et nous voilà tous en train de donner notre avis sur l’affaire. Qu’en dire ?
Tout d’abord, constatons que l’hystérie contemporaine se nourrit d’à peu près tout, sous n’importe quel prétexte. Ce qui eût dû rester une anecdote locale où se serait manifestée l’aigreur de quelques grincheux est devenu une occasion de plus pour un peu tout le monde de s’écharper derrière un clavier et devant un écran. Certes, cela vaut toujours mieux que d’en venir aux mains, mais quelle perte de temps !
Ensuite, l’affaire ayant fait du bruit, les articles dans la presse en ligne se sont multipliés, la plupart pour défendre, Dieu merci, Mlle Edey Gamassou et le choix du comité. Or les commentaires des lecteurs de ces articles sont souvent loin d’être au diapason. On a vu se déverser un torrent, un mascaret, un raz-de-marée de bile. Que disent ces commentaires ?
Par exemple que faire représenter Jeanne d’Arc par une jeune fille métisse constitue une invraisemblance, comme si l’on demandait à Gérard Depardieu de jouer le rôle-titre dans un film racontant la vie de Martin Luther King. Il est facile de balayer cet argument : premièrement, Martin Luther King fut un héros – ou un héraut – de la défense des droits des Noirs américains opprimés par des Blancs ; or il ne me semble pas que Jeanne d’Arc fût l’héroïne de la défense des droits de Blancs opprimés par des Noirs ; secondement, une commémoration n’est pas un spectacle biographique ; j’ai comme l’intuition ces fêtes sont plutôt pour les Orléanais de se rappeler ce qu’ils doivent à Jeanne et de rendre grâce pour l’intervention décisive, mais inespérée, invraisemblable, d’une jeune fille venue des marches du royaume. Il s’agit bien de remercier une étrangère : Jeanne n’était pas Orléanaise. Les grincheux n’en tiennent pas compte : ils hurlent à la trahison de notre histoire. Ils n’ont rien compris (et, je le crains, ne veulent rien comprendre). Car la plus stricte exactitude historique exigerait de faire chevaucher à ces fêtes non une Orléanaise, mais une jeune fille originaire du Barrois. De préférence, elle se prénommerait Jeanne et serait née à Domremy vers 1412.
Oublions donc l’argument de la vraisemblance ou de l’exactitude, puisqu’il est nul. Les grincheux se disent patriotes et prétendent vénérer Jeanne d’Arc, vénération que je partage volontiers. Logiquement, ils devraient se réjouir de ce qu’une jeune fille d’ascendance étrangère aime le pays où elle est née et où elle a grandi au point de vouloir participer à des fêtes rendant hommage à une personne aussi importante dans notre histoire (et à une sainte !). Or ils se lamentent : je n’ose me demander quelle est leur conception de la notion de patrie ; j’ai trop peur d’avoir l’intuition de ce qu’elle est pour eux une affaire de pigmentation. Et, dans le lot, il doit y en avoir qui se disent chrétiens.
Certains ayant manifesté leur aigreur d’une manière parfaitement odieuse[i], quelques-uns des grincheux ont voulu voir un piège dans le choix fait : non, bien sûr, ils n’ont rien contre Mlle Edey Gamassou, ils regrettent même que des insultes aient pu la blesser ; mais ils précisent aussitôt que selon eux la faute en incomberait au comité qui l’a choisie, forçant de « vrais Français » à exprimer leur « légitime colère » (avec parfois une exagération regrettable) devant cette « provocation ». Difficile de masquer de manière plus hypocrite le caractère raciste de ces réactions. Ces gens me font penser à des détrousseurs qui reprocheraient à leurs victimes d’avoir emprunté des chemins réputés dangereux.
Pour ma part, je trouve au contraire que le comité qui organise ces fêtes a été bien inspiré en choisissant cette jeune fille parmi toutes celles qui répondaient aux critères sur lesquels il s’appuie. Il a choisi, comme pour en faire un exemple, une demoiselle pour qui aimer la France et les Français relève pour ainsi dire du choix. Un peu comme cela avait été le cas pour Jeanne d’Arc : le Barrois, dans les années 1420, était un pays aux frontières subtiles, pour ne pas dire compliquées.
Voilà donc une armure bien lourde pour les épaules de la jeune Mathilde. Qu’elle n’ait peur de rien : celle qu’eut à porter Jeanne dut être plus lourde. Et la sainte intercède peut-être déjà pour la jeune fille d’aujourd’hui, à qui l’on peut souhaiter que cette fête soit pour toute sa vie non seulement un beau souvenir, quand elle aura eu lieu, mais aussi une lueur qui la guide.
Quant aux grincheux, il est probable que Jeanne prie aussi pour eux. Pour que leurs yeux s’ouvrent.
Reconnaissons, pour finir, que cette sotte affaire peut aussi constituer une occasion de redécouvrir sainte Jeanne d’Arc, loin des fantasmes. Il en sera d’ailleurs encore question dans les parages, bientôt.


[i] Quelques exemples de propos aussi bêtes qu’infects sont donnés ici, chez Patrice de Plunkett.