samedi 31 janvier 2015

Peu importe… quoi ?

Avez-vous remarqué que certaines citations connaissent pendant un moment une vogue telle que l’on a le sentiment de ne pouvoir lire un blogue ou un journal sans tomber dessus, plus ou moins fidèlement énoncées, au détour du texte ? Ces deux ou trois dernières années, nous eûmes droit à une infinité de variations sur une phrase de Bossuet, qu’à mon tour je cite de chic et donc approximativement :
« Dieu se rit des prières de ceux qui chérissent les causes dont ils déplorent les conséquences. »
Désormais, Bossuet semble s’effacer devant Albert Camus, dont vous aurez certainement lu ici ou là le :
« Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde. »
Outre le fait que ces deux citations donnent au présent billet un cachet très mode et celui que la phrase de Bossuet qu’à mon tour j’ai écorchée est certainement discutable[i], celle de Camus me semble assez juste.
Laïcité (encore ?!)
J’ai déjà évoqué fort récemment les confusions et les incohérences de nos amis du gouvernement qui, après les horribles assassinats de ce début janvier à Paris, paraissent vouloir tenter au petit bonheur de résoudre par des solutions quelconques et hâtives des problèmes qu’ils ne se sont pas donné la peine de poser. Plus précisément, je pense au projet consistant à mettre en place un enseignement de la laïcité dans les écoles, couronné par une célébration annuelle de ladite laïcité.
Ce qui reviendrait à faire de la laïcité un genre de religion, avec son catéchisme et ses fêtes obligatoires, ce que j’entrevoyais déjà l’autre jour. Pourquoi pas, tant qu’il est permis de pratiquer d’autres religions. Mais c’est plus gênant lorsqu’il s’agit d’un catéchisme et d’une liturgie imposés par l’Etat à tous les écoliers.
C’est faire peu de cas du sens des mots, et même de leur simple signification, si j’en crois mon Petit Robert de 1968, qui définit comme suit la laïcité :
« Principe de séparation de la société civile et de la société religieuse, l’Etat n’exerçant aucun pouvoir religieux et les Eglises aucun pouvoir politique. »
Cela dit, et comme me l’a fait remarquer un lecteur (que je salue très amicalement et que je remercie pour sa remarque), peut-être ne faut-il pas s’inquiéter outre mesure, car ce genre d’initiative a de bonnes chances de retomber comme le plus raté des soufflés. Certes, mais en attendant les vrais problèmes ne sont pas posés et risquent par conséquent fort peu d’être résolus.
Pensées, paroles, actions (et omissions) de M. Valls
A la décharge de nos amis les politiciens, reconnaissons que l’exemple leur vient de haut. On sait quel petit succès de scandale a obtenu M. Valls après avoir prononcé un discours où il avait évoqué en France une situation[ii] comparable à l’apartheid. On sait aussi quelle a été une de ses réactions aux critiques exprimées de toutes parts : peu importent les mots, c’est agir qui compte.
Je veux bien, mais comment M. Valls entend-il donc agir ? Le sait-il lui-même ?
Expliquons-nous : l’action qu’envisage un premier ministre exige à n’en point douter des efforts de réflexion, lesquels ne sauraient être soutenus sans l’aide de mots. Ces efforts risquent bien de nécessiter le concours de ministres et de conseillers : comment se passer de mots pour cela ? Il faudra ensuite donner des ordres ou des consignes aux agents de diverses administrations, et s’assurer de leur bonne interprétation et de leur exécution : comment, sinon avec des mots ?
Alors, si les mots n’ont pas d’importance, les idées et les intentions qu’ils expriment n’en ont guère. Les actes non plus. Autrement dit, M. Valls s’expose à de sévères malentendus et à de tristes conséquences si les mots lui importent peu. Mais peut-être n’en a-t-il cure : peu importent les intentions, les mots et les actes, du moment qu’il a l’air de bouger.
D’ailleurs, pour avoir une idée du niveau des réflexions de M. Valls, il suffit de songer à sa réaction aux critiques de M. Sarkozy, lequel a été qualifié de « petit » par notre cher premier ministre : allusion à la taille de M. Sarkozy ? J’en ai peur. Il ne semble pas, en tout cas, que M. Sarkozy se soit fendu en réponse d’un « celui qui l’a dit, c’est lui qui l’est ». Espérons pour lui qu’il ne l’aura pas pensé trop fort…


[i] J’aurais plutôt tendance à croire que Dieu, dans Son infinie bonté, n’exauce pas nos prières quand elles sont mauvaises, même si nous les croyons bonnes. Mais je ne suis ni Dieu ni même Bossuet…
[ii] M. Valls se pose quand même un peu au-dessus de ses confrères, en se donnant l’air de poser les problèmes…

samedi 24 janvier 2015

Ce n’est pas ce que vous croyez

Les atrocités qui se sont produites au début de ce mois à Paris hantent bien évidemment bon nombre d’esprits. Nous n’entrerons point ici dans la querelle du Je suis Charlie et du Je ne suis pas Charlie, qui commence à tourner en rond. Quoique…
Etrange laïcité
Ce drame, et c’est normal, a suscité des interrogations, passée la sidération qui a saisi à peu près tout le monde : comment en est-on arrivé là, comment eût-on pu l’empêcher, comment désarmer des ennemis qui sont désormais chez nous et éviter que leurs rangs ne grossissent ? Il n’est pas question ici des mesures de police : laissons cette dernière faire son office. Non, il s’agit plutôt des réflexions sur un problème de société, voire de civilisation, ainsi que de la formulation – souvent hâtive – de solutions.
Contentons-nous d’une mince contribution à ce débat en renvoyant à ce que j’avais écrit ici il y a un bon moment sur le vide moral, culturel et spirituel de l’occident contemporain. Trop occupé à se gaver et à renier la civilisation dont il est l’héritier, le voilà qui découvre qu’il est incapable d’assimiler tout une jeunesse (pas seulement) « issue de l’immigration », faute de lui avoir appris tout ce que notre civilisation pouvait lui donner et de l’avoir encouragée à imaginer tout ce qu’elle pouvait, en retour, apporter à cette civilisation.
En haut lieu, on a réagi autrement : il paraît que désormais les enfants des écoles auront des cours de laïcité et seront tenus de prendre part tous les ans, le 9 décembre, à une journée de la laïcité. Sur ce dernier point, me voilà tout perplexe : eh bien quoi, la laïcité deviendrait-elle l’objet d’un culte, d’une religion d’Etat obligatoire ? Drôle de laïcité.
Du reste, on chercherait en vain sur quel principe, quelle foi ou quel dogme s’appuie cette nouvelle religion : serait-ce le Charlisme[i], ou alors, le Charlisme n’en est-il qu’un élément ? Peut-être est-elle animée par le mystérieux Esprit du 11 janvier ?
Entendons-nous sur ce fameux et mystérieux Esprit : il ne s’agit en rien de me moquer des manifestations massives qui eurent lieu ce 11 janvier. Elles furent sans doute une manière plus ou moins spontanée que trouva une nation blessée de réprouver les crimes perpétrés, ce qui est fort respectable et même bienvenu. Mais ces manifestations demeurent l’expression d’une émotion plutôt que d’une pensée construite et cohérente. L’Esprit du 11 janvier reste donc à définir, si la chose est possible. L’invoquer à tout bout de champ (comme le font en ce moment nos gouvernants) relève donc plus de la récupération politicienne que d’autre chose. Il y a un avant et un après, disent-ils, et j’ai bien peur que l’après ressemble de plus en plus à l’avant, ce qui n’est pas pour me rassurer.
Ce culte, le gouvernement n’est pas le seul à en avoir eu l’idée, puisqu’on a entendu M. Claude Bartolone, président de l’Assemblée nationale, déclarer qu’il y a « une religion suprême pour chacun d’entre nous : c’est la religion de la République »[ii]. Ignorant qui désigne ce nous, je suis inquiet quant à la liberté de conscience de chacun. Les Eglises et l’Etat ne furent-ils pas séparés en 1905 ? Quant à Mme Rama Yade, ancienne ministre de M. Sarkozy, elle s’est fendue d’un propos du même tonneau, écrivant le 14 janvier dans le Monde : « La République doit redevenir un messianisme, avec ce que le messianisme a de transgressif, de collectif, de discipliné, d’exigeant, de moral... ». Que Mme Yade veuille bien me pardonner, mais la notion de messianisme républicain me donne froid dans le dos, particulièrement cette semaine où nous sommes quelques Français à nous être rappelé le 21 janvier 1793, fruit parmi d’autres de ce fameux messianisme… En outre, il faudrait savoir que ce messianisme transgressif est censé transgresser[iii] : saurait-il se transgresser lui-même et admettre ce fameux droit au blasphème dont pas mal de gens se gargarisent[iv] ?
Bref, bref… voilà des gens qui ont le mot laïcité plein la bouche tout en semblant vouloir instaurer une religion d’Etat[v]. C’est à se demander si les mots ont encore un sens. Mais, pour paraphraser M. Valls, peu importent les mots, n’est-ce pas ?
Liturgies laïques
Comme on vient de le voir, le spectacle d’athées cédant à la panique n’est pas particulièrement réjouissant. Cependant, il serait possible de leur faire lever la tête vers le ciel en leur révélant ce que cette attitude a de ridicule[vi].
A quoi pourraient en effet ressembler les rites laïques ? Quels seraient les gestes et les paroles employés ? Qui en seraient les officiants, sous quels costumes ? Verrait-on renaître ceux utilisés pour les célébrations de l’Être suprême ou de la Déesse Raison[vii] ?
Il semble que ces pompes grandioses, plus ou moins imitées de l’antique (ou de l’idée que l’on s’en faisait à la fin du XVIIIe siècle) soient quelque peu passées de mode. Ce devrait plutôt être quelque chose de « sympa », détendu et interactif. Peut-être un peu comme les Sunday Assemblies, réunions d’athées qui, le dimanche matin, entonnent ensemble des chansons de variétés et écoutent des discours remplis de bienveillance. Ce qui prouve que les athées, comme les enfants et les libéraux, s’ennuient le dimanche. Ou, autrement dit, que l’homme, dans une situation de vide spirituel, se satisfera de ce qu’il trouvera pour combler ce vide, que ce soit des gentillesses un peu mièvres ou des idées folles et meurtrières.
Mais il est vrai qu’à l’origine de ces Sunday Assemblies on trouve deux comiques britanniques. Il est des jours où l’on aimerait que toute notre époque – et en particulier le mois de janvier 2015 – fût un vaste canular. Ce n’est pas le cas, j’en ai peur.




[i] Je dois ce nom à un article intéressant de Régis de Castelnau dans Causeur. Sur un sujet analogue, Laurent Dandrieu a aussi écrit quelque chose dans les mêmes parages.
[ii] Est-ce vraiment une nouveauté du moment ? Pas sûr : que l’on veuille bien se rappeler les extravagances de M. Peillon, naguère.
[iii] On pense ici, évidemment, à un travers moderne relevé par Philippe Muray : l’intransitivité ; peu importe de savoir s’il se présente une limite qu’il est nécessaire (ou non) de transgresser, c’est transgresser qui compte.
[iv] Sur ce point : naturellement, la liberté d’expression est une chose nécessaire, voire vitale. Mais il faut l’exercer de manière responsable.
[v] N’importe quel chrétien pourra leur expliquer le sens du mot laïcité, qui est fort bien défini dans quelques versets des Evangiles. Ce qui ne signifie pas, évidemment, que nous ayons toujours été de petits saints en ce domaine.
[vi] Je ne peux m’empêcher de penser à une réplique d’un film de Woody Allen, où un personnage qui voyage en avion est pris de frayeur à l’atterrissage. Alors que sa femme tente de l’apaiser, il lui répond qu’étant athée il ne dispose de rien pour se rassurer et se trouve donc obligé de céder à la panique…
[vii] Les habitués de Chatty Corner auront relevé que, parmi les sites que j’invite mes lecteurs à consulter, deux ont pour objet – ou pour prétexte – l’élégance vestimentaire. Suggérons aux auteurs de ces sites de nous esquisser une étude des costumes révolutionnaires, en particulier de ceux revêtus pour les pompes républicaines. Ce qui serait l’occasion d’un beau moment d’érudition et de drôlerie.

samedi 17 janvier 2015

Il a donc gelé à Paris…

… Et alors ? Ce genre d’information a fini par sortir en décembre du strict domaine des bulletins météorologiques : c’est qu’il n’avait pas gelé à Paris depuis plus d’un an ! La grande nouvelle est donc que cet hiver, eh bien, il fait parfois un temps de saison. Ce n’est pas moi qui m’en plaindrai, du reste.
Charmes de l’hiver
J’aime à envisager l’hiver comme une traversée, où il nous faut affronter les épreuves du vent, du froid, de la neige… De sorte qu’un hiver doux m’ennuie toujours un peu : alors, cette traversée, quand commence-t-elle ?
Je ne m’étendrai point sur les beautés et les joies de l’hiver, du vrai : tout a déjà été dit ou écrit de l’effet de la neige sur la lumière, sur les sons, et même sur les odeurs. Sortez un jour de neige, goûtez au silence des rues ou des campagnes, et vous ne pourrez qu’acquiescer.
Certes, l’hiver a ses désagréments, et ils sont en général liés aux mêmes phénomènes que les plaisirs qu’il offre : patauger dans la neige, risquer de se blesser en glissant, etc., etc. Mais j’entends déjà, surtout, l’objection principale faite aux amis de l’hiver comme moi : et les pauvres, les sans-abri, y avez-vous pensé, égoïste qui allez après tous ces plaisirs vous réchauffer dans votre intérieur cossu ?
Oui, bien entendu, j’y pense. Je sais que l’hiver est particulièrement dur pour ceux qui n’ont rien. Et mon plaisir n’est pas sans mélange. Cependant, il faudrait préciser aux indignés du thermomètre que la vie de ceux qui sont à la rue est terrible toute l’année ; et qu’ils méritent notre attention, nos soins, à la hauteur de nos moyens (ne serait-ce, outre une aumône point trop mesquine, que par un sourire, une parole bienveillante et dénuée de toute condescendance), que le temps soit chaud ou froid.
Deux questions à ces indignés thermiques : avez-vous déjà souffert de la soif, par un jour chaud et sec, au point de frôler la déshydratation ? Et avez-vous déjà bavardé trois minutes avec un vagabond, lui serrant la louche en partant ?
Incertain climat
Chacun a son avis sur le temps qu’il fait : sur les étés caniculaires ou pourris, les printemps tardifs, les hivers absents ou rudes. Aucune méthode ni aucune technique fiable de datation n’a encore permis d’évaluer l’antiquité de l’expression : y’a plus de saison, mon bon monsieur. Le climatologue qui sommeille en chacun d’entre nous aura toujours sa petite explication, souvent influencée par la mode. Il y a cinquante ans, c’était : « avec toutes ces bombes atomiques et ces machins qu’ils lancent dans l’espace… ».
Désormais, le grand coupable, c’est le gaz carbonique[i] issu de toutes nos activités modernes. Le réchauffement – ou dérèglement – climatique provoqué par la surabondance de ce gaz dans notre atmosphère est désormais considéré par beaucoup comme une évidence. D’où les louables efforts pour en réduire les émissions que nous et nos gouvernants remettons sans cesse à plus tard, surtout quand une grande conférence internationale n’est pas loin.
Il existe cependant quelques cohortes de climatosceptiques : de même que beaucoup invoquent le réchauffement de la planète dès qu’un jour de juillet la température dépasse les trente degrés où que le temps évoque en janvier un genre d’octobre aussi éternel que désolant, nos climatosceptiques, à la première gelée, triomphent, un index docte levé vers le ciel : « vos voyez bien que votre réchauffement, c’est de la blague ; c’est un truc des Khmers[ii] verts ! Tous des zadistes en dreadlocks crasseuses, oui ! ».
De tels arguments (si j’ose dire) sont rarement désintéressés ; on peut les traduire assez facilement en : « foutez-nous donc la paix, on veut continuer à puiser et à brûler du pétrole autant que ça nous plaît, d’ailleurs c’est bon pour l’économie ». Outre que ces propos ne sont pas innocents, ils sont en général tenus par des gens aussi ignorants que vous ou moi en matière de climat.
Mais quelque chose me gêne dans les arguments tenant pour acquis le rôle de l’homme dans le changement climatique. Je n’irai pas remettre en cause ce que disent des experts en la matière (je veux bien les croire, du reste, n’étant pas un d’entre eux), mais il est quand même regrettable que nous ayons besoin d’un risque important dont la probabilité d’occurrence paraît croître pour nous rendre compte que nous ne sommes pas censés faire n’importe quoi avec les ressources qui nous sont données : quels gamins nous sommes ! Réchauffement climatique ou non[iii], la Création n’est pas là pour être cochonnée.
En attendant, toujours pas de neige à Paris cet hiver. Je m’arme de patience.



[i] Ou encore dioxyde de carbone (CO2), le céhodeux des journalistes, ravis de laisser entendre que rien ne leur échappe en matière de chimie. Moi qui ne suis pas journaliste, je me lave le matin au hachedeuzo et, le soir, je tâche de ne pas abuser du céhachetroiscéhachedeuhohache. Mais ne voyez point d’ironie dans mes propos.
[ii] Expression détestable, que je reproduis par pur souci documentaire, forgée sur l’appellation Khmers rouges pour assimiler à des bâtisseurs de goulag tous ceux qui se posent des questions sur les dégâts causés par une activité industrielle effrénée. Pour rendre justice au peuple khmer, dont le nom n’a pas à servir à n’importe quel propos méprisant, c’est rouges et non Khmers qui est antipathique. Que l’on veuille bien f… la paix aux Khmers, qui ont assez souffert ainsi.
[iii] Du reste, les problèmes posés par l’industrie contemporaine sont nombreux et variés. Ce qui ne dispense pas de se soucier de celui des conséquences des rejets de gaz à effet de serre…

samedi 10 janvier 2015

Jours sombres


Pour être honnête, j’avais pris, profitant de quelques vacances autour de Noël, de l’avance dans la rédaction de mes billets et je m’apprêtais à publier une petite note plus ou moins badine (enfin, pas tant que cela) sur le temps qu’il fait. Mais, que voulez-vous, le cœur m’a manqué, vu ce qui s’est produit à Paris et dans ses environs cette semaine.
Hébétude et nostalgie
Vous souvenez-vous comme la vie était légère, il y a un siècle, je veux dire jusqu’à mardi dernier[i] ? Nous étions magnifiques, et prêts à nous écharper pour de histoires de crèche, de mariage pour tous, de travail du dimanche, de tour triangle ou je ne sais quoi encore. Je ne dis pas que ces sujets étaient complètement futiles ni que j’en écrirais autre chose que ce que j’en ai écrit, mais bon, après les événements de cette semaine…
Evidemment, en France (et en région parisienne en particulier), tout le monde est un peu choqué. Le temps viendra, espérons-le, d’avoir les idées plus claires. Et aussi de savoir ce que nous croyons devoir défendre, contre quoi.
Suis-je pour autant Charlie ?
Non. Je ne suis pas Charlie. Navré, je ne peux pas. Navré aussi, je le suis comme tout le monde par l’assassinat de quelques-uns des rédacteurs de Charlie Hebdo, ainsi que de trois policiers et d’autres personnes encore. Et je prie volontiers pour le repos de leurs âmes.
En revanche, je suis Français. Et, ces Français[ii] assassinés dans Paris en gros parce qu’ils étaient Français, je puis les considérer comme mes frères. Alors, si je ne suis pas Charlie, je suis quand même un peu « son » frère, même si je pense que ce frère avait des idées stupides et tenait des propos irresponsables.
Du reste, ces horreurs sont le quotidien de bon nombre de personnes de par le monde. Au Nigéria, par exemple. Puissions-nous comprendre que les gens massacrés en permanence dans ces pays sont aussi nos frères…
J’espère pouvoir être un peu plus badin la prochaine fois. Et même parler de la pluie et du beau temps.
Quelques excellentes lectures pourront compléter celle de la présente note : chez Koztoujours (ici) et chez Patrice de Plunkett (notamment , et ).

P.S. du 13 janvier : encore un autre lien, à lire avec profit, ici. Pour que la (légitime) émotion fasse place à la réflexion...



[i] C’est que nous avions mauvaise mémoire : des événements analogues n’avaient-ils pas eu lieu en 2012 du côté de Toulouse et de Montauban ? Un soldat français vaut-il moins qu’un journaliste de Charlie Hebdo ?
[ii] Parmi lesquels de braves gens faisant d’innocentes emplettes, tuées parce que c’étaient des Juifs. A Paris, en 2015. Ce qui ne peut que nous fendre l’âme. C’est à pleurer. Comme à Toulouse en 2012, du reste. Mais nous avions la mémoire courte, décidément.

samedi 3 janvier 2015

Vieux palefrenier, vieux hussard

Une phrase mériterait de figurer parmi les proverbes bantous chers à Alexandre Vialatte : « un vieillard qui meurt, c’est une bibliothèque qui brûle ». Certes, il est loisible de visiter les souvenirs et les pensées d’un vieillard autant qu’il voudra bien les répéter, de même qu’il est permis de rouvrir les livres de sa bibliothèque. Cependant, à chaque fois qu’un vieillard vous entretiendra de ses vieilles histoires que vous connaissez si bien, vous repérerez un détail qui diffère, contrairement à ce qui est écrit dans un livre. Vous n’approuverez peut-être pas toutes les ronchonneries qu’il vous livrera au passage, mais de temps en temps remontera une pensée ou une anecdote jusque-là inconnue de vous.
Les vieillards finissant par mourir et en étant souvent conscients, les plus précautionneux d’entre eux recueillent dans des livres leurs souvenirs et leurs réflexions, souvent accompagnés de leurs inévitables ronchonneries, histoire d’en laisser une trace. Certains le font même avec talent.
Christian Millau : Ravi de vous avoir rencontré
C’est le cas de Christian Millau qui, dès 1999, dans Au galop des hussards (paru aux éditions de Fallois), faisait revivre, à peine septuagénaire, sa jeunesse de journaliste littéraire, dans les années 1950, avant de devenir le « Millau-du-Gault-et-Millau ». Un livre riche en rencontres drôles, inattendues, tragiques ou amères, et placé sous l’ombre tutélaire d’un Roger Nimier trop tôt disparu, fermant par sa mort le rideau d’une époque bénie pour le jeune Millau. Si Nimier fut le hussard, disons que Millau fut un palefrenier qui n’a pas à rougir d’un office humble mais rempli avec entrain.
En 2014, toujours aux éditions de Fallois, est paru Ravi de vous avoir rencontré, recueil de portraits de célébrités croisées de près ou de loin par notre vieux palefrenier ces soixante ou soixante-dix dernières années (voir passer, à bord d’une jeep, Lee Miller accompagnée d’Ernest Hemingway à Paris en 1944, c’est plutôt un début honnête) : des écrivains et des cuisiniers, bien sûr, mais aussi des politiciens, des acteurs, des noctambules ou des milliardaires. On regrettera cependant de constater qu’en quinze ans Millau est passé d’un allègre galop à un petit trot plutôt pépère, quoique digne.
Bien des portraits et des anecdotes nous étaient en effet déjà connus, figurant, outre Au galop des hussards, dans le Journal impoli et dans le Journal d’un mauvais Français, agréables traversées parues respectivement en 2011 et 2012 aux éditions du Rocher. Ce qui donne une déplaisante impression de radotage, d’autant que le style paraît se relâcher ici et là dans Ravi de vous avoir rencontré. Son hommage à Roger Nimier, par exemple, outre certaines facilités (les ronchonneries d’un vieillard de droite à la porte des Cieux), tombe même dans une syntaxe parfois approximative, comme un « Mais ce n’est pas de mes rognons dont je voudrais vous parler ». Soit dit en passant, je tiens ce « de… dont » pour un solécisme plutôt de gauche : si les vieux messieurs de droite se mettent à user d’une syntaxe de gauche, où va la France, je vous le demande !
Ne soyons point trop sévère toutefois : ses portraits de milliardaires (Pierre Bergé, Paul Getty ou Marcel Dassault) sont joliment brossés et en cuisine, domaine où il s’est rendu célèbre, il fait encore preuve d’éclat : le lecteur se régalera du portrait d’Alain Ducasse ou encore de celui d’un certain Paul B (non, non, ce n’est pas… quoique…) ; ce dernier portrait nous révèle même un style Millau dans ce qu’il a de meilleur, notamment dans l’art de donner de l’allant aux participes présents et aux gérondifs, ce qui n’est pas rien. Dans le même chapitre (Du côté de la table), on relèvera des propos justes et profonds de Jean-Paul Aron sur le luxe – vrai ou faux – que Millau a eu l’intelligence de retenir et de transcrire.
Des écuries de la cavalerie littéraire aux cuisines, disons que Christian Millau pourrait faire un aimable maître Jacques, à qui ses redites seront pardonnées[i].
Jacques Laurent, ses vies, ses œuvres
Un qui n’aimait pas plus que cela être qualifié de hussard, c’est Jacques Laurent, qui aimait à rappeler qu’en 1940 il avait été fantassin[ii]. Les éditions Pierre-Guillaume de Roux ont récemment fait paraître un Jacques Laurent à l’œuvre, où Alain Cresciucci (auteur notamment d’une fort recommandable biographie d’Antoine Blondin parue chez Gallimard en 2004) tente de nous faire entrevoir la vie de Jacques Laurent à travers son œuvre, voire en tant qu’œuvre : le cliché sur Sainte-Beuve pris à rebrousse-poil, en somme.
Un trait qui ressort de cet essai, c’est le risque couru à trop se fier à un mécène, en l’occurrence Cécil Saint-Laurent pour Jacques Laurent. Certes, les romans populaires du premier ont assuré une certaine aisance au second (au point de lui permettre de lancer sa revue, la Parisienne, dans les années 1950), mais lui ont aussi pris pas mal de temps. Le nombre de romans signés Jacques Laurent s’en est ressenti, ainsi que la qualité de certains, si l’on excepte deux chefs d’œuvre, Les Corps tranquilles (paru en 1948) et Les Bêtises (paru en 1971) : deux romans opposés, le premier brillant par la liberté avec laquelle son auteur multiplie les points de vue, le second par la complexité de sa construction (la synthèse pouvant être trouvée dans Le Miroir aux tiroirs, paru en 1990).
Une autre piste ouverte par Cresciucci en ce qui concerne le petit nombre des romans de Jacques Laurent (avant les années 1980) est celle du goût pris à mener une vie parfois romanesque (y compris dans le genre historique !) : plaisirs des pseudonymes[iii], des écritures multiples, des aventures politiques ou féminines… Là où d’autres écrivent des romans autobiographiques, il se pourrait donc que Jacques Laurent se soit appliqué à vivre une existence « autoromancée », imaginée par lui : une forme de dandysme[iv] ?

Et, bien entendu, une très bonne année 2015 à tous ceux qui ont la patience de me lire !


[i] Et comment en vouloir à un homme qui s’est fendu en 2011 d’une lettre à Antoine Gallimard où il s’est permis de lui écrire : « Savez-vous que Nimier adorait le papier ? En particulier, le papier bible. Ce serait peut-être le moment d’y songer… » ?
[ii] Ce que j’avais déjà évoqué ici. Le radotage me guette-t-il ? Mon âge étant à peu près la moitié de celui de Christian Millau en ce moment, il y a peut-être lieu de s’inquiéter à mon sujet.
[iii] Au moins dix-huit selon la B.N.F. ; du reste, pour l’état-civil, Jacques Laurent se nommait Jacques Laurent-Cély, son grand-père ayant fait ajouter le nom de son épouse au sien : goût atavique du changement de nom ?
[iv] A ce propos, on pourra lire ici l’avis – différent mais intéressant – du Chouan des villes.