dimanche 2 août 2015

Ambre baltique

Revenant de vacances en Suède, je n’en ai point rapporté de perles, l’huître n’étant guère, à ma connaissance, une spécialité des rivages de la mer baltique. Disons plutôt, pour célébrer une ancienne richesse desdits rivages, que j’ai pu ramasser ici et là ce que l’on pourrait nommer quelques morceaux d’ambre, de valeur variée…
Littérature
L’édition en Suède, vue par un visiteur régulier habitant la France, semble un désert. Il est impossible, par exemple, de trouver – hormis ses deux ou trois derniers ouvrages – les livres d’un écrivain contemporain de quelque intérêt, que ce soit en édition normale ou en édition de poche. A la décharge des éditeurs suédois, reconnaissons que le marché est limité : la Suède est peu peuplée et, pour l’export, à part la Finlande… Ajoutons à cela que l’intérêt pour la vraie littérature semble mince en Suède : je me rappelle les bonds de joie que fit quasiment une libraire de Stockholm, il y a quelques années, lorsque je me présentai à la caisse avec un ou deux écrits de Strindberg (un auteur considéré pourtant comme « classique » et régulièrement réédité) dans une banale édition de poche ; encore un peu et je sortais avec une médaille.
Or voici, miracle ! que je suis tombé cette année sur une édition de l’œuvre romanesque complète de Carl-Henning Wijkmark, présentée en deux beaux volumes solidement cartonnés et reliés.
Pour la petite histoire, c’est grâce au Cahier de l’Herne consacré à Roger Nimier en septembre 2012 que j’ai appris l’existence de cet écrivain. Un de ses romans, Derniers jours[i], tourne en effet autour d’un personnage librement inspiré de Nimier. A découvrir avec appétit ? La France, du reste, n’est pas complètement absente d’un autre roman du même auteur, Toi qui n’es pas[ii], encore qu’il y soit plutôt question de la guerre de Finlande…
Notons en passant que Roger Nimier fait partie de quelques excellents écrivains français parfaitement inconnus en Suède. Un peu d’esprit français, caustique et tendu, ferait pourtant un grand bien à mes frères suédois.
A en perdre son latin
Autrefois, disons jusqu’à il y a une cinquantaine d’années, tout Suédois qui se piquait de culture se devait de savoir parler français. Avec, souvent, un charmant accent, germanique mais chantant, et quelques fautes sans doute secrètement destinées à faire sourire de mauvais esprits bien français.
Outre le domaine littéraire, un certain chic français est demeuré dans les métiers de bouche ou dans l’habillement. Une certaine dégradation touche le vocabulaire attenant d’importation française, au fur et à mesure qu’il se répand dans des couches peu au fait de notre langue. Ici et là, on peut commander à la carté un juteux entrecot avec des pommes.
L’invasion du sous-anglais mondialisé n’épargne pas, bien entendu, la Suède. A Stockholm, pour les soldes d’été, on pouvait voir cette année sur toutes les vitrines, au lieu de l’habituel rea (abréviation de realisation !), le mot anglais sale. Ce mot, apposé en énormes majuscules sous le nom d’une boutique prétendant au chic français, disons la chemise (exemple authentique), révèle tout le potentiel comique du sabir boutiquier.
Les Beatles étaient-ils russes ?
La crainte d’une agression russe est une vieille obsession suédoise. Elle a ses fondements historiques. Elle a aussi parfois provoqué d’énormes et catastrophiques sottises !
On pouvait lire dans la presse suédoise, lundi 27 juillet, que des plongeurs (civils et travaillant pour une entreprise privée de pêche aux épaves) avaient trouvé près des côtes d’Uppland[iii] l’épave d’un petit sous-marin, de type « vraisemblablement moderne », dont la coque, de couleur jaune, portait des inscriptions en caractères cyrilliques. Analyse, le jour même, d’un journaliste de Svenska Dagbladet « spécialisé dans les questions de défense » : il pourrait bien s’agir d’une nouvelle provocation russe, et compte tenu du contexte (l’Ukraine, tout ça, tout ça) !
Vu la couleur du sous-marin découvert, il eût été loisible de supposer que le texte peint en caractères cyrilliques sur sa coque était Ӗлo Cyƃmapйн et de redouter de trouver à l’intérieur les cadavres de nombreux Beatles russes[iv].
Il n’en fut rien, Dieu merci. Mardi 28, un communiqué de la marine indiquait que le sous-marin avait été identifié. Il avait dû couler accidentellement en 1916. Mais, après tout, qui nous dit que l’on ne pouvait pas être moderne en 1916 ?
La nouvelle a donc rejoint le rebut des bobards et bouteillons de rötmånaden[v], ayant juste le temps de permettre à quelques folliculaires russes de se gausser…




[i] Sista dagar, 1986.
[ii] Du dom ej finns, 1997.
[iii] Soit fort près de Stockholm.
[iv] Environ seize, si l’on tient compte du rapport entre la population du Royaume-Uni et celle de l’URSS au milieu des années 1960. Cette estimation vaut ce qu’elle vaut.
[v] Le mois de la pourriture : en gros, à partir de fin juillet, quand le temps se fait chaud et humide ; c’est aussi le moment où, comme partout en Europe, les journalistes sont désespérément à l’affût de quelque événement.

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