vendredi 5 mai 2017

« Le Club des vieux garçons » (Louis-Henri de La Rochefoucauld)

Avec un nom comme La Rochefoucauld, si l’on veut trouver une place – même modeste – dans la littérature, il est nécessaire d’être en mesure de s’élever à un certain niveau. Pour cela, deux possibilités se présentent : la force ou la légèreté. Probablement conscient de ses limites, Louis-Henri de La Rochefoucauld paraît avoir choisi la seconde de ces options.
Que dire d’autre en effet de l’argument de son Club des vieux garçons et du traitement de celui-ci ? Le héros et narrateur en est François de Rupignac, dernier rejeton d’une famille d’ancienne et illustre noblesse, qui se sent depuis la plus tendre enfance une vocation de vieux garçon et n’éprouve guère d’attirance pour les modèles contemporains de réussite sociale. Il a sous les yeux, il faut en convenir, l’exemple de son oncle (ou plutôt grand-oncle) Albert, personnage qui n’est pas sans rappeler en plus cossu ceux que l’on peut rencontrer dans Les Célibataires de Montherlant. A l’adolescence, il rencontre Pierre, sorte de cancre cultivé, moine-soldat sans monastère ou boxeur mystique qui se serait trompé d’époque. C’est ensemble qu’après un dîner bien arrosé dans un discret restaurant du XVIe arrondissement ils fonderont le club dont le roman tient son titre. De réunion en réunion, les effectifs s’étoffent, des canulars bizarres sont perpétrés, avant que d’autres chemins, plus féconds peut-être, ne s’ouvrent à chacun des deux compères…
J’avoue avoir tiqué devant un tel argument : ce club des vieux garçons et ses activités ont quelque chose de trop énorme pour être vraisemblables. Et les traits des deux héros, Pierre et François, me paraissent un peu appuyés. Sans compter ce nom de Rupignac, qui sent son cliché : trop aristo d’opérette à mon goût[i]. Mais après tout, on rencontre parfois des personnes au nom invraisemblable, et il existe en Angleterre un mouvement chap, d’ailleurs évoqué dans Le Club des vieux garçons, qui prône « la révolution par le tweed »[ii]. Cela posé, personne ne demande à la réalité d’être vraisemblable[iii]. Tandis qu’au roman…
Cependant, cette intrigue, aussi bancale qu’elle soit, permet d’amener quelques morceaux assez réussis de descriptions et de dialogues. La description du « Relais du Bois » (où naît l’idée du club) et les répliques de la grand-mère du narrateur font partie de ces plaisirs. Toutes proportions gardées, il est permis de songer à l’attaque de L’Europe buissonnière[iv] ou à celle des Enfants du bon Dieu[v], d’Antoine Blondin, et aux répliques lâchées par quelques personnages des romans du même, où se mêlent intimement verdeur et préciosité.
Mais insistons : toutes proportions gardées. Louis-Henri de La Rochefoucauld force parfois un peu le trait, et se laisse aller ici et là à des facilités ou à des clichés qui sentent un peu leur journaliste[vi].
Il lui sera donc conseillé d’élaguer, d’acérer, de raboter, de polir, en un mot d’affiner son expression pour en faire un vrai style et devenir, pourquoi pas, un digne héritier de celui que Roger Nimier avait qualifié de « fondateur du blondinisme ». D’autant que Louis-Henri de La Rochefoucauld semble partager avec celui-ci un point de vue inquiet et parfois fâché sur la difficulté éprouvée par quelques-uns à entrer dans l’existence. Un sujet si grave, quand un romancier choisit de le parer des apparences de la légèreté, mérite une élégance irréprochable.


[i] On me répliquera qu’un vrai aristocrate comme Louis-Henri de La Rochefoucauld s’y connaît certainement en noms vraisemblables ou non. Eh bien pour ma part, en vrai roturier, je me verrais mal donner pour nom à un personnage de roman « François Rupignac », par exemple.
[ii] Programme qu’a priori je ne rejette pas.
[iii] La situation politique de la France en ce moment en est un exemple.
[iv] « Passé huit heures du soir, les héros de roman ne courent pas les rues dans le quartier des Invalides. »
[v] « Là où nous habitons, les avenues sont profondes et calmes comme des allées de cimetière. »
[vi] De fait, Louis-Henri de La Rochefoucauld officie à Technikart, Schnock et GQ, publications que mes yeux ne parcourent guère.

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