samedi 29 avril 2017

Objection de conscience

On nous l’avait assez répété, jusqu’au soir du 23 avril : avec onze candidats à l’élection présidentielle, nous avions l’embarras du choix. A tel point que nous avaient été indiqués quels candidats étaient importants ou ne l’étaient pas. A force de bourrer le crâne des électeurs (à défaut de pouvoir bourrer les urnes, ce qui eût été tentant), sondeurs et commentateurs ont eu la joie de se découvrir les auteurs d’une prophétie auto-réalisatrice. De sorte que nous voici plutôt devant le choix de l’embarras.
Il y a, certes, le moindre mal : voter Macron pour barrer la route à Mme Le Pen, ou voter Le Pen pour barrer la route à M. Macron. Car, enfin, le Front National et sa candidate ne sauraient être compatibles avec notre goût pour la charité, notamment en ce qui concerne l’accueil des étrangers ; et ils traînent toujours avec eux une (plus ou moins) vieille garde pas toujours[i] recommandable. Oui, mais quand même, quelle confiance accorder à M. Macron, freluquet vociférant, l’air halluciné, des hymnes au libéralisme intégral, nourri au lait des transactions boursières, adoubé par M. Hollande et soutenu par MM. Bergé, Attali et aliis ? Faut-il s’inoculer la peste dans l’espoir de ne pas périr du choléra[ii], ou l’inverse ?
Peut-être nous sentons-nous plus ou moins d’affinités avec tel ou tel politique, peut-être avons-nous voté ce 23 avril pour tel ou tel candidat désormais éliminé, qu’il ait été classé à droite ou à gauche, petit ou grand. Peut-être « notre » candidat a-t-il même choisi de se rallier à l’un ou à l’autre des « finalistes », ou a-t-il manifesté son intention de voter pour l’un ou pour l’autre, voire conseillé de la faire ?
Il y a évidemment le cas pathétique de M. Fillon, couvert de boue pendant des mois par les amis de M. Macron (et vraisemblablement pas que par eux), raillant celui-ci (probablement à juste titre) comme étant le dauphin de M. Hollande et, dans la demi-heure suivant les résultats du premier tour, appelant à voter pour lui. Mais ne parlons plus de M. Fillon, ayons pitié de lui. Ayons pitié, de manière générale, des « républicains » et même du parti dit socialiste.
Plus spectaculaire est le cas de M. Dupont-Aignan, qui se rêve déjà en premier ministre de Mme Le Pen. Fait curieux, voilà un homme courageux jusque-là, qui va à la soupe – ou à la gamelle, comme on voudra[iii]. Passer de propositions intéressantes à leur caricature la plus grossièrement démagogique est plutôt décevant de sa part. N’étant pas d’esprit partisan ni militant, nous nous remettrons de cette déception.
De tels exemples incitent à ne pas accorder d’importance aux choix ou aux ralliements de « nos » candidats. Nous sommes libres et majeurs. Seul M. Mélenchon, parmi les candidats ayant eu quelque audience, semble l’avoir compris.
Restent le front républicain et les allusions affligeantes aux heures les plus sombres, etc. : vieilles ficelles qui prennent de moins en moins pour nous représenter le Front National comme une entreprise satanique. Il y a quelque chose d’indécent à voir M. Macron se pavaner à Oradour-sur-Glane. Le truc finit d’ailleurs par se voir, y compris en ce qui concerne le Front National : depuis environ trente ans, on le gonfle ; c’est l’adversaire idéal ; ce sont les méchants du film. De sorte que le meilleur moyen de gagner une élection sans avoir à se justifier de son bilan ou de ses intentions consiste à faire en sorte de l’avoir face à soi : moi ou le fascisme, que les consciences se mobilisent[iv] ! Le Front National n’est pas en reste, ce ramassis hétéroclite de colères et de peurs ayant prospéré sur cette stratégie de gribouilles. En somme, il est devenu un instrument du « système » qu’il prétend combattre[v].
Alors, quel est le moindre mal ? Faut-il voter pour l’un afin d'éviter l’autre ? Pour ma part, ma conscience me dit : non possum. Il vaut mieux songer aux élections législatives. Sans compter toutes sortes d’engagements, autres que politiques. Même les plus humbles.


[i] J’ai bien écrit pas toujours.
[ii] Certains préfèrent parler de grippe que de choléra, sans doute pour se résoudre à voter, la mort dans l’âme, pour M. Macron. Ils oublient que de nos jours la grippe tue plus que la peste en France.
[iii] M. Dupont-Aignan a souvent été fort critique à l’égard du Front National. Tout comme M. Bayrou le fut naguère à l’égard de M. Macron.
[iv] Le truc durera ce qu’il durera. Ce pari semble de plus en plus risqué pour nos chers politiciens, mais ils le répètent, pour l’instant jusqu’à l’écœurement, et le répèteront avec sans doute plusieurs échecs, n’ayant aucune espèce d’imagination.
[v] Ce rôle d’épouvantail, bien commode, est décrit ici de manière intéressante, sur le blogue Le temps d’y penser.

vendredi 21 avril 2017

Pas de hasard dans ma bibliothèque

Entendons-nous : il y a bibliothèque et bibliothèque. Celle que l’on a chez soi n’est souvent que peu de chose devant les bibliothèques publiques, universitaires, ou simplement celles des lycées.
Pour ce qui est de ces dernières, je garde un souvenir attendri de celle du lycée Condorcet, que je fréquentai il y a environ un quart de siècle. Ce souvenir se confond avec celui que j’ai du parloir, que j’avais évoqué ici naguère.
Mais pour l’heure je m’en tiendrai à ma bibliothèque. Elle est vivante, et toujours croissante. La trouver abondante serait n’avoir jamais vu celle d’un vrai lettré. Disons que je suis encore d’âge moyen. S’y côtoient évidemment des livres achetés neufs ou d’occasion, unis par la grise poussière parisienne – les livres d’occasion ont une petite avance, ayant goûté à l’air des quais, dans les boîtes des bouquinistes. S’y ajoutent les butins de quelques pillages de bibliothèques, choses faussement menues laissées derrière eux par quelques proches regrettés ou par ceux de chers et vieux amis…
En mettant de l’ordre dans mes rayonnages ces derniers jours, je suis tombé ainsi sur un recueil de poésies de Rimbaud. Avait-il jauni chez mes grands-parents ou chez ceux d’un ami qui m’avait autorisé quelques prélèvements, je l’ai oublié. C’est une édition plutôt bon marché (le prix au dos est de trois cents anciens francs) qui n’est pas entièrement coupée…
Faut-il présenter ce mauvais sujet (et grand poète) que fut Arthur Rimbaud ? N’insistons pas : l’œuvre est encore appréciée et l’homme connaît son châtiment, qui consiste à être devenu une attraction touristique de Charleville. N’accablons pas non plus cette noble cité, qui n’est pas dépourvue de charmes, ceux de la place ducale par exemple : une sorte de place des Vosges en réduction, laissée dans son jus.
Mais revenons à ce voyou de Rimbaud qui, en 1870, savait scandaliser le bourgeois (ou espérait le scandaliser) en s’affichant républicain (ou en se rêvant tel). Ouvrant mon recueil au petit bonheur alors que j’étais en train de le classer, je suis tombé page 37 sur un sonnet dont voici l’antépénultième vers :
« Nous vous laissions dormir avec la République »
Drôle de vers, s’il est pris ainsi, isolé du reste : s’agissait-il de laisser dormir les chimères républicaines qui agitaient, en ce second empire finissant, quelques esprits souvent tout aussi bourgeois que ceux que Rimbaud espérait scandaliser ? Point, j’en ai peur, puisque ce vers est suivi de
« Nous couchés sous les rois comme sous une trique »
et que ces « vous » à qui Rimbaud s’adresse sont, dès le premier vers, nommés :
« Morts de Quatre-vingt-douze et de Quatre-vingt-treize »
qui ne sont pas les victimes des sanglants massacres révolutionnaires, mais les
« Morts de Valmy, morts de Fleurus, morts d’Italie »
Il ne fallait donc pas compter sur Arthur Rimbaud pour aider à faire remonter Henri V sur le trône. Ah, le décevant garnement !
Cela dit, ce recueil porte un achevé d’imprimer de mai 1958, ce que je trouve assez amusant.

lundi 17 avril 2017

Professions de foi

Les calendriers se superposent, se croisent se rencontrent ou s’évitent. A moins qu’ils ne fassent que coïncider. Pour les uns, dimanche 9 avril, c’était le moment d’aller à quelque gros meeting, pour d’autres (dont votre serviteur), c’était le dimanche des Rameaux. Ainsi, nous entrions dans la Semaine sainte tandis que temps de la campagne électorale officielle allait commencer.
Les campagnes électorales peuvent être amusantes ou affligeantes, selon l’humeur où l’on se trouve. Lorsqu’il s’agit d’une élection présidentielle, nous recevons par la poste les professions de foi[i] des candidats. Professions de foi, vraiment ? On dit aussi programmes. Dans le premier cas, que m’importent les épanchements supposés de l’âme de tel ou tel ? Et qui me dit si ces épanchements sont sincères ou s’ils ne résultent pas du désir d’éveiller la sympathie de quelques catégories d’électeurs soigneusement caractérisées et choisies[ii] ? Dans le second, on hésite entre l’indifférence devant de vagues semblants d’orientations – en rupture avec le système, bien entendu – et l’ennui devant des propositions de mesures comptables chiffrées et détaillées – conséquence du caractère « républicain » de nos intentions, où tous les candidats paraissent aspirer à un poste de super-chef de bureau plutôt que de chef d’Etat.
(Soit dit en passant, cette dernière observation me paraît un argument de plus en faveur de la royauté, outre qu’elle pourrait nous éviter ce coûteux et lassant cirque électoral.)
Mais bon, une fois de plus, j’irai voter, histoire d’avoir moralement le droit de protester ensuite si c’est nécessaire, c’est-à-dire si une mesure du gouvernement me déplaît (et non si la tête du nouveau président me déplaît). Le premier tour le permettant, je ne me précipiterai pas sur quelque vote utile, argument qui permet de perpétuer tous les conformismes : il n’y a pas a priori de gros ou de petits candidats.
Il importe aussi de nous garder de toute illusion : quel que soit le vainqueur de cette élection, nous ne verrons pas à partir du 8 mai 2017[iii] les saucisses pousser aux arbres ni des nuées de sauterelles subitement ruiner les récoltes de notre pays. Les possibilités sont bien sûr plus ou moins heureuses, mais il ne faut en attendre ni miracle ni abomination. S’y attendre serait peut-être bien une forme de religiosité dévoyée, ce mal qui frappe les esprits partisans.
Mais, à propos de religiosité (pas dévoyée, celle-là), comme dit plus haut, le début officiel de cette campagne a coïncidé avec la Semaine sainte. Elle se poursuit, tandis que nous sommes entrés dans le temps de Pâques.
Et là, force m’est de reconnaître une toute autre royauté, une toute autre souveraineté, faite de don infini. De me réjouir et d’espérer d’une manière que n’égaleront jamais quelques engouements politiques passagers, en songeant à la résurrection du Christ, seule révolution digne de ce nom (et digne d’intérêt)[iv].
Quant à la politique ? Je n’en désespère pas, certes, mais je crois savoir à quoi m’en tenir[v]. Cela posé, joyeuses Pâques !


[i] Encore une de ces locutions profanées dont j’avais bavardé ici il y a longtemps…
[ii] De celles qui rêvent d’un candidat qui leur ressemble ?
[iii] Ou, pour les plus acharnés des nuitdeboutistes, le 403 mars 2016 : poids d’un engouement politique…
[iv] Que cette joie et cette espérance touchent aussi ceux des chrétiens qui sont persécutés et assassinés de par le monde, comme en Egypte le jour des Rameaux : Pâques est pour eux en particulier ! Les victoires que revendiquent leurs assassins sont sans doute dérisoires…
[v] Voir ici d’édifiants propos du père abbé de Sainte Madeleine du Barroux à ce sujet, relevés par P. de Plunkett.

mardi 4 avril 2017

« Le Grand Paris » (Aurélien Bellanger)

Ce ne sont pas les politiciens qui nous contrediront : les chiffres parlent d’eux-mêmes. Entendons-nous cependant : il faut bien les y aider un peu de temps en temps, en évitant autant que possible d’avoir recours à la torture.
Ainsi, les chiffres sont formels en ce qui concerne l’œuvre romanesque (encore peu fournie, si j’ose dire) d’Aurélien Bellanger[i] : si mes calculs sont justes, le nombre moyen de pages de ses trois romans est proche de 481, avec un écart-type de 4,5 environ et un coefficient de variation d’à peu près 0,9%. Ne nous affolons pas, cette population étant certainement trop réduite pour être déjà significative. Mais avec les 477 pages du Grand Paris, force nous est de reconnaître qu’Aurélien Bellanger est fidèle à lui-même ou, pour être plus prudent, qu’il est bien engagé sur cette voie.
Selon des critères plus littéraires, fidèle, Bellanger l’est bien : les lecteurs du Grand Paris y trouveront le même genre de récit et d’atmosphère que dans La Théorie de l’information et L’Aménagement du territoire. Ici, nous assistons à l’ascension, à la chute et au rebond d’un jeune bourgeois né dans la banlieue ouest, assez banal au premier abord – jusque apparemment dans son nom : Alexandre Belgrand[ii].
Pendant ses études de commerce, Alexandre Belgrand est repéré par un de ses professeurs, sorte de vieux situ devenu conseiller occulte d’un politicien de droite, qui le pousse à entamer sous sa direction une thèse d’urbanisme. Ce travail, qui porte pourtant sur Paris, sera l’occasion d’un détour par le désert algérien avant de le mener à l’Elysée, dans l’équipe du nouveau président de la république, qui ne nous est connu que par un surnom : le Prince. Il deviendra bientôt l’un des artisans du projet de Grand Paris, avant d’être congédié un beau jour parce qu’il faut bien trouver quelqu’un pour assumer une légèreté du Prince. Récupéré par un politicien sur le retour, il intègrera plus modestement des réseaux où se mêlent islam et nouvelles technologies…
En peu de mots, cela peut sembler peu de chose. Mais c’est l’occasion pour Aurélien Bellanger de tailler un pavé de plus, dense, lisse et régulier en apparence, mais truffé de détails pour le moins tortueux, voire baroques. En résumé, le monde et son histoire ne sont pas ce que nous pourrions croire ; tout se trame de manière souterraine, au figuré mais aussi au propre, y compris les fêtes des jeunes conseillers du Prince, brefs moments de débauche entre deux journées harassantes ; hors des souterrains, le cours des choses se décide dans des déserts, des terrains vagues ou des immeubles voués à la destruction, entre deux bretelles d’autoroute (Belgrand fera en l’un de ces lieux – ou non-lieux à nos yeux naïfs de non-initiés – la découverte d’un secret concernant son défunt grand-père). Les enjeux politiques sont naturellement différents eux aussi de ce qu’ils nous paraissent, ainsi que les acteurs de tous ces événements. Ce sont les conseillers ou les technocrates qui configurent et reconfigurent l’espace, les villes et les campagnes, y compris dans de mystérieuses galeries. Alors la gauche, la droite… Les politiciens n’ont qu’à dire ce qui leur est dicté.
Bien entendu, les combats que se livrent entre eux ces vrais acteurs ne sont pas neufs : sous des chantiers archi-modernes se cachent le plus souvent des fondements archaïques. Cet aspect ne surprendra pas ceux qui auront lu L’Aménagement du territoire – jusque dans l’évocation, au détour d’un tunnel, d’un chantier du groupe Taulpin : naissance d’un univers romanesque cohérent ?
On pourra voir dans le dénouement du Grand Paris un clin d’œil « en négatif » à Soumission, de Houellebecq[iii]. Peut-être s’agit-il d’autre chose : islam et nouvelles technologies, n’est-ce pas encore une alliance entre l’hypermodernité et une culture que nous considérons comme archaïque ? Notons que dans les derniers chapitres une influence américaine sur cette évolution est évoquée : théorie du complot sur ce que serait le vrai « grand remplacement » ?
Décidément fidèle à lui-même, Aurélien Bellanger écrit ici encore dans une langue – plutôt qu’un style – classique, sage, pas désagréable à lire, plus claire qu’éblouissante. Il donne cependant libre cours à ses talents de pasticheur lorsque parle M. Nicloas Sark…, pardon, le Prince.
Voilà donc un morceau de plus d’un romancier qui bâtit une œuvre, voire un genre per se, avec une cohérence qui pourrait aussi bien être celle d’un délire paranoïaque présenté de manière fort convenable. Avec un brin d’autodérision (fort implicite), peut-être ?
Ces hypothèses seront à vérifier dans l’œuvre future d’Aurélien Bellanger. Critiques et statisticiens auront du travail.


[i] La Théorie de l’information (2012), L’Aménagement du territoire (2014), deux romans dont il a été question ici, et Le Grand Paris (2016).
[ii] Peut-être ce nom n’est pas si banal que cela : nous cache-t-il quelque réminiscence d’un roi macédonien connu pour son ambition ?
[iii] Voir ici.