samedi 31 octobre 2015

Le gros caillou

Il nous a été annoncé qu’aujourd’hui un astéroïde mesurant environ 400 mètres de long allait « frôler » la Terre. Les calculs des astrophysiciens nous apprennent qu’en fait ce frôlement aura eu lieu à une distance quelque peu supérieure à celle qui nous sépare de la Lune. Si vous lisez ces mots, c’est que lesdits calculs auront été justes, ou que l’erreur n’aura pas joué en votre défaveur, ni en la mienne.
La presse anglo-saxonne n’aura pas manqué, compte tenu de la date, de faire un rapprochement avec le goût qu’auraient les gens pour la terreur et les choses macabres le 31 octobre. Ce goût – entretenu par l’industrie du divertissement, dans laquelle il faut bien inclure la grosse presse – a débordé les limites du monde anglo-saxon depuis une quinzaine d’années, avec plus ou moins de succès. Dès la dernière semaine d’octobre, l’injonction de ressembler à un cadavre pour Halloween est martelée un peu partout.
Quelle peut être la raison de ce relatif succès, qui a fait adopter à une partie de l’occident la parodie de ce qui nous est vendu comme une vieille tradition irlandaise (d'ailleurs, n'étant pas Irlandais, qu'ai-je à faire d'une tradition irlandaise ?) ? L’américanisation du monde, comme on dit, est une explication un peu courte. Il y a bien sûr aussi le commerce, la publicité, une manifeste intention de décérébrer et déraciner chacun… Mais cela est l’entreprise menée, non la raison de son succès. Peut-être faut-il y voir le désir d’éprouver de vagues sensations dans un monde blasé, fatigué, vautré dans le confort de son vide (esthétique, affectif ou spirituel, par exemple)[i].
Ces vagues sensations ne suffisent plus. Les sens sont las, ils s’émoussent. La sauce tomate, les dentiers de vampires, les citrouilles et les chapeaux de sorcières perdent de leur effet. Et pourquoi pas un peu de terreur réelle ? Avec un bon gros astéroïde, par exemple.
Il semble d’ailleurs que, contrairement aux peurs souvent prêtées à nos ancêtres médiévaux[ii], les âmes contemporaines, fatiguées, souhaitent de telles catastrophes, absolument tragiques. En somme, une bonne grosse fin du monde, et on n’en parlera plus. L’idéal pour les paresseux et les désespérés : à quoi bon se soucier des autres, de la paix de l’environnement ou que sais-je encore ? Un bon gros caillou[iii] sur le coin de la figure, et hop ! Rideau, adieu soucis…
Bien entendu, je ne saurais partager des pensées aussi grisâtres. Signalons à ces riants aquoibonistes que le désespoir n’écarte pas les épreuves. L’espérance non plus, certes, mais elle me semble une condition nécessaire pour les surmonter. Quant à la fin du monde, elle se produit tous les jours, pour les mourants : ils ne verront plus ce monde ; pour eux, c’est même une apocalypse, c’est-à-dire une révélation. Lundi, nous aurons une pensée – ou une prière, si nous prions – pour ceux d’entre eux que nous avons connus et aimés.
Mais avant vient la Toussaint, qui est une fête joyeuse. Rien de macabre là-dedans. Portez donc des couleurs vives !


[i] Un tel vide peut aboutir à ce genre d’amusement.
[ii] Sans doute tout simplement, en fait, la peur de mourir subitement, sans avoir eu le temps de mettre de l’ordre dans ses affaires, c’est-à-dire de se confesser.
[iii] Expression qui n’entend pas prolonger la promenade sur le Champ-de-Mars racontée ici il y a une semaine.

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