mardi 7 novembre 2017

Clochemerle-de-Bretagne

Connaît-on toujours bien le Morbihan[i] ? A part quelques noms de grandes villes comme Vannes ou Lorient et ceux de sites touristiques, balnéaires ou nautiques (comme Carnac, Quiberon ou la Trinité-sur-mer), qui connaît l’intérieur de ce pays ? Certes, les amateurs de légendes celtiques savent que la forêt de Paimpont cache sous ce nom aux allures débonnaires celle de Brocéliande, et ceux de la chose militaire savent situer Coëtquidan.
C’est d’ailleurs non loin de Paimpont et de « Coët » que se situe la paisible ville de Ploërmel, dont les habitants, jusque-là, semblaient ne rien demander à personne. Or, voici quelques années, un sculpteur russe a fait don à la municipalité de Ploërmel d’une de ses œuvres, une statue du saint pape Jean-Paul II. Ladite statue trône désormais sur une place de Ploërmel, surmontée, ou encadrée si l’on veut, d’une étrange et massive arche de béton sur laquelle a été érigée une croix.
Il n’en fallut pas plus pour tirer de leur hébétude ordinaire les dévoreurs de curés de service : comment, un signe religieux sur la place publique ? La France ne saurait transiger avec ce genre d’invasion, etc. Deux habitants de Ploërmel, avec le soutien de la « libre pensée » du Morbihan (ce qui fait au bas mot trois personnes), ont donc déposé une plainte.
L’affaire, de recours en appels, supposons-le, a atterri au Conseil d’Etat. Lequel a fini par rendre un avis : au nom de la laïcité, la croix doit être ôtée ; en revanche, la statue peut demeurer, car en tant qu’effigie d’un chef d’Etat, sa présence dans l’espace public ne saurait en rien contrevenir aux lois en vigueur dans notre république. Certains ont cru bon de voir dans cet étrange décision une réminiscence du jugement de Salomon (tant il est vrai que notre langue et notre culture générale sont remplies de références bibliques, même mal assimilées) ; d’autres (dont votre serviteur) préfèrent y voir un genre de compromis impossible, un moyen sûr d’attiser la rage des tous les « camps » déclarés.
Car naturellement les « libres penseurs » ne décolèrent pas, non à la vision, mais à la simple idée de cette statue d’un pape. Le diable n’apprécie guère, après tout, les averses d’eau bénite. Même si le Conseil d’Etat, donc, dans sa pontifiante niaiserie républicaine, assure qu’il ne faut voir dans ce pape qu’un chef d’Etat[ii]. Mais laissons là ces imbécillités, elles sont dans l’ordre des choses.
Qu’en disent les catholiques français ? Les plus optimistes estiment que cette affaire a le mérite de faire parler de la Croix. Pourquoi pas… Il semble aussi que se manifeste comme un « parti clérical » (pour user de termes vieillis) ou une opposition « identitaire » (pour faire plus actuel) prompt à gémir et à gronder dès que se manifeste le gras ectoplasme de la « libre pensée ». Nos « cléricaux », ou plutôt nos « identitaires », enragent presque autant que leurs ennemis laïcards. On espère ne pas voir ces deux camps sombrer dans quelque affrontement physique un peu arrosé, comme dans le Clochemerle de Gabriel Chevallier. Mais laissons là Clochemerle, lieu censé se trouver dans le Beaujolais.
Je n’en ai toutefois pas fini avec ce qu’en disent les catholiques. Nos ultras, nos identitaires, tout en se ralliant (au moins aussi nombreux que les pelliculaires vieilles barbes laïcardes) au cri de « Montre ta croix », accusent – selon leur habitude – nos évêques de ne rien dire ni faire dans cette affaire. Ils ne s’étonnent pas plus que cela, d’ailleurs, de cette supposée passivité chez ceux en qui ils voient une clique de « mitres molles » certainement infiltrée par la franc-maçonnerie.
Je e permettrai donc de leur conseiller, si d’aucuns parmi eux me lisent, la lecture d’un récent communiqué à ce sujet, émanant de l’évêché de Vannes[iii]. Pour ma part (en brave petit catholique français se voulant obéissant), ce communiqué me semble fort bien tourné, pour les raisons suivantes :
Premièrement, il n’entre pas dans des arguties judiciaires aussi filandreuses qu’obscures et incertaines. En cela, l’évêque de Vannes évite de de perdre du temps et donne au passage à l’Etat une leçon de laïcité, exprimant en toute liberté son point de vue, sans prétendre substituer celui-ci au droit.
Deuxièmement, il ne joint pas sa voix aux chœurs plaintifs, revendicatifs, voire vindicatifs auxquels nous ont habitués certains identitaires. Une mitre n’est pas un mouchoir pour pleurnicher et une crosse n’est pas une massue.
Troisièmement, il n’oublie pas de rappeler ce qu’aurait de regrettable la disparition d’une croix, repère qui manque tant aux âmes contemporaines.
C’est pourquoi je me fierai toujours plus au point de vue d’un de nos évêques qu’à un arrêt émis par quelques auditeurs distraits du Conseil d’Etat (à l’heure de la digestion, qui sait ?) ou qu’aux récriminations de quelques ultras. « Montre ta croix », disent ces derniers. Je veux bien, mais alors porte la aussi et dis aux autres – tes frères – tout ce qu’elle signifie, pas seulement pour toi.


[i] Si l’on n’est pas Breton, précisons-le afin de ne point froisser la sensibilité d’éventuels lecteurs originaires de terres sises à l’ouest du Couesnon.
[ii] Ce qui rappelle la muflerie, bien républicaine elle aussi, assumée par M. Mélenchon dans une « lettre ouverte à monsieur le pape » voici bientôt trois ans.
[iii] A lire ici.

2 commentaires:

  1. Restons pratico-touristiques : le Morbihan est un beau département et Vannes une jolie ville (son centre historique, ses clochers, son évêché). Que personne ne le connaisse de l'intérieur (géographique) s'explique assez si l'on considère que 90% de la populations vivent entre la voie rapide et l'océan, soit une étroite bande côtière. Point de Mont Fuji pour expliquer cet entassement, à l'image de ce qui s'est produit au Japon sur l'île d'Honshu, mais un simple tropisme sable-fin. Bref, une fois que le quidam a les yeux fixés sur la mer hypnotique, on peut comprendre qu'il les tourne difficilement vers Clochemerle. Et il y a donc fort à parier que dans le Morbihan la plus large partie de la population locale n'en a cure, de cette histoire de croix. Heureusement qu'il y a des observateurs parisiens pour se saisir de la nouvelle et en partager l'analyse ;-)

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    1. Mais voyons, puisque Clochemerle est dans le Beaujolais ! Cela dit, il y a de fortes chances en effet que les habitants du Morbihan se soucient peu de cette affaire. Raison de plus pour laisser la croix là où elle se trouve (ha, ha !).
      S.L.

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