C’est sous le cri de
ralliement de « Stop au Hollande-bashing ! » qu’est paru,
dimanche 20 novembre, dans le Journal du dimanche, un appel signé par
quelques célébrités ou, pour présenter mieux, quelques personnalités du monde
artistique et culturel. Sans préjuger du mérite artistique de ces personnalités[i],
qu’il nous soit permis de douter de leur maîtrise du français, puisqu’elles ont
accepté de publier leur appel sous un titre non seulement saturé de franglais[ii] mais
dont le vocabulaire traduit une soumission assez servile à la mode.
Soyons juste et rappelons
le titre entier de cet appel[iii] :
Une soixantaine de personnalités disent « stop au
Hollande-bashing ! ».
Commençons par la
question du franglais : stop peut facilement être remplacé par halte ;
quant à bashing, la consultation d’un dictionnaire anglais-français nous
apprend qu’au sens propre ce mot peut signifier rossée, raclée ou
dérouillée et, au sens propre, dénigrement systématique. Le Journal
du dimanche eût donc pu titrer : Une soixantaine de personnalités
disent : « halte au dénigrement systématique du président
Hollande ! », ou encore, pour éviter ce lourdingue style
direct : Une soixantaine de personnalités protestent contre le
dénigrement systématique du président Hollande.
Cette dernière
formulation, gageons-le, n’aurait pas les faveurs d’un rédacteur en chef. Tant
pis, dédisons-nous et passons par le style direct pour imaginer sa
réaction : « Pas très punchy, ça. Ça manque de "peps",
coco. On dirait un titre du Monde dans les années 70. » Et voilà
comment on en vient à user jusqu’à l’écœurement de termes à la mode, comme bashing.
C’est probablement vers
2003 que ce mot a débarqué sur nos rivages pour envahir la langue des
journalistes. C’était à l’époque où M. George W Bush[iv] avait
décidé de semer définitivement la pagaille au Proche-Orient. On sait que la
France manifesta son refus de suivre nos amis américains par la voix un peu
ampoulée de M. de Villepin[v]. On
sait aussi de quelle campagne de dénigrement notre pays fit l’objet alors aux
Etats-Unis, jusque dans les détails les plus futiles[vi]. On
nomma cela le French-bashing. Et le mot bashing fut accommodé depuis
à toutes les sauces.
Bien entendu, écrire Hollande
bashing au lieu de dénigrement systématique du président Hollande donne
à cet appel le caractère dérisoire de ce qui suit la mode. Mais le choix de ce
titre illustre fort bien le passage (définitif ?) du peuple de gauche,
cher à feu Pierre Mauroy, aux people de gauche. La tendance a dû
s’amorcer il y a une trentaine d’années, quand François Mitterrand adopta des
poses d’oracle sibyllin mais éclairé de la gauche.
Observons que parmi les
signataires de cet appel se trouve l’inévitable Jean-Michel Ribes, qui passa
tout le quinquennat de M. Sarkozy à tourner ce dernier en dérision, le tout
dans un théâtre subventionné, bien au chaud. Le voilà donc qui reproche à
d’autres de faire ce qu'il fit naguère, cinq ans durant.
Du reste, M. Hollande
fait-il réellement l’objet d’un dénigrement systématique de toutes parts ?[vii]
Nous ne le croyons pas : c’est plutôt de dérision ou de ridicule qu’il
faudrait parler. La chose est d’ailleurs peu recommandable, car peu charitable,
peu constructive, peu élégante parfois et témoignant d’une inspiration qui tend
de plus en plus à se tarir. Sans compter le risque de sombrer dans un état qui
tiendrait autant du cynisme que de la déprime. Ne perdons donc pas notre temps
à ridiculiser nos politiciens. Ils s’en chargent fort bien eux-mêmes.
Laissons-les exercer leurs compétences.
[i] Catherine Deneuve, qui
figure en bonne place parmi les signataires, fut autrefois admirable, dans La vie de château ou La sirène du Mississipi, par exemple.
[ii] Parmi ces personnalités
se trouvent certainement quelques partisans de l’exception culturelle
française. Félicitons-les pour ce combat, mais invitons-les aussi à un peu de
cohérence.
[iii] Et contentons-nous de ce
titre. Le reste est pitoyable. Ceux qui insistent pourront aller voir ici.
[iv] A côté de qui, en matière
d’imbécillité politique, M. Donald J Trump fait figure d’amateur. De riche
amateur, certes, mais d’amateur quand même.
[v] Reconnaissance perpétuelle
à lui et à M. Chirac pour cela, malgré à peu près tout le reste.
[vi] Certains ordinaires, mess
et cantines américains cessèrent, dit-on de servir des frites (y compris,
probablement, en doubles rations) sous l’appellation French fries, les nommant désormais freedom fries. Le diable est dans les détails, la stupidité aussi.
[vii] La même question peut
être posée en ce qui concerne M. Sarkozy.