samedi 7 novembre 2015

Les ennemis de la vérité

Simon Leys, dans Orwell ou l’horreur de la politique, a placé en annexe, outre « quelques propos de George Orwell » et une lettre d’Evelyn Waugh à celui-ci (datée de juillet 1949) au sujet de 1984, un bref texte de son cru au sujet de l’affaire de la « liste noire ». Il y est question d’accusations formulées en 1996 et réitérées en 2002 contre Orwell, soupçonné d’avoir donné aux services secrets britanniques une liste de noms d’intellectuels communistes ou sympathisants. Dans ce texte, Simon Leys rappelle en quoi Orwell ne s’adonna nullement à ce plaisir avant de conclure comme suit :
« Le fait que, un demi-siècle après sa mort, Orwell ait pu encore être la cible d’une aussi crapuleuse calomnie montre bien quelle formidable et vivante menace il représente pour tous les ennemis de la vérité. »
Non au communisme !
Et, de fait, en 2006, année où fut publié cet appendice, il était encore difficile, sinon risqué, de considérer le communisme comme un régime totalitaire au même titre que d’autres… Il est vrai que le cadavre de l’URSS était encore tiède. Ce cadavre était encore moins froid vers la fin des années 1990, quand Le Livre noir du communisme fit scandale dans la bonne presse qui penche à gauche.
Cette difficulté semble avoir fait son temps. La gauche comme il faut se rattrape maintenant en vilipendant à la moindre occasion M. Poutine (vous savez, le maître du Kremlin) en des termes qu’elle n’aurait osé employer au sujet de quelque dirigeant soviétique que ce fût. Il est vrai que « ne pas désespérer Billancourt » n’est plus à l’ordre du jour et que M. Poutine, du reste, ne prétend pas, que je sache, faire rêver l’ouvrier français. Une telle situation n’est pas sans rappeler la fermeté avec laquelle certains intellectuels courageux s’opposent au fascisme depuis 1945.
M. Poutine n’est certes guère un petit saint, mais de là à en faire l’égal de Staline, la ficelle est un peu grosse. Il faut dire que M. Poutine manifeste volontiers un certain mépris pour l’avachissement où semble se complaire l’Europe occidentale, avachissement qu’il lie sans hésiter à certaines formes du libéralisme, notamment en matière de mœurs. Il contrevient ainsi au catéchisme moderne, où ce libéralisme a pris la place occupée naguère par le communisme, celle d’un horizon indépassable, d’une utopie émancipatrice.
En étendant ces considérations au domaine économique, on observera que la réponse faite par les plus ardents libéraux à toute objection qui leur est faite s’apparente à celle que faisaient autrefois les fervents communistes : si ça ne marche pas, c’est que les vrais principes ne sont pas encore intégralement mis en application… Voire.
Quoi qu’il en soit, on put avoir le plaisir d’entendre il y a quelques jours sur France-Culture une de ces bonnes blagues qui filtraient de temps en temps, autrefois, jusqu’en nos contrées, comme :
-          Qu’est-ce qu’un communiste ?
-          Quelqu’un qui a lu Marx.
-          Et un anticommuniste ?
-          Quelqu’un qui l’a compris.
La plaisanterie est excellente, et qui se risquait à la faire dans une démocratie populaire pouvait s’attendre à quelques désagréments. Chez nous, il y a trente ans, la répéter n’exigeait pas un courage immense : le seul risque était de passer pour un vilain anticommuniste ; apparemment, c’est un risque qui a longtemps tétanisé certains esprits de gauche.
Noms de lieux
Les « ennemis de la vérité » sont parfois moins dangereux ou, disons, moins hargneux. Ils se font alors lassants. Ainsi, on pouvait entendre, toujours sur France-Culture, qu’à l’occasion du dixième anniversaire des émeutes de 2005 seraient diffusées de nombreuses émissions sur « les quartiers ». Curieuse manière de nommer les banlieues, particulièrement les plus laides, les plus délaissées ou les plus défavorisées. Ce qui rappelle le ministère de la ville, création mitterrandienne me semble-t-il, dont la mission était de s’intéresser aux banlieues qui ont pour tare originelle d’être précisément des non-villes.
Ces considérations pourraient passer pour puristes, précieuses, voir futiles, mais je ne le crois pas : qui sait si l’affreuse mort qu’ont trouvée deux jeunes hommes à Clichy-sous-Bois en 2005 ne résulte pas d’un malentendu ? Je m’explique en imaginant un scénario : ces jeunes gens, pressés de rentrer chez eux, voient s’approcher des policiers en patrouille ; pour éviter de perdre du temps dans un contrôle d’identité, ils s’éloignent en courant ; pour les policiers, cela ressemble à un signe de ce qu’ils ont quelque chose à se reprocher : il faut donc les poursuivre ; on connaît la triste suite de ce malentendu…
Alors, pour commencer, pourquoi ceux qui prétendent parler des banlieues n’utilisent-ils pas les mots appropriés ?
Nom d’un fournisseur
La compagnie alimentant en gaz ma chaudière et ma cuisinière a récemment fait parvenir à ses abonnés une lettre précisant que son récent changement de nom n’aura « aucune incidence sur [leur] contrat ». C’est une attention fort aimable et plutôt rassurante, mais était-il nécessaire de préciser que dans le nouveau nom de ladite compagnie, il y a « énergie » et « envie » ? Pourquoi ne pas ajouter Angie des Rolling Stones, « empathie » et « nostalgie », « névralgie » ou « allergie », « angine » ou « endive » et « giratoire » ?
Nous ne devrions pas tant redouter les « ennemis de la vérité », à commencer par les publicitaires. Ils sont souvent en premier lieu ridicules.
 

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