Avec un nom comme La
Rochefoucauld, si l’on veut trouver une place – même modeste – dans la
littérature, il est nécessaire d’être en mesure de s’élever à un certain
niveau. Pour cela, deux possibilités se présentent : la force ou la
légèreté. Probablement conscient de ses limites, Louis-Henri de La
Rochefoucauld paraît avoir choisi la seconde de ces options.
Que dire d’autre en effet
de l’argument de son Club des vieux garçons et du traitement de
celui-ci ? Le héros et narrateur en est François de Rupignac, dernier
rejeton d’une famille d’ancienne et illustre noblesse, qui se sent depuis la
plus tendre enfance une vocation de vieux garçon et n’éprouve guère d’attirance
pour les modèles contemporains de réussite sociale. Il a sous les yeux, il faut
en convenir, l’exemple de son oncle (ou plutôt grand-oncle) Albert, personnage
qui n’est pas sans rappeler en plus cossu ceux que l’on peut rencontrer dans Les
Célibataires de Montherlant. A l’adolescence, il rencontre Pierre, sorte de
cancre cultivé, moine-soldat sans monastère ou boxeur mystique qui se serait
trompé d’époque. C’est ensemble qu’après un dîner bien arrosé dans un discret
restaurant du XVIe arrondissement ils fonderont le club dont le roman tient son
titre. De réunion en réunion, les effectifs s’étoffent, des canulars bizarres
sont perpétrés, avant que d’autres chemins, plus féconds peut-être, ne
s’ouvrent à chacun des deux compères…
J’avoue avoir tiqué
devant un tel argument : ce club des vieux garçons et ses activités ont
quelque chose de trop énorme pour être vraisemblables. Et les traits des deux
héros, Pierre et François, me paraissent un peu appuyés. Sans compter ce nom de
Rupignac, qui sent son cliché : trop aristo d’opérette à mon goût[i]. Mais
après tout, on rencontre parfois des personnes au nom invraisemblable, et il
existe en Angleterre un mouvement chap, d’ailleurs évoqué dans Le
Club des vieux garçons, qui prône « la révolution par le tweed »[ii].
Cela posé, personne ne demande à la réalité d’être vraisemblable[iii].
Tandis qu’au roman…
Cependant, cette
intrigue, aussi bancale qu’elle soit, permet d’amener quelques morceaux assez
réussis de descriptions et de dialogues. La description du « Relais du
Bois » (où naît l’idée du club) et les répliques de la grand-mère du
narrateur font partie de ces plaisirs. Toutes proportions gardées, il est
permis de songer à l’attaque de L’Europe buissonnière[iv] ou à
celle des Enfants du bon Dieu[v],
d’Antoine Blondin, et aux répliques lâchées par quelques personnages des romans
du même, où se mêlent intimement verdeur et préciosité.
Mais insistons : toutes
proportions gardées. Louis-Henri de La Rochefoucauld force parfois un peu
le trait, et se laisse aller ici et là à des facilités ou à des clichés qui
sentent un peu leur journaliste[vi].
Il lui sera donc
conseillé d’élaguer, d’acérer, de raboter, de polir, en un mot d’affiner son
expression pour en faire un vrai style et devenir, pourquoi pas, un digne
héritier de celui que Roger Nimier avait qualifié de « fondateur du
blondinisme ». D’autant que Louis-Henri de La Rochefoucauld semble
partager avec celui-ci un point de vue inquiet et parfois fâché sur la
difficulté éprouvée par quelques-uns à entrer dans l’existence. Un sujet si
grave, quand un romancier choisit de le parer des apparences de la légèreté,
mérite une élégance irréprochable.
[i] On me répliquera qu’un
vrai aristocrate comme Louis-Henri de La Rochefoucauld s’y connaît certainement
en noms vraisemblables ou non. Eh bien pour ma part, en vrai roturier, je me
verrais mal donner pour nom à un personnage de roman « François
Rupignac », par exemple.
[ii] Programme qu’a priori je
ne rejette pas.
[iii] La situation politique
de la France en ce moment en est un exemple.
[iv] « Passé huit heures du soir, les héros de
roman ne courent pas les rues dans le quartier des Invalides. »
[v] « Là où nous habitons, les avenues sont
profondes et calmes comme des allées de cimetière. »
[vi] De fait, Louis-Henri de
La Rochefoucauld officie à Technikart,
Schnock et GQ, publications que mes yeux ne parcourent guère.
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