vendredi 21 avril 2017

Pas de hasard dans ma bibliothèque

Entendons-nous : il y a bibliothèque et bibliothèque. Celle que l’on a chez soi n’est souvent que peu de chose devant les bibliothèques publiques, universitaires, ou simplement celles des lycées.
Pour ce qui est de ces dernières, je garde un souvenir attendri de celle du lycée Condorcet, que je fréquentai il y a environ un quart de siècle. Ce souvenir se confond avec celui que j’ai du parloir, que j’avais évoqué ici naguère.
Mais pour l’heure je m’en tiendrai à ma bibliothèque. Elle est vivante, et toujours croissante. La trouver abondante serait n’avoir jamais vu celle d’un vrai lettré. Disons que je suis encore d’âge moyen. S’y côtoient évidemment des livres achetés neufs ou d’occasion, unis par la grise poussière parisienne – les livres d’occasion ont une petite avance, ayant goûté à l’air des quais, dans les boîtes des bouquinistes. S’y ajoutent les butins de quelques pillages de bibliothèques, choses faussement menues laissées derrière eux par quelques proches regrettés ou par ceux de chers et vieux amis…
En mettant de l’ordre dans mes rayonnages ces derniers jours, je suis tombé ainsi sur un recueil de poésies de Rimbaud. Avait-il jauni chez mes grands-parents ou chez ceux d’un ami qui m’avait autorisé quelques prélèvements, je l’ai oublié. C’est une édition plutôt bon marché (le prix au dos est de trois cents anciens francs) qui n’est pas entièrement coupée…
Faut-il présenter ce mauvais sujet (et grand poète) que fut Arthur Rimbaud ? N’insistons pas : l’œuvre est encore appréciée et l’homme connaît son châtiment, qui consiste à être devenu une attraction touristique de Charleville. N’accablons pas non plus cette noble cité, qui n’est pas dépourvue de charmes, ceux de la place ducale par exemple : une sorte de place des Vosges en réduction, laissée dans son jus.
Mais revenons à ce voyou de Rimbaud qui, en 1870, savait scandaliser le bourgeois (ou espérait le scandaliser) en s’affichant républicain (ou en se rêvant tel). Ouvrant mon recueil au petit bonheur alors que j’étais en train de le classer, je suis tombé page 37 sur un sonnet dont voici l’antépénultième vers :
« Nous vous laissions dormir avec la République »
Drôle de vers, s’il est pris ainsi, isolé du reste : s’agissait-il de laisser dormir les chimères républicaines qui agitaient, en ce second empire finissant, quelques esprits souvent tout aussi bourgeois que ceux que Rimbaud espérait scandaliser ? Point, j’en ai peur, puisque ce vers est suivi de
« Nous couchés sous les rois comme sous une trique »
et que ces « vous » à qui Rimbaud s’adresse sont, dès le premier vers, nommés :
« Morts de Quatre-vingt-douze et de Quatre-vingt-treize »
qui ne sont pas les victimes des sanglants massacres révolutionnaires, mais les
« Morts de Valmy, morts de Fleurus, morts d’Italie »
Il ne fallait donc pas compter sur Arthur Rimbaud pour aider à faire remonter Henri V sur le trône. Ah, le décevant garnement !
Cela dit, ce recueil porte un achevé d’imprimer de mai 1958, ce que je trouve assez amusant.

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