dimanche 25 juin 2017

Et de droite et de gauche ?

L’expression fait désormais florès : « et en même temps ». Illustration de ce que l’on appellera avec admiration, ironie ou distance le macronisme, elle sert aux adorateurs de M. Macron à vanter sa hauteur de vue philosophique (héritée paraît-il de Paul Ricœur[i], à en croire les plus doctes) ; à ses détracteurs, elle permet de railler un supposé vide compensé par une grossière démagogie ; aux sceptiques et aux ironiques, elle sert à désigner une indéniable habileté manœuvrière un rien attrape-tout. Il y a probablement des trois dans cette expression, qui a l’avantage de faire naître un sourire complice aux lèvres de ceux qui l’emploient, adorateurs, détracteurs, sceptiques ou ironiques.
Sur le plan strictement politique, « et en même temps » s’est muté en « et de droite et de gauche ». Ce n’est pas le classique « ni droite, ni gauche » qui appelle toujours les sarcasmes : ni droite, ni gauche, mais où donc, alors ? Non, il s’agirait plutôt d’évoquer une habile et constructive synthèse, un dépassement des postures partisanes.
La chose, sur le papier, est séduisante. Après tout, une nation (la France, en particulier) n’a pas besoin d’être de gauche ni de droite, pas même du centre. Peut-être est-ce la réponse trouvée par M. Macron au regret qu’il semblait exprimer naguère quant à la disparition de la figure royale chez nous[ii] ?
La tendance a pu s’illustrer ailleurs, même là où existent encore des rois ou des reines, au Royaume-Uni par exemple. Et c’est là que peut naître une certaine gêne, pour ne pas parler de méfiance. Le Royaume uni a pu voir apparaître aussi bien le Blue Labour que les Red Tories. Le Blue Labour a connu le pouvoir avec M. Blair ; cela pourrait aussi se nommer social-libéralisme : un libéralisme « sociétal » et économique assorti de quelques mesures de compensation envers les plus modestes, qui pourront toujours se brosser en attendant de bénéficier des effets magiques de quelques ruissellement ; c’est assez désespéramment cohérent et il faut y ajouter, en matière de politique internationale, un alignement aussi aveugle que servile sur les errements de nos amis les Yankis ; M. Hollande, dont M. Macron fut conseiller puis ministre, n’en était pas loin. Les Red Tories pourraient en représenter exactement l’inverse, de manière tout aussi cohérente, associant un goût des grandes et petites traditions à une organisation à l’échelon local de diverses solidarités. Malheureusement, l’influence que M. Phillip Blond a cru pouvoir exercer sur M. Cameron il y a quelques années semble s’être réduite à un slogan de campagne électorale (la Big Society).
Le « et de droite et de gauche » de M. Macron est donc une notion bien vague : le meilleur, comme le pire, de chacune de ces deux composantes, peuvent s’y agréger, sans compter toutes sortes de nuances. Le pire n’est pas improbable, d’où la nécessité d’une opposition, pour tempérer quelques élans qui pourraient s’avérer dangereux, et en permettre l’éventuelle réversibilité, à des échéances plus ou moins lointaines.
Où trouver une telle opposition ? A l’Assemblée nationale ? Guère, hélas. La France insoumise et le Front national, qui pourraient revendiquer le rôle d’une vraie opposition, n’ont que peu de poids. D’une part pour des raisons de mécanique électorale, qui ont réduit à peu de chose leurs effectifs respectifs à l’Assemblée ; d’autre part du fait de leur rôle – volens, nolens – d’épouvantails officiels qui tient pour beaucoup à leurs outrances, leur démagogie et le caractère brouillon de ce qu’ils proposent ou prétendent proposer.
De chez « LR » il y a peu à attendre : pas de quoi nourrir quelque espoir entre les opportunistes « constructifs » et la « droite fière de ses valeurs » de M. Wauquiez. Parce que, franchement, entre la soupe et les postures partisanes… Quant au parti dit socialiste… Non, soyons charitable.
Restent à l’Assemblée nationale quelques individus isolés, de peu de poids donc, mais rendus intéressants par leur comportement dénué de postures : par exemple M. Azérot et M. Potier (les deux sont classés à gauche, mais oui).
Et hors de l’Assemblée ? Peu avant le second tour des élections législatives, j’ai pu entendre à la radio M. Jean-Frédéric Poisson et M. François-Xavier Bellamy[iii]. Depuis cet entretien, les deux ont été battus. Bénéficiant, si j’ose dire d’investitures « LR », ils ont sans doute eu à pâtir du discrédit de ce parti, auquel ils ne sont pas même encartés, crois-je savoir. Leurs propos étaient intéressants : c’étaient ceux de deux conservateurs assumés, au sens réel (et pourquoi pas noble) du terme, soucieux autant de préserver un ordre traditionnel que d’affirmer un souci social ou écologique[iv], du moins à les entendre.
Ils ont un tort à mon avis : avoir cru devoir se raccrocher à « LR », avec les conséquences que l’on sait, liées en partie, selon toute vraisemblance, aux fillonnades et autres joyeusetés auxquelles ils auront été associés par les électeurs de leurs circonscriptions respectives. Ces deux hommes sont talentueux et intelligents[v] ; ils auraient tout intérêt à se dépenser en conférences, entretiens, débats et rencontres : pourquoi ne pas « tâter le terrain » auprès d’autres politiciens et auprès de citoyens plus ou moins engagés ? M. Poisson, il est vrai, a déjà tenté quelques ouvertures, naguère, auprès de ce que l’on nomme la « droite hors les murs » : ces rencontres n’ont rien donné, sinon une certaine méfiance envers M. Poisson chez des gens qui eussent été bien disposés à son égard ; fausse piste, donc.
Pourquoi M. Bellamy ou M. Poisson n’iraient-ils pas plutôt à la rencontre d’autres hommes libres comme les susnommés M. Azérot et M. Potier ? A un autre niveau, pourquoi ne pas souhaiter la libération de « Sens commun » et des « Poissons roses », prisonniers volontaires d’appareils partisans qui les méprisent ouvertement et qui sont apparemment moribonds ?
« Et de droite et de gauche » : sans nier leurs différences, tous ces gens pourraient commencer à bâtir quelque chose d’intéressant.


[i] Etant peu versé en philosophie, je me garderai de me prononcer quant à l’influence de la pensée de Paul Ricœur sur les idées, les paroles ou les actes de M. Macron.
[ii] Voir ici.
[iii] Jeudi 15 juin sur Radio Notre-Dame.
[iv] Il était heureux d’entendre M. Bellamy critiquer un certain « progressisme » à droite, celui du « parti des OGM et des gaz de schiste ».
[v] Et au moins autant frottés de philosophie que M. Macron, étant tous deux agrégés dans cette matière.

jeudi 15 juin 2017

La révolution « En Marche »

A en croire les résultats du premier tour des élections législatives et ce qu’on nous annonce pour le second, on n’arrêtera pas le progrès, lequel s’est comme chacun le sait incarné en la personne de M. Emmanuel Macron, désormais président de la République.
L’homme, il est vrai, séduit par sa jeunesse, son allant, voire l’espèce d’aisance avec laquelle il semble pouvoir endosser n’importe quel « costume », y compris celui qui le vêt depuis mai. Son ascension a quelque chose d’hypnotique : rien ne paraît pouvoir se mettre en travers de son chemin. Ce n’est plus En Marche, c’est En Charme[i] ! Bénéficiant certes d’une forte abstention et de l’amplification de ses résultats par le scrutin majoritaire, il pourrait bientôt disposer d’une Assemblée nationale à sa main, pour ne pas dire à sa botte. Lui et sa majorité pourraient alors se présenter au peuple comme ses élus, alors que l’on imaginait encore il y a peu qu’il représentait tout ce que ledit peuple vomissait. Même les rumeurs ou les soupçons sur son entourage politique semblent lui glisser dessus comme l’eau sur le plumage d’un canard[ii].
Sincèrement, on ne peut qu’admirer l’art avec lequel M. Macron est en train de s’emparer du pouvoir. C’est de fait une sorte de révolution, en ce que chaque étape de ce qui se déroule sous nos regards apparemment impuissants semble dépasser en intensité, d’une manière irrépressible et ogresque, la précédente. Expliquons-nous.
Il a été assez répété que les ennuis auxquels fut exposé M. Fillon pendant sa campagne électorale lui étaient tombés dessus de manière trop opportune pour être tout à fait fortuits. L’origine de ces « révélations » à son sujet ne nous est pas connue, peu importe. Celles-ci constituèrent l’occasion rêvée pour M. Macron. Ajoutons à cela une primaire socialiste nommant M. Hamon candidat, et voilà le Parti socialiste concurrençant plutôt M. Mélenchon que M. Macron. De sorte que le choix qui devait demeurer au second tour de l’élection présidentielle avait de fortes chances d’être entre Mme Le Pen et M. Macron. Ce dernier n’était probablement pas à l’origine d’une telle manœuvre. M. Hollande pourrait en avoir eu l’initiative et, si ce n’est pas le cas, il a dû en rêver, histoire de pousser un peu son « héritier ».
Ledit « héritier » a par ailleurs souvent été présenté comme une créature façonnée par les mains ou les esprits habiles de MM. Attali et Minc. Peut-être chacun de ces deux messieurs a-t-il réellement cru pouvoir s’attribuer la paternité du personnage ? Sa relative jeunesse et l’insistance, pour en faire l’éloge ou le blâme, avec laquelle la presse a évoqué sa différence d’âge avec son épouse auront autant contribué à présenter notre homme comme un « Bambi »[iii] à la fois faible, innocent et prometteur.
Seulement, voilà que le petit faon se sent pousser des cors. Les vieux mâles n’ont qu’à bien se tenir. Sous les yeux émerveillés de sa maman, il leur dispute le commandement de la harde. Le chef, maintenant, ce sera lui. Après l’avoir absurdement qualifié de « christique » (figure filiale ?), les commentateurs avisés lui trouvent des airs « jupitériens ». Louis XIV n’eût probablement pas osé se parer de telles épithètes. Napoléon, en revanche… Les républiques malades enfantent plutôt des empereurs que des rois, ces derniers étant plus souvent conscients de leurs limites.
C’est donc « Jupiter » qui façonne maintenant sa nuée de candidats aux élections législatives. Comme dit plus haut, on prédit à cette nuée des résultats quasi-soviétiques en termes de sièges à l’Assemblée nationale[iv]. On évoque parfois même la naissance d’un « parti unique ».
Mais qui sait ce que réserve la suite de cette révolution ? Une révolution est souvent vorace, elle consomme ses acteurs avec appétit. Le « parti unique » pourrait fort bien se morceler, risquant de réduire M. Macron à l’impuissance ou à la brutalité.
Ce ne sont là que conjectures d’amateur, et il y a un second tour dimanche.


[i] J’emprunte l’anagramme au titre d’un roman paru il y a deux ans, Lève-toi et charme, du talentueux Clément Bénech, à côté de qui, soit dit en passant, M. Macron fait figure de vieux tonton, s’il faut absolument célébrer la jeunesse.
[ii] Pas enchaîné, celui-là. A propos de soupçons sur cet entourage, il se trouverait parmi les candidats d’En Marche une cartomancienne. Le regretté Philipe Muray, dans Le XIXe siècle à travers les âges, avait brillamment mis en évidence les rapports entre socialisme et occultisme. On lui reprochera d’avoir oublié ceux qui existent entre libéralisme et pensée magique.
[iii] Nos amis les complotistes préfèreront sans doute parler du faon Macron.
[iv] Au point de donner à penser que l’appoint du MoDem ne lui sera pas nécessaire. Auquel cas M. Bayrou, après avoir moralisé – notamment par l’exemple – la vie politique française, risque fort d’être prié d’aller voir s’il fait beau dans sa bonne ville de Pau.

samedi 3 juin 2017

Au train où l’on va

Qu’un train, en particulier un TGV, passe à proximité, voilà qui fatalement fait du bruit. Croyez-en quelqu’un qui demeura quelques années près d’une voie de chemin de fer. Or voici que c’est le seul nom donné à certains trains par la SNCF qui fait aussi du bruit : Inoui.
(Non, je ne suis pas en train de m’étonner d’un nom que je n’aurais pas encore mentionné, auquel cas j’eusse écris inouï. Je cite ce nom : Inoui, ou plutôt inOui. Contentons-nous par la suite d’écrire Inoui.)
La SNCF a fait fort, reconnaissons-le. Nous avions déjà eu droit à Ouigo et à Thalys, dans le registre des noms qui ne signifient rien. Et, plus anciennement, à l’appellation Intercités, laquelle donnait plutôt dans la tautologie, pour désigner des trains reliant une ville à une autre ; curieusement, la SNCF ne propose aux voyageurs de monter dans aucun train nommé Intercampagnes. Avec Inoui nous entrons dans une autre catégorie : le nom qui a bien – à une faute d’orthographe près – une signification, mais sans rapport avec le service proposé (nous permettre de nous déplacer) ni avec le moyen mis en œuvre à cette fin.
Pourquoi, dans ces conditions, la SNCF ne nous propose-t-elle pas tout simplement de voyager à bord de trains avec une provenance, une destination et d’éventuels arrêts en cours de route ? Pour nous permettre de nous y retrouver, ces trains seraient nommés rapides, express ou omnibus. Il serait possible, selon le confort souhaité, d’acheter des billets plus ou moins chers, avec lesquels nous saurions à quoi nous en tenir : tant pour un Paris-Lille en première classe, tant pour un Lyon-Marseille en seconde…
Passons sur les raisons sérieuses, ma causerie se voulant légère. Les contrôleurs de gestion, les directeurs financiers ou commerciaux de la SNCF en évoqueront certainement d’excellentes (de leur point de vue, du moins), dont les conséquences ne porteront probablement pas uniquement sur ce simple emballage qu’est l’appellation. Les raisons moins sérieuses sont à trouver dans un argumentaire fourni par la SNCF : dans Inoui, il y aurait (notamment) in, nous et oui, ce qui constituerait d’excellentes raisons de découvrir de tels trains[i] ; d’autant que l’argumentaire ne dit rien des sons inou et noui, ce qui, somme toute, est plutôt rassurant.
Quel sens de la com’ on a à la SNCF (ou dans quelque agence de publicité payée un pont d’or pour de telles trouvailles) ! J’en viens à me demander si le nom même du PDG de la SNCF n’a pas été inventé pour séduire les voyageurs. Le nom de M. Pepy évoque en effet le peps, ou encore un gentil petit pépin concentrant une énergie folle, ou encore Pépin le bref, et pourquoi pas, pour les cinéphiles, le prince Pepi de Hellzapoppin’[ii].
Le vieux monde moderne semble donc vouloir remplacer le nom des choses par des noms de marques, et leur description par des slogans. La réforme des régions de l’an dernier a ainsi ajouté à l’absurdité de certains regroupements celle des noms à donner aux nouvelles régions : Nouvelle Aquitaine ou Hauts de France en sont de bons exemples. Les Habitants du « Grand Est » ne sont finalement pas trop à plaindre : quelque farfelu eût pu proposer de nommer « Lasagne » cette nouvelle région, car dans Lasagne on trouve le l de Lorraine, le sa d’Alsace et le agne de Champagne.
La politique n’échappe pas à cette fièvre. Ceux qui, à l’UMP ont eu l’idée de donner à ce parti le nom Les Républicains ont dû se sentir une âme de pionniers. C’était faire fi du parti – certes petit – de M. Dupont-Aignan (Debout la République, bientôt Debout la France). Et les voilà complètement dépassés par MM. Mélenchon et Macron, le premier avec La France insoumise[iii], le second avec En Marche !. Il faudrait suggérer au Parti socialiste et au Front national de se mettre à la page, en devenant par exemple Roses ! pour le premier et #JeanMarine pour le second[iv].
Nos publicitaires et nos politiciens évolueraient-il vers des formes de langage aussi désarticulées que dépourvues de sens ? Voudraient-ils nous entraîner sur cette pente ? C’est à redouter.
En tout cas, les Etats-Unis ont récemment apporté la preuve de ce qu’ils n’ont rien perdu de leur vitalité sous M. Trump, lequel est l’auteur d’un sibyllin néologisme qui provoque la perplexité des plus fins exégètes : covfefe. Qu’exprime donc ce covfefe qui se répand déjà à travers le monde ? Peut-être le fond de la pensée de M Trump.

J’enverrais bien tout ce monde demain matin à la messe, pour célébrer la Pentecôte.


[i] Si vous ne me croyez pas, lisez ceci.
[ii] Le Guillaume Tell de Prazgovnia, comme chacun sait.
[iii] Tellement attachante avec son petit logo en forme de phi.
[iv] Il y avait déjà eu « la vague bleu Marine » il y a quelques années. Ce slogan n’était pas très heureux, évoquant plutôt quelque désinfectant pour lieux d’aisance.