vendredi 29 mai 2015

Léon Daudet millésimé

Il y a quelques jours, comme je passais sur le boulevard Saint-Germain, je remarquai une bande de jeunes gens aux trognes somme toute présentables qui vendaient à la criée L’Action française[i]. Ayant poliment décliné leur offre, je ne leur fis pas la méchanceté de dire que je ne lis plus ce journal depuis la mort de Léon Daudet.
Maison Daudet, père et fils
Il est plus courant d’entendre célébrer Alphonse Daudet que son fils aîné Léon. Tout le monde connaît – sans toujours les avoir lus ? – Tartarin de Tarascon, les Lettres de mon moulin, parfois Le Petit chose, voire L’Arlésienne[ii].
Pour ce qui est de Léon Daudet, la connaissance que nous en avons se résume le plus souvent à quelques clichés, dont certains ne sont pas faux : romancier oubliable, critique littéraire et artistique (ainsi que membre de l’académie Goncourt) curieux et généreux, pamphlétaire politique des plus violents, mêlant une vive intelligence à une partialité frisant la bêtise, voire l’odieux. Ajoutons à cela un mémorialiste où se mêlent toutes ces qualités et tous ces défauts, et l’esquisse est complète[iii].
Pour ne pas se limiter à cette esquisse, les curieux pourront ouvrir les Souvenirs et polémiques, recueil réédité cette année chez Bouquins, la première édition remontant à 1992. Ou, pour ne garder que le meilleur, les Souvenirs littéraires, choix de textes établi par Kléber Haedens en 1968, réédité aux Cahiers rouges chez Grasset en 2009.
Un vin lourd mais fruité
Léon Daudet prétendait présenter à ses lecteurs toute une époque, à travers les volumes successifs de ses souvenirs[iv]. Est-ce vraiment cela que nous en retenons aujourd’hui ? Un peu, ici et là[v], mais il est vrai que la galerie de personnages illustres ou oubliés est telle que l’on ne pourrait tout en retenir. On y pêche en revanche, et on les savoure, une collection d’images incongrues servant à décrire quelques pantins ou célébrités de la IIIème république, qui sont du meilleur effet, par des rapprochements qui annonceraient presque du Vialatte, en plus méchant : « Je n’ai pas connu Casimir-Périer. Je n’ai fait que l’apercevoir, triste et grave comme un étui à lorgnette ». Ces trésors font partie de ce qu’il y a de meilleur dans le talent de Léon Daudet.
Un autre trésor est l’évocation de Victor Hugo, que Léon Daudet rencontra souvent dans son enfance et sa jeunesse. On y saisit, dans Fantômes et vivants, le génie, la fatuité et le ridicule qui cohabitent chez ce maître tout occupé à entretenir un monument à sa propre gloire, entouré par une cour mi-béate mi-intéressée.
Attention au bouchon !
D’autres passages sont moins plaisants. Certains propos de Daudet sont parfois tellement excessifs, tellement forcés, nous semble-t-il, qu’il est légitime de se demander à quel point il en était convaincu. L’antisémitisme, notamment, y apparaît dans des blagues et des allusions où la lourdeur rivalise avec la bêtise. Etait-ce pour se persuader de son admiration soudain inconditionnelle pour Edouard Drumont, admiration qui va jusqu’à lui faire écrire, dans Au Temps de Judas : « Cet outrancier de Léon Bloy exagérait tout de même quand, dans le dessein de contredire et d’embêter Drumont, il écrivait Le Salut par les Juifs », ce qui est une baroque andouillerie. Visiblement, Daudet n’a rien voulu comprendre à Bloy, qu’il juge d’ailleurs assez sommairement dans Le Stupide XIXe siècle.
Grâce à Dieu, Léon Daudet finira, après 1918, par revenir de cette encombrante obsession (ou pose), faisant dans Député de Paris l’éloge de Georges Mandel et reniant au passage, sans la cacher, sa haine passée dans Paris vécu. Cela au moment où l’antisémitisme allait prendre l’atroce tournure que l’on sait, en Allemagne, autre objet de la détestation, permanente celle-là, de Daudet.
Cependant, la condamnation de l’Action française par Pie XI en 1926 allait lui fournir une autre occasion de se battre les flancs pour s’échauffer sottement, cette fois contre l’Eglise catholique.
Ces défauts sont d’autant plus déplorables qu’ils viennent perturber la lecture d’ouvrages riches, savoureux, drôles et même parfois rafraîchissants intellectuellement, comme Le Stupide XIXe siècle, qui vient clore le recueil paru chez Bouquins. La dose en est moindre dans le volume publié par Grasset – en présence de ce goût de bouchon, l’habile sommelier Haedens avait eu l’intelligence de le filtrer, de le carafer et de le laisser s’aérer avant de le servir.




[i] « Contre la république des voyous ! » clamaient-ils : un tel pléonasme ne peut que me faire déplorer un certain relâchement du style chez les royalistes militants.
[ii] Peut-être surtout en chantonnant l’air de Bizet :
De bon matin
J’ai rencontré le train
[iii] Notons aussi que Léon Daudet fut fils et père. Notamment d’un jeune Philippe, mort en 1923 dans des circonstances jamais élucidées – suicide d’un adolescent aux nerfs malades ou assassinat politique couvert en haut lieu, tout est possible…
[iv] Notamment dans les premiers : Fantômes et vivants, Devant la douleur, L’Entre-deux-guerres, Salons et journaux, Au Temps de Judas, Vers le roi.
[v] Par exemple quant à l’éternelle médiocrité du microcosme politicien, qui peut aller jusqu’à se faire menaçante – qu’on pense à l’affaire Syveton ou à l’assassinat de Marius Plateau, événements évoqués par Daudet, qui les connut de près.

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