samedi 9 avril 2016

A dormir debout

N’étant pas économiste, je me garderai bien d’émettre un avis définitif sur le projet de réforme du code du travail, dit loi travail ou loi El-Khomri, qui fait débat ces temps-ci. Peut-être a-t-il du bon – la CGT n’en veut pas – ou alors faut-il s’en méfier – le MEDEF y est favorable.
Toujours est-il que l’on voit depuis mars se dresser une bonne partie de la gauche contre ce projet émanant d’un gouvernement de gauche. C’est le cas en particulier des « syndicats lycéens » et de l’UNEF, qui sont pourtant des viviers de cadres du Parti dit Socialiste, voire des troupes supplétives d’ordinaire déployées pour manifester contre quelque projet de loi que ce soit s’il est l’œuvre d’un gouvernement de droite. La tradition du « syndicalisme lycéen » pourrait remonter à 1986, au temps de la « loi Devaquet », ainsi que tout le folklore qui va avec : lycées bloqués, postures révolutionnaires, discours et slogans parfois astucieux, souvent confus, voire invertébrés. Les barricades de poubelles occasionnellement incendiées semblent être une invention plus récente.
On pense, bien entendu, aussi au « CPE », projet de loi des temps crépusculaires de la Chiraquie, qui avait donné lieu à des manifestations où le président d’alors de l’UNEF avait juré ses grands dieux qu’il n’avait rien à voir avec le PS, avant d’en reprendre la carte et d’y entamer une confortable carrière de politicien.
N’oublions pas cependant que je ne sais plus quelle réforme proposée par M. Jospin en 1990, alors qu’il était ministre de l’Education nationale, avait provoqué des remous dans la FIDL[i] de l’époque. De là à y voir une lutte entre courants du PS par manifestants interposés, il n’y a qu’un pas… Le mieux serait, dans le cas de 1990, d’interroger Mme Delphine Batho, alors jeune « syndicaliste lycéenne », si j’ai bonne mémoire.
C’est probablement un jeu analogue qui se joue aujourd’hui : entre les « socialistes » qui entendent encore l’être et ceux qui, au gouvernement, représentent plutôt la bourgeoisie libérale de gauche.
Cela n’est pas sans poser quelques difficultés au gouvernement : comment discréditer cette opposition tout en ménageant ceux qui la mènent – ou qui la suivent – en vue d’élections qui auront lieu l’an prochain ? Ou encore : comment plaire à ses commanditaires (une partie du patronat) sans perdre un électorat dont il se sent le légitime propriétaire ?
Pour discréditer ce mouvement, il y a bien sûr les techniques habituelles : laisser s’infiltrer les casseurs, et au besoin les échauffer un peu. Mais, pour ménager ces jeunes opposants, la partie semble plus délicate : il faudrait en quelque sorte équiper les CRS de matraques ouatées et de bombonnes de gaz tout juste lacrymogène. Et, en cas de bastonnade un peu rude, sanctionner immédiatement les agents responsables de tels dérapages.
Cela n’a du reste pas eu l’air de prendre : on vit fleurir sur les murs de Paris (et d’ailleurs, certainement), fin mars, des affiches aux jeux de mots salués çà et là à gauche pour leur originalité : « ça sent le Gattaz », ou encore, pour désigner M. Valls, « Manu militari ». Observons que ce dernier sobriquet traîne dans la « réacosphère » depuis 2013, époque bénie des Manifs pour tous. Verra-t-on les vertueux opposants de gauche passer bientôt à « Manuel Gaz » ? Je l’ignore. Mais, dans ce cas, je leur conseille d’aller un peu plus loin et de parler carrément de « Manuel Gattaz ».
Cette vague parenté avec les Manifs pour tous n’est d’ailleurs pas la seule. Premièrement, il entre dans les deux cas une part de contestation des excès – somme toute logiques – du libéralisme, avec parfois aussi des incohérences et des impasses symétriques : un certain nombre d’opposants à la « loi Taubira » ne trouveront sans doute rien à redire à la « loi El-Khomri », tandis que parmi les opposants à cette dernière se trouvent probablement pas mal de personnes qui ont applaudi à l’adoption de la première. Secondement, il y a les suites : après les Manifs pour tous, il y eut les Veilleurs ; voici venir les Nuits debout. Dans les deux cas, on pourrait voir une saine et sympathique méfiance à l’égard des partis politiques et, qui sait, une volonté de réfléchir et de débattre.
Mais la comparaison a ses limites : les Nuits debout sont assez clairement marquées par un style, voire un folklore, « jeune et de gauche » : on ne sait pas trop ce qui s’y dit ni ce qui en sort[ii] ; de plus, le nom de ce mouvement est souvent précédé d’un « # » qui vous a tout de suite son petit côté connecté, in et cool ; enfin, paraît-il, les jeunes militants des Nuits debout ont décidé d’abolir le mois d’avril : pour eux, nous ne sommes pas le 9 avril mais le 40 mars. Ce dernier aspect – pensée utopique et magique – marque bien à gauche, en tout cas.
Avez-vous compris quelque chose ? Moi non plus. Mais je me demande si le moment où M. Hollande va finir par s’opposer à lui-même n’approche pas.

[i] Fédération Indépendante et Démocratique des Lycéens. Indépendante et démocratique semble une marque de fabrique des annexes du PS (voir, dans les années 1980, l’UNEF-ID).
[ii] Certains esprits courageux ont essayé d’aller y voir par eux-mêmes : lire ici, par exemple, une tentative de description par G. de Prémare.

3 commentaires:

  1. En post-scriptum, le point de vue de Gaultier Bès, des "Veilleurs", dans "la Vie" : intéressant, à lire ici :
    http://www.lavie.fr/actualite/france/quand-un-veilleur-observe-nuit-debout-13-04-2016-72208_4.php

    RépondreSupprimer
  2. Et allez, encore un post-scriptum : c'est drôle, mais ce mouvement me paraît moins sympathique depuis les mésaventures d'Alain Finkielkraut le soir du samedi 16 avril (ou faut-il dire 47 mars ?). Certes, ce n'est pas une foule de milliers de personnes qui s'est jetée sur lui pour lui promettre des "coups de latte", mais bon, cela jette un froid. Que ces gens mettent un peu d'ordre chez eux...
    SL

    RépondreSupprimer
  3. A propos de "Veilleurs" : le comportement des nuitedeboutistes hier soir à leur égard me fait confirmer mes soupçons du 18 avril (voir le commentaire précédent), qui se mue en jugement : laissons sombrer les "Nuits debout" au fond de leurs poubelles. Tant pis pour ces "gentils utopistes". Qui sait si les utopies ne rendent pas agressif ?
    SL
    http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2016/06/08/97001-20160608FILWWW00414-les-veilleurs-chasses-par-des-militants-de-nuit-debout.php

    RépondreSupprimer

Un commentaire ? Inscrivez-vous ! Si vous êtes timide, les pseudonymes sont admis (et les commentaires modérés).