vendredi 8 juillet 2016

Vive l’Islande, monsieur !

A-t-on découvert l’Islande ?-
Autant l’avouer tout de suite : le foutebôle ne m’ennuie même pas, il m’indiffère. Peut-être l’apparente simplicité de ce jeu en est-il une raison. Ajoutons à cela que c’est l’un des sports où l’argent a fait le plus de dégâts et que nos minuscules politiciens espèrent exploiter le plus possible, et l’on comprendra que l’Euro 2016 devrait me laisser de marbre.
Ou presque : comme tout un chacun, j’ai entendu parler des « exploits » de l’équipe d’Islande, auxquels nos vaillants « bleus » à nous tous ont mis un terme. Je n’ai vu aucune des rencontres où cette équipe a tenu tête à quelques sélections de multimillionnaires aussi blasés que coiffés en dépit du bon goût, et les finesses techniques du foutebôle m’échappent. Cependant, ces Islandais m’ont paru sympathiques. Je crois d’ailleurs ne pas être le seul à avoir été sensible à leur allant, à leur fraîcheur, si j’ose dire.
Cette sympathie a donné lieu à une brève vague d’islandophilie chez nous, nourrie bien entendu de clichés plus ou moins vrais.
Ainsi, en résumé, on trouverait en Islande un volcan ou un geyser à chaque coin de rue ; ces splendeurs naturelles auraient toutes des noms plus imprononçables les uns que les autres, de même que les Islandais. Cela serait dû à la langue dont font usage les habitants de ce rude pays, langue qui se nomme fort à propos l’islandais et qui est, comme chacun le sait, imprononçable. Quant aux Islandais, ceux qui n’élèvent pas de moutons sont partis pêcher la morue (ou jouer au foutebôle). Ils sont tous encore plus immenses que leurs barbes blondes de Vikings. Car ce sont des Vikings, ce qui explique leur allant et leur résistance au climat impossible de leur pays. Et, en bons Vikings, ils ont le verbe haut, mais bref en raison du caractère imprononçable, déjà évoqué, de leur langue.
Ayant personnellement quelques origines scandinaves, je me sens quelque peu leur cousin. Mais nos cousins islandais nous sont assez exotiques aussi, à nous autres Scandinaves. Nous avons donc nous aussi nos clichés sur les Islandais ; voulez-vous en profiter ?
En ce qui concerne leurs moutons, leur laine permet la confection d’extraordinaires chandails épais et gras qui résistent au froid et à la pluie ; ils ont un autre mérite, plus étrange : les mites les trouvent parfaitement indigestes. Dans la faune domestique islandaise, ajoutons de petits chevaux aux crins interminables.
Quant à la langue islandaise, elle n’est pas nécessairement imprononçable (un peu, quand même) ; non, elle est simplement archaïque, et peut-être plus « pure » et « nordique » que, disons, le suédois ou le danois. D’ailleurs, c’est la langue des sagas – en prose ou en vers – dont le style est riche en circonlocutions posées là pour le plaisir. Ces Islandais sont des fous et des poètes.
Mais il suffit. Ces clichés, pas entièrement faux, font à l’Islande comme une virginité… peut-être usurpée : les Islandais sont des hommes.
Retenons-en quand même le parcours d’une équipe courageuse et réunie par le plaisir de jouer : peut-être est-ce ce véritable esprit sportif qui aura permis à ces joueurs (dont tous n’étaient pas, me suis-je laissé dire, professionnels) de surprendre quelques gladiateurs bien huilés. Mais le spectacle du sport contemporain a repris ses droits, tout est rentré dans l’ordre[i].
Si c’est le cas, souhaitons à ces vrais sportifs de ne pas avoir été grisés, voire corrompus, par ce succès momentané.
Michel Rocard-
Michel Rocard était-il secrètement islandais ? Certes, il n’était ni grand ni barbu : ce n’était visiblement pas un Viking. Cependant, pour le citoyen moyen (moi, par exemple), il laisse le souvenir de discours longs, abscons et tortueux, prononcés avec des sonorités bizarres : un scalde passé par l’ENA et l’inspection des finances ? Peut-être détonnait-il dans la faune politique française : on ne saurait le qualifier de démagogue, d’arriviste ou de tête vide dépourvue de vision à long terme[ii], pour peu que l’on ait compris quelque chose à ses propos ou à ses actes, et quoi qu’on en pense. Pareil à un foutebôleur islandais, il est parvenu à un niveau honorable avant que les gladiateurs de service n’y mettent bon ordre.
L’éloge funèbre fait souvent du défunt un géant, sur les épaules duquel seraient perchés les survivants inconsolables, prompts à se comparer à des nains à cette occasion. Si le second terme de cette comparaison paraît juste, disons que, dans le cas de Michel Rocard, il faudrait parler d’un homme normal.
Naturellement, chez nos politiciens, chacun se dit désormais l’héritier de Michel Rocard. Ben voyons.
Michael Cimino -
Le même jour (ou à peu près) que Michel Rocard s’éteignait Michael Cimino. Je n’ai le souvenir d’avoir vu que l’un de ses films, Voyage au bout de l’enfer[iii]. Si vous ne l’avez jamais vu, trouvez le moyen de le faire : pour faire bref, ce film est beau, émouvant et fou.
Michael Cimino avait, paraît-il, la réputation de ruiner les producteurs de Hollywood, qui ont fini par se lasser des coûts exorbitants de ses films et de leur faible retour sur investissement. Peut-être y avait-il un malentendu entre ces producteurs et lui : Cimino était probablement un vrai artiste. Mais les studios américains ont su y mettre bon ordre, encore une fois. Ce qui fait de Michael Cimino un membre honoraire de plus, à titre posthume hélas, de l’équipe islandaise de foutebôle.
Alors, vive l’Islande, monsieur !


[i] Pas tout à fait, si j’en crois une définition du foutebôle, jeu qui se joue à onze contre onze avec un ballon rond et des filets sur un terrain de pelouse, à l’issue duquel les Allemands l’emportent. Mais je trouve que la consonance du nom du buteur français tant vanté par la presse a quelque chose d’allemand. Alors…
[ii] Ce qui rappelle un propos de George Orwell, décrivant en janvier 1944 des députés à la chambre des Communes : « … on ne peut distinguer un parti d’un autre. Ce n’est qu’un ramassis d’hommes d’aspect médiocre vêtus de miteux costumes sombres, parlant presque tous avec le même accent et riant tous aux mêmes plaisanteries. Je puis affirmer, toutefois, qu’ils n’ont pas autant l’air d’une bande d’escrocs que ne l’avaient les députés français. » (traduction par moi de : “… you can’t tell one party from another. It is just a collection of mediocre-looking men in dingy, dark suits, nearly all speaking in the same accent and all laughing at the same jokes. I may say, however, that they don’t look such a set of crooks as the French deputies used to look.
[iii] Curieux titre français. Le titre original de ce film est The Deer Hunters : Les Chasseurs de cerfs eût-il été un titre trop énigmatique ?

vendredi 1 juillet 2016

Petits manèges

Les manifestations de folie de la part de ce monde sont nombreuses en ce moment. L’impression laissée est celle d’une succession vertigineuse de foucades et de secousses, des plus farcesques aux plus atroces. En a-t-il toujours été ainsi (et cette impression n’est alors due qu’à une surabondance d’informations) ou le diable s’amuse-t-il plus que d’ordinaire ces temps-ci ?
L’Adversaire, si d’aventure c’est la première hypothèse qui est avérée, a certainement sa part dans ce déversement continu d’informations : il ne laisse plus à qui s’y abandonne le temps[i] de réfléchir. C’est l’émotion qui domine alors, le réflexe aussi, et en particulier le réflexe conditionné. Tout cela permet sans doute à divers marchands de n’importe quoi de faire un meilleur chiffre d’affaires que d’austères et silencieux moments de méditation.
Nous assistons en ce moment à d’interminables et répétitifs feuilletons qui nous laisseront pantelants si nous n’y prenons garde. Celui de la loi travail, par exemple, dont chaque épisode semble être une reprise du précédent, parvient encore à faire quelque bruit. Depuis plusieurs mois se succèdent les manifestations, les bravades de M. Valls ou les pleurnicheries de la CFDT, sans compter les forfaits des touristes (professionnels ?) de l’émeute que, si j’étais communiste, je qualifierais d’idiots utiles du grand capital[ii].
Les événements finissent parfois par être leur propre caricature : ainsi, jeudi 23 juin, la nième manifestation contre cette maudite loi travail a suivi un parcours en boucle ; quitte à tourner en rond, autant que ce soit de manière littérale.
Les esprits fins auront observé que cette manifestation tournait autour du bassin de l’Arsenal. Pourquoi ne pas avoir donné un tour ludique et même sportif à toute cette affaire ? On eût pu, par exemple, organiser une de ces joutes navales pratiquées, je crois, du côté de Sète. Sur le pont arrière, surélevé, d’un bateau, on aurait placé M. Martinez, muni d’une perche et d’un bouclier, tandis que MM. Mailly, Mélenchon et quelques autres auraient manié les avirons ; en face, MM. Gattaz, Berger et quelques autres auraient ramé pour M. Valls, ce dernier étant équipé du même attirail que M. Martinez. L’issue du combat eût déterminé une fois pour toutes le sort de la loi tant disputée. Une fois pour toutes, vraiment ? Allons, allons, le perdant aurait ensuite, à n’en point douter, contesté la validité du résultat. C’est peut-être cela, la démocratie, de nos jours…
Curieux et puéril manège, en tout cas, que celui de la loi travail. Ce qui me rappelle les manèges de mon enfance. Le plus élégant, le plus classique aussi, que j’aie fréquenté était celui du Ranelagh, où les petits chevaux avaient leur charme vieillot ; il fallait, au moyen d’un petit bâton, essayer à chaque tour de décrocher un anneau, jeu auquel je me rappelle que j’étais fort malhabile. Au square Saint-Lambert, les chevaux avaient une allure très stylisée, très 1935 : les arts déco et toute la séquelle… Près du métro Convention, il y avait un manège résolument contemporain (nous étions dans les années 1970), avec des voitures, de petites motos… et même des avions !
Ces derniers nous évoquent Notre-Dame des Landes[iii] : encore une affaire où le gouvernement excelle à entretenir la chicane jusqu’à l’hystérie. Et hop ! Encore un tour de manège !
On aimerait cependant un peu plus de calme. Cela permettrait d’austères et silencieux moments de méditation. Et tant pis si ce n’est pas vendeur.


[i] Pas le temps, pas le temps ! Encore un effet de la rapidación ?
[ii] Je ne suis pas communiste, Dieu merci. Mais cette appellation a peut-être du vrai…
[iii] Comme c’est étrange : un « référendum » dont les autorités ne contestent pas le résultat. On en avait perdu l’habitude…