dimanche 24 janvier 2016

Une droite littéraire ?

Encore une variation sur mes chers « hussards », allez-vous penser. Pas tout à fait. Seul le nombre nous en rapproche aujourd’hui : si, en 1952, dans l’article où Bernard Frank leur donna ce sobriquet, lesdits hussards étaient trois (Nimier, Laurent, Blondin), l’usage veut qu’on y ajoute Michel Déon, ce qui permet aux amateurs de formules éculées de dire qu’ils étaient quatre, comme les trois mousquetaires.
Il s’agit en fait de ce dont bruisse la presse en ce moment : les livres, parus ou annoncés, de quatre politiciens classés à droite, MM. Fillon, Juppé, Sarkozy et Copé. Leurs titres respectifs – quand nous parvenons à les retenir – et les échos qui nous en parviennent nous dispensent d’avoir à les lire pour nous en faire une idée.
D’un côté, il y a le Faire de M. Fillon, et je ne sais plus quoi de M. Juppé. On sent ces deux messieurs droits dans leurs bottes, le menton ferme au bout d’une mâchoire volontaire, l’œil décidé. En résumé, deux vieux routiers viennent nous expliquer comment, s’ils accèdent enfin à de hautes responsabilités, la France sera sauvée par leur action.
D’un autre côté, La France pour la vie[i] de M. Sarkozy, et je ne sais plus quoi de M. Copé. Leurs grands yeux humides semblent nous adresser des regards tristes et suppliants : ces deux-là, c’est de l’amour qu’ils réclament ; ils aimeraient qu’on les comprenne enfin, qu’on soit touché par leur humanité. D’ailleurs, pour le prouver, M. Sarkozy, à ce qu’on sait, avoue des erreurs – oh, vénielles. Il ne les répétera pas, c’est promis. C’est qu’il a changé. Comment ne pas le croire, d’ailleurs, le changement étant le domaine dans lequel il a toujours montré la plus grande constance[ii] ?
Il est aisé d’imaginer que de tels ouvrages ne relèvent pas de la haute littérature. Et de se rappeler que la chose n’est pas d’hier : ces livres de circonstance, ces tracts électoraux un peu étirés, laisseront dans les esprits la trace que laisse un discours de politicien ; ils iront en rejoindre d’autres, de tous bords, dans quelques greniers où ils feront les délices de la faune locale (souris, araignées, mites…) ou dans quelques brocantes où ils feront celles de quelques collectionneurs : même dans les domaines les plus farfelus, on en rencontre.
Cependant, ces quatre messieurs en sont sans doute toujours à rêver qu’ils libèreront la croissance par leurs indispensables réformes, brisant enfin le carcan qui étouffe les énergies de notre pays. Ce genre de libéralisme économique promettant un ruissellement de richesses qui abreuvera jusqu’aux plus pauvres, accordons à nos mousquetaires grisonnants qu’ils auront probablement contribué pour une petite part à ce mythique ruissellement : quelques nègres, vraisemblablement moins argentés qu’eux, ont dû y trouver leur compte.
Somme toute, s’il faut absolument parler d’une droite littéraire (et si cette notion a un sens), je préfère retourner à mes chers hussards, à leurs amis, pères, oncles ou ce que vous voudrez (de Morand à Perret, par exemple[iii]). Et même à Bernard Frank, qui était… de gauche[iv].


[i] Curieux titre. Il me laisse perplexe. Pourquoi me fait-il penser aux cœurs gravés dans l’écorce des arbres par de naïfs et solennels adolescents ? Ou, mieux, à des tatouages que se ferait faire un matelot cynique ou étourdi ?
[ii] Jusqu’à provoquer de sévères déconvenues chez ceux qui ne s’en étaient pas rendu compte. Qu’allaient donc croire les gens de « Sens commun » (voir ici chez P. de Plunkett) ?
[iii] Pourquoi pas aussi à Pol Vandromme, dont Une Indifférence de rébellion vient de reparaître chez Pierre-Guillaume de Roux. Des critiques littéraires inégales où viennent se nicher de belles pages sur le Hainaut et le cours ardennais de la Meuse…
[iv] Puisqu’il est question d’écrivains, ajoutons, pour saluer sa mémoire et pour Le Roi des aulnes, Michel Tournier, ancien camarade de classe de Roger Nimier.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Un commentaire ? Inscrivez-vous ! Si vous êtes timide, les pseudonymes sont admis (et les commentaires modérés).