dimanche 25 octobre 2015

Au pied du mur

Peut-être était-ce tout simplement un signe de fatigue ; ou alors, qui sait, des débuts sournois du vieillissement. Toujours est-il que l’ami avec qui je venais de dîner, se sentant l’estomac lourd, émit l’idée d’une bonne promenade digestive.
Le dîner, pourtant, avait été fort raisonnable : une souris d’agneau, un dessert puis un café chacun, en partageant un pot de Brouilly… Mais qu’importe : quittant ce gentil bistrot situé en face de l’église où, entre autres sacrements, j’avais reçu le baptême, nous laissâmes nos pas nous mener jusqu’au Champ-de-Mars.
Je ne m’attarderai pas sur une partie de ce que nous y vîmes : le spectacle d’une jeunesse veule, avachie sur les pelouses et abreuvée de vinasse, de mousseux et de bibine par des vendeurs à la sauvette ne parlant pas français est triste, mais il est inutile d’en faire des tonnes. Et la décadence nous réservait une autre surprise.
Depuis quelques lustres un monument abscons fait face à l’Ecole Militaire. Il pourrait, en toute objectivité, être décrit comme la version hypertrophiée d’un projet refusé d’abri pour arrêt d’autobus : quelques piliers, des parois de verre, un vague toit. La nullité pompeuse de ce monument et son caractère résolument illisible trahissent son époque, quoique, de mémoire, je n’arrive pas à dater exactement son érection : disons fin Mitterrand – début Chirac.
Les connaisseurs et les Parisiens auront reconnu le Mur de la paix. Ce nom doit nous faire supposer que les inscriptions indéchiffrables qui ornent ses colonnes signifient paix dans des langues exotiques dont les alphabets nous échappent.
(Comme disent les esprits moqueurs : c’est au pied du mur que l’on reconnaît le mur. Un tel édifice, aux yeux des complotistes et paranoïaques de tout pelage, grouille évidemment de signes ésotériques qui permettent d’y voir un monument maçonnique. C’est faire beaucoup d’honneur à cette œuvre d’un mutisme désarmant, et présumer de la maçonnerie, comme nous allons le voir.)
Or mon ami et moi n’étions pas passés près de ce mystérieux objet depuis quelque temps. Nous fûmes donc surpris de le voir ceint d’une clôture en interdisant l’accès, à l’intérieur de laquelle prospérait la folâtre flore qui d’ordinaire donne leur charme aux terrains vagues. Une des parois de verre était aussi constellée d’éclats que le pare-brise d’une voiture qui aurait trop souvent emprunté des routes caillouteuses.
Un panneau fixé à la clôture ne tarda pas à nous renseigner : l’accès au Mur de la paix était interdit jusqu’à nouvel ordre car rendu dangereux par l’instabilité et la fragilité dudit Mur.
Fort à propos, mon ami me fit observer qu’il avait duré moins longtemps que le mur de Berlin.

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