A-t-on découvert l’Islande ?-
Autant l’avouer tout de
suite : le foutebôle ne m’ennuie même pas, il m’indiffère. Peut-être l’apparente
simplicité de ce jeu en est-il une raison. Ajoutons à cela que c’est l’un des
sports où l’argent a fait le plus de dégâts et que nos minuscules politiciens
espèrent exploiter le plus possible, et l’on comprendra que l’Euro 2016
devrait me laisser de marbre.
Ou presque : comme
tout un chacun, j’ai entendu parler des « exploits » de l’équipe d’Islande,
auxquels nos vaillants « bleus » à nous tous ont mis un terme. Je n’ai
vu aucune des rencontres où cette équipe a tenu tête à quelques sélections de
multimillionnaires aussi blasés que coiffés en dépit du bon goût, et les finesses
techniques du foutebôle m’échappent. Cependant, ces Islandais m’ont paru sympathiques.
Je crois d’ailleurs ne pas être le seul à avoir été sensible à leur allant, à
leur fraîcheur, si j’ose dire.
Cette sympathie a donné
lieu à une brève vague d’islandophilie chez nous, nourrie bien entendu de
clichés plus ou moins vrais.
Ainsi, en résumé, on
trouverait en Islande un volcan ou un geyser à chaque coin de rue ; ces
splendeurs naturelles auraient toutes des noms plus imprononçables les uns que
les autres, de même que les Islandais. Cela serait dû à la langue dont font
usage les habitants de ce rude pays, langue qui se nomme fort à propos l’islandais
et qui est, comme chacun le sait, imprononçable. Quant aux Islandais, ceux qui
n’élèvent pas de moutons sont partis pêcher la morue (ou jouer au foutebôle). Ils
sont tous encore plus immenses que leurs barbes blondes de Vikings. Car ce sont
des Vikings, ce qui explique leur allant et leur résistance au climat
impossible de leur pays. Et, en bons Vikings, ils ont le verbe haut, mais bref
en raison du caractère imprononçable, déjà évoqué, de leur langue.
Ayant personnellement
quelques origines scandinaves, je me sens quelque peu leur cousin. Mais nos
cousins islandais nous sont assez exotiques aussi, à nous autres Scandinaves. Nous
avons donc nous aussi nos clichés sur les Islandais ; voulez-vous en
profiter ?
En ce qui concerne leurs
moutons, leur laine permet la confection d’extraordinaires chandails épais et
gras qui résistent au froid et à la pluie ; ils ont un autre mérite, plus
étrange : les mites les trouvent parfaitement indigestes. Dans la faune
domestique islandaise, ajoutons de petits chevaux aux crins interminables.
Quant à la langue
islandaise, elle n’est pas nécessairement imprononçable (un peu, quand même) ;
non, elle est simplement archaïque, et peut-être plus « pure » et « nordique »
que, disons, le suédois ou le danois. D’ailleurs, c’est la langue des sagas –
en prose ou en vers – dont le style est riche en circonlocutions posées là pour
le plaisir. Ces Islandais sont des fous et des poètes.
Mais il suffit. Ces clichés,
pas entièrement faux, font à l’Islande comme une virginité… peut-être usurpée :
les Islandais sont des hommes.
Retenons-en quand même le
parcours d’une équipe courageuse et réunie par le plaisir de jouer :
peut-être est-ce ce véritable esprit sportif qui aura permis à ces joueurs
(dont tous n’étaient pas, me suis-je laissé dire, professionnels) de surprendre
quelques gladiateurs bien huilés. Mais le spectacle du sport contemporain a
repris ses droits, tout est rentré dans l’ordre[i].
Si c’est le cas,
souhaitons à ces vrais sportifs de ne pas avoir été grisés, voire corrompus,
par ce succès momentané.
Michel Rocard-
Michel Rocard était-il
secrètement islandais ? Certes, il n’était ni grand ni barbu : ce n’était
visiblement pas un Viking. Cependant, pour le citoyen moyen (moi, par exemple),
il laisse le souvenir de discours longs, abscons et tortueux, prononcés avec
des sonorités bizarres : un scalde passé par l’ENA et l’inspection des
finances ? Peut-être détonnait-il dans la faune politique française :
on ne saurait le qualifier de démagogue, d’arriviste ou de tête vide dépourvue
de vision à long terme[ii],
pour peu que l’on ait compris quelque chose à ses propos ou à ses actes, et
quoi qu’on en pense. Pareil à un foutebôleur islandais, il est parvenu à un
niveau honorable avant que les gladiateurs de service n’y mettent bon ordre.
L’éloge funèbre fait
souvent du défunt un géant, sur les épaules duquel seraient perchés les
survivants inconsolables, prompts à se comparer à des nains à cette occasion. Si
le second terme de cette comparaison paraît juste, disons que, dans le cas de
Michel Rocard, il faudrait parler d’un homme normal.
Naturellement, chez nos
politiciens, chacun se dit désormais l’héritier de Michel Rocard. Ben voyons.
Michael Cimino -
Le même jour (ou à peu
près) que Michel Rocard s’éteignait Michael Cimino. Je n’ai le souvenir d’avoir
vu que l’un de ses films, Voyage au bout de l’enfer[iii]. Si
vous ne l’avez jamais vu, trouvez le moyen de le faire : pour faire bref,
ce film est beau, émouvant et fou.
Michael Cimino avait,
paraît-il, la réputation de ruiner les producteurs de Hollywood, qui ont fini
par se lasser des coûts exorbitants de ses films et de leur faible retour sur
investissement. Peut-être y avait-il un malentendu entre ces producteurs et lui :
Cimino était probablement un vrai artiste. Mais les studios américains ont su y
mettre bon ordre, encore une fois. Ce qui fait de Michael Cimino un membre
honoraire de plus, à titre posthume hélas, de l’équipe islandaise de foutebôle.
Alors, vive l’Islande,
monsieur !
[i] Pas tout à fait, si j’en
crois une définition du foutebôle, jeu qui se joue à onze contre onze avec un
ballon rond et des filets sur un terrain de pelouse, à l’issue duquel les
Allemands l’emportent. Mais je trouve que la consonance du nom du buteur
français tant vanté par la presse a quelque chose d’allemand. Alors…
[ii] Ce qui rappelle un propos
de George Orwell, décrivant en janvier 1944 des députés à la chambre des
Communes : « … on ne peut distinguer un parti d’un autre. Ce n’est qu’un
ramassis d’hommes d’aspect médiocre vêtus de miteux costumes sombres, parlant
presque tous avec le même accent et riant tous aux mêmes plaisanteries. Je puis
affirmer, toutefois, qu’ils n’ont pas autant l’air d’une bande d’escrocs que ne
l’avaient les députés français. » (traduction par moi de : “… you can’t tell one party from another. It is just a collection of mediocre-looking men in dingy, dark suits,
nearly all speaking in the same accent and all laughing at the same jokes. I may
say, however, that they don’t look such a set of crooks as the French deputies
used to look.”
[iii] Curieux titre français. Le
titre original de ce film est The Deer
Hunters : Les Chasseurs de cerfs
eût-il été un titre trop énigmatique ?
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