Prendre le temps de
livrer quelques réflexions sur un récent propos de M. Sarkozy est un exercice
périlleux : le temps de mettre de l’ordre dans nos idées et de les
formuler, l’intéressé aura déjà dit autre chose. Par exemple, parler
aujourd’hui de M. Sarkozy et des Gaulois ne présente-t-il pas un risque de
paraître démodé, tellement lundi dernier ? Tant pis, prenons-le.
Donc, lundi 19 septembre,
M. Sarkozy, en campagne électorale (mais cela doit être de naissance),
déclarait que « dès que l’on devient Français, nos ancêtres sont
Gaulois ». Passons sur le solécisme qui fait peuple[i] (confusion
de nous et de on) et contentons-nous d’observer que l’effet recherché a
été atteint : scandale à gauche (surtout), où les machines à s’offusquer
se sont offusquées, ce qui a permis de parler pendant quelques jours de M.
Sarkozy.
Il n’y a évidemment pas
que du faux dans ces récents propos : s’il s’agit de dire que les immigrés
et leurs descendants auraient tout à gagner en apprenant, en assimilant, et
pourquoi pas en l’aimant, l’histoire de France, c’est assez juste. Mais de là à
répéter une vieille scie de la IIIe république[ii],
c’est faire bon marché d’une riche histoire, qui eût d’ailleurs pu être pour M.
Sarkozy l’occasion de prononcer, l’œil luisant, un beau discours bien lyrique[iii].
La presse française a
donc bruissé d’une question essentielle en ce moment : descendons-nous des
Gaulois ? Divers avis se confrontent, voire s’opposent. On peut soupçonner
qu’ils le font parfois avec passion et fracas.
Pour ma part, il ne me
déplaît pas d’imaginer que, pour ma part française[iv], je
descends peut-être de quelques Rutènes, Ambiens ou Atrébates (j’hésite), Leuces
et Triboques… Certes, mais aussi de quelques Ligures, Francs, Alamans :
pas très Gaulois, ceux-là. Cette affaire d’ancêtres est donc compliquée, et en
fait assez futile : c’est qu’entre-temps la France a fini par apparaître,
et par avoir l’histoire que nous savons (ou que nous devrions savoir), bien
plus intéressante si nous la considérons du point de vue de notre identité.
Du reste, les Gaulois, ce
n’est jamais que le nom donné par les Romains à ceux que les Grecs nommaient
les Celtes : il y en eut en gros tout le long du Danube. Certes, la France
est pleine de villes dont les noms témoignent d’une ancienne présence gauloise.
Mais il en va autant du Portugal, de l’Allemagne (au Sud), de l’Italie (au
Nord) ou de l’Autriche : allez donc faire un tour à Bragance, à
Ratisbonne, à Milan ou à Vienne ! Limiter « la Gaule » à un
territoire qui eut le bon – ou le mauvais – goût de correspondre vaguement à
celui de la France actuelle ne fut, dit-on, qu’une astuce de Jules César pour
rassurer le Sénat romain lorsqu’il manifesta l’ambition d’envahir « la
Gaule » : quoi, toute la Gaule ?
Cela étant posé, j’aime
assez, depuis l’enfance, cette blague : les Gaulois épousaient des
Gauloises, dont ils avaient des enfants qu’ils appelaient les mégots[v].
Enfin… il faut croire
qu’il n’y a pas de questions plus urgentes en France que celle-là en ce moment.
Le burkini fait sérieux à côté. Les plus cultivés pourront nommer cela du
byzantinisme. Peut-être auront-ils tort : passer son temps à des querelles
stériles était paraît-il chose courante chez les Gaulois.
Mais bon : M.
Sarkozy a fait parler de lui, et n’est-ce pas cela qui comptait ? Au point
de faire oublier que M. Hollande s’est vu décerner cette semaine le titre d’homme
d’Etat de l’année par quelques distingués vieillards américains. Ce qui
prouve que l’on peut être vieillard, distingué et Américain et demeurer
facétieux. Sans aucune gauloiserie, du reste.
[i] A tant parler d’ancêtres,
cela me rappelle que j’avais une arrière-grand-mère qui prononçait ce
mot : pop et que chez elle il y
avait de jolis mobs. Parler populaire
parisien à peu près éteint aujourd’hui.
[ii] Un bon aperçu de ce mythe
est donné ici par Patrice de Plunkett. A nuancer cependant, la revendication
d’une ascendance gauloise ayant été un trait révolutionnaire et aussi un dada
de Napoléon III.
[iii] Mais bon, peut-être le
lyrisme a-t-il fui M. Sarkozy, depuis sa brouille avec M. Guaino…
[iv] J’ai quelques origines
étrangères. Faut-il que j’évoque mes ancêtres les Goths restés au pays ?
[v] Soit dit en passant, mégot est un des rares mots français
d’origine gauloise.