samedi 1 juillet 2017

Sans pilote, sans père, sans personne

Le progrès court toujours, personne n’ayant encore trouvé le moyen – ou pris la peine – de l’arrêter. Il importe donc, pour éviter d’avoir à trop en pâtir, d’en connaître quelques éléments de signalement.
Trains autonomes
On sait l’émerveillement mêlé d’une pincée d’inquiétude – pour la forme ? – avec lequel les journaux nous font part de divers projets de véhicules autonomes. Pour ce qui est des voitures personnelles, l’avantage est compréhensible : pouvoir lire un journal idiot ou un bon livre dans sa petite auto en allant travailler, pourquoi pas ? Jusqu’au moment où l’algorithme régissant le comportement de votre véhicule fera un choix que, pour une raison ou pour une autre, vous aurez à regretter, sans avoir toujours la possibilité de le comprendre.
Or voici qu’on nous annonce un changement d’échelle : non contente de donner à ses trains des noms absurdes, la SNCF fait un peu plus qu’envisager la mise en circulation de trains automatiques d’ici quelques années, pour le transport de voyageurs comme pour celui de fret[i]. On peut certes applaudir à la prouesse, mais il est permis d’éprouver une inquiétude de même nature mais plus forte que celle relative aux véhicules personnels, vu le nombre de voyageurs concernés ou les matières pouvant être ainsi transportées sans intervention humaine. Les jouets scientifiques peuvent être fascinants à condition de garder leur statut de jouets.
S’ajoute à ce problème un autre : combien de cheminots une telle évolution laissera-t-elle sur le carreau ? D’un point de vue « patronal »[ii] et moderne, cela sera présenté comme un progrès : les automates ne se mettent jamais en grève, ne revendiquent rien (primes, augmentations, congés, etc.), et il n’y a pas de retraite à leur verser.
Soit, mais à ce train-là, pourquoi ne pas supprimer aussi les voyageurs ? Quelle économie cela permettrait de faire sur les équipements et sur le personnel de nettoyage !
Génération spontanée
Les plus enthousiastes parmi les chantres du progrès me reprocheront sans doute de manquer d’optimisme quant à l’avenir des cheminots : ils sauront se reconvertir et, grâce aux réformes du code du travail qui nous sont promises, ils retrouveront vite un emploi. Pourquoi, comment ? Ne nous en inquiétons pas, cela se fera comme par magie.
Le progrès a d’ailleurs bien un caractère magique. Cette magie donnant aux hommes tant de pouvoir, pourquoi s’en priver ? Le Comité Consultatif National d’Ethique ne s’y est pas trompé, en rendant le 27 juin un avis favorable à l’autorisation de la procréation médicalement assistée[iii] pour les femmes seules et les couples de femmes. M. Christophe Castaner, porte-parole du gouvernement, a aussitôt déclaré que cela « permet d'envisager une évolution de la législation ». Si cette évolution a lieu, il sera en gros admis qu’officiellement des enfants n’auront jamais eu de père, non pas par quelque malheur mais par choix.
Observons que ledit Comité Consultatif (etc.) est pour l’instant opposé à l’insémination de mères porteuses, pour qui que ce soit. Combien de temps cet avis tiendra-t-il ? Comment quelques hommes seuls ou en couples se priveraient-ils de crier à la discrimination ? L’exploitation du corps d’une femme pauvre semble encore retenir les membres de ce comité[iv]. Il sera donc difficile de donner naissance à des enfants dépourvus de mère tant que l’on n’aura pas réussi à les fabriquer dans des utérus artificiels. Si cela est un jour possible, il y a fort à parier que nous serons invités à nous émerveiller devant cette nouvelle prouesse du génie humain. Et puis quand même, quelle ouverture pour l’économie !
Il reste que l’égalité intégrale n’aura pas été atteinte tant que les enfants n’auront pas le choix de naître sans parents, et tant qu’il ne sera pas possible d’exiger d’être père ou mère sans enfants.
Délicieuse perspective, non ? Autant que l’on peut trouver délicieux d’imaginer un futur plus ou moins proche où des êtres sans racines regarderont passer des trains sans conducteurs – ils seront sans travail donc ne pourront pas payer le billet pour s’y embarquer. Les plus optimistes d’entre eux se consoleront peut-être en songeant que tout cela est bon pour la croissance. Et qui sait s’il ne se trouvera pas quelque bel esprit – s’il en reste – pour nommer ce temps les jours sans ?
(Cette chronique se voulant légère et plus ou moins littéraire, d’autres arguments, plus sérieux, sur l’avis rendu par le Comité Consultatif National d’Ethique sont à trouver ailleurs, ici par exemple.)


[i] Voir ici.
[ii] Les guillemets s’imposent : tous les patrons ne sont pas de vilains méchants, bouffis et ricanants.
[iii] Procédé qui, fondamentalement, mérite déjà qu’on y réfléchisse.
[iv] Contrairement, par exemple, à M. Pierre Bergé (ardent soutien de M. Macron pendant la campagne présidentielle d’icelui), qui ne voit pas la différence entre les bras d’un ouvrier et le ventre d’une femme puisque, pour lui, tout cela n’est que de l’outillage à louer. M. Pierre Bergé a le maigre mérite d’avoir vendu la mèche dès 2013.

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