dimanche 9 août 2015

Le (grave) problème du pantalon

Soyons frivole ou sérieux – c’est selon – et penchons-nous sur la coupe des pantalons. Le propos ne sera point d’en faire l’étude détaillée ni l’histoire, mais d’en tirer – par les cheveux, si besoin est – quelques réflexions.
Chacun aura entendu parler de la notion d’obsolescence programmée et y aura tôt ou tard été confronté de manière pratique. Ne faudrait-il pas compter parmi les pionniers de cette pratique les industriels de l’habillement ? Dans ce domaine apparemment futile, cela se nomme depuis longtemps la mode (laquelle a pour principale caractéristique de se démoder, pour paraphraser, me semble-t-il, Cocteau). D’une saison à l’autre, la largeur d’un revers, la coupe ample ou près du corps d’un vêtement, le nombre et l’emplacement de ses boutons, ses couleurs et quelques autres aspects varieront de manière à donner du souci à ceux (et celles) qui s’en préoccupent, et à renouveler leur garde-robe. Avec de telles variations, l’industriel gagne sur tous les tableaux : la clientèle sera régulière et il ne sera point nécessaire de fabriquer des articles solides donc potentiellement onéreux.
Naturellement, il existera toujours en nombre important des indifférents, voire des réfractaires. Pour peu que ces derniers se piquent d’élégance, il leur importera de disposer d’une garde-robe qui leur sied : couleurs, matières et formes les habilleront comme il sied à leurs goûts et à leur confort, d’une manière de préférence durable. Comme me l’a dit un jour un ami sur qui tout tombe à merveille, l’idéal en la matière serait d’avoir un nombre restreint de costumes pouvant décemment tenir dix ans, quitte à passer voir son tailleur pour demander au bout de ce temps la même chose en neuf – aux variations de corpulence près.
Chez ceux qui n’osent ou ne peuvent s’offrir du sur-mesure, quelques noms de faiseurs de qualité circuleront, réputés pour leurs articles solides et intemporels. Par exemple, l’amateur de pantalons à taille relativement haute, d’une coupe à l’amplitude suffisante en position debout comme en position assise, taillés dans de souples et solides tissus, dotés d’amples pinces et de vastes poches, ira chez X. Il sait en outre qu’après l’essayage permettant de déterminer les ajustements nécessaires, on lui proposera de pratiquer de généreux revers (les revers, outre leur aspect agréable, présentent l’avantage d’assurer aux bas de pantalons une cinématique prévisible).
Puis X se rendra compte que de tels amateurs ne l’honorent pas très souvent de leurs visites. Que faire ? Eh bien, il risque fort de lésiner sur le tissu : les amateurs se verront bientôt proposer des pantalons un peu justes au bassin et aux cuisses, voire aux mollets, aux pinces étriquées et auxquels il consentira à ajouter des revers comme si c’était une grande faveur. De tels pantalons irriteront les amateurs (qui auront oublié de s’asseoir pendant l’essayage) et risqueront de s’user vite : frottements trop fréquents des étoffes, craquement des coutures…
L’amateur laissera encore une chance à X et reviendra y voir une fois ou deux. Peut-être entendra-t-il le vendeur de chez X lui dire : « vous comprenez, monsieur, cela se porte ainsi cette année ». Il comprendra alors que X a choisi son camp : celui de l’économie moderne, dont les agents croient pouvoir s’enrichir en écoulant plus massivement leurs produits sans plus se soucier de leur qualité et en misant sur leur usure prématurée.
Vous m’objecterez que je fais peut-être un cas universel de l’achat malheureux d’un pantalon. C’est possible. Mais cela ne dispense pas de réfléchir.

2 commentaires:

  1. Allons, Sven, encore un peu de patience... La mode est une aveugle en marche dans une cellule étroite : elle vient tôt buter contre les limites de son réduit, et repart dans la direction opposée. Autrement dit, après des années étriquées, des années de bassins et de cuisses contraints, de fesses moulées à la louche, les pinces et le confort ne devraient plus tarder à faire leur retour dans le vocabulaire des marchands de pantalons.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Certes, certes, et ta définition de la mode est juste, en plus d'être jolie. Mais je crois qu'il y a aussi quelques faiseurs qui, tout en feignant d'ignorer la mode (pratiquant toujours la pince, notamment), lésinent en douce sur le tissu : une façon plus subtile, en somme, de faire de la marge... D'où mon soupçon quant à un alignement sur des méthodes douteuses de la part de maisons jusque là honorables ou réputées telles.

      Supprimer

Un commentaire ? Inscrivez-vous ! Si vous êtes timide, les pseudonymes sont admis (et les commentaires modérés).