samedi 7 mars 2015

La bourse ou la vie ?

Il était une fois deux hommes nés à environ un siècle d’écart.
Le premier était un Français, agent de change à la bourse de Paris, marié et père de trois enfants. Tout allait bien pour lui quand, comme frappé de folie, il laissa tout choir, cours de bourse, femme et enfants, pour devenir peintre. Cherchant l’inspiration de plus en plus loin, en Bretagne, puis en Provence et enfin en Polynésie, il peignit abondamment sans rencontrer beaucoup de succès. Pauvre, malade et réprouvé, il mourut aux îles Marquises en 1903, à l’âge de cinquante-cinq ans. Ses tableaux, aujourd’hui, outre avoir atteint des cotes importantes, font l’objet d’études innombrables de la part de critiques et d’historiens d’art ; pour un musée, posséder une de ses toiles est un honneur.
Le second est Américain. Alors qu’il était courtier à Wall Street, il choisit un jour d’embrasser une carrière dans l’art plastique. See if it works pourrait être sa devise, celle du vrai Américain, celui qui ose tout pour tenter sa chance… And it worked[i] ! Apposant sa marque sur de nombreuses créations dont l’esthétique rappelle celle des boutiques de souvenirs, il fait les délices des milliardaires se piquant d’art contemporain. Tout est art dans sa vie, art contemporain pour être précis, jusqu’à son bref mariage avec une actrice italienne à la filmographie, disons… légère. Il croule désormais sous l’argent et les acteurs du monde culturel d’aujourd’hui se battent pour exposer son œuvre. J’ai dans les oreilles l’annonce que France-Culture ne se lasse pas de diffuser ces jours-ci pour nous inviter – ou nous inciter – à aller voir à Beaubourg la rétrospective de l’œuvre de l’artiste le plus célèbre et le plus controversé de notre temps. C’est qu’il ne serait pas drôle de ne pas être un minimum controversé : un artiste contemporain se doit d’être un rebelle !
Ouais. Personne n’est obligé d’aimer la peinture de Paul Gauguin : des goûts et des couleurs… Mais il est impossible de le tenir pour rien dans l’histoire de l’art, pour un quelconque barbouilleur. En revanche, je me demande ce qu’il sera possible de dire – et même si quiconque sera capable d’en dire quelque chose – de Jeff Koons dans cent ans. J’imagine l’air embarrassé et perplexe qu’auront les descendants de quelques milliardaires, dont les palais seront encombrés de machins dont ils ne sauront trop que faire…

[i] It works ! Voilà qui me rappelle la légende d’une illustration de Nicolas Bentley dans un petit livre amusant et sans conséquence de George Mikes, How to Scrape Skies, paru en 1948 : une jeune dame américaine, les yeux tous ronds, tire la manette d’une machine à sous, laquelle vomit un flot de piécettes : it works !

6 commentaires:

  1. Un écrivain qui a bien parlé de l'oeuvre de Gauguin, c'est Victor Segalen. Il ne l'a pas rencontré mais il était présent aux Marquises juste après sa mort. Il a pu avoir accès à ses dernières peintures et à ses écrits inédits. Cela lui inspirera un Hommage à Gauguin.

    Croyez-vous que Jeff Koons aura son Victor Segalen ? Permettez-moi d'en douter.

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    1. Non seulement je vous permets d'en douter, mais je partage entièrement vos doutes ! En littérature, la seule postérité que je parvienne à imaginer pour un Jeff Koons (ou quelque plasticien de cet acabit) serait l'effet comique qu'un romancier aux intentions satiriques pourrait trouver à l'encombrement dû à leurs "œuvres" chez les héritiers de leurs acheteurs...
      Pour ce qui est de Segalen, merci pour votre conseil. Moi qui en suis resté à "Réné Leys", voilà de quoi me cultiver.
      S.L.

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    2. allons allons
      jeff koons ( comme le test du même nom) aura non pas son victor segalen, mais SES victor segalen !
      ils chanteront ses louanges au plus haut des cieux médiatiques et surtout financiers ( j'ai bien entendu sur vronze cul que jeff koons était l'artiste le plus cher au monde , vous rendez vous compte, pas le meilleur , pas le plus inspiré , pas le plus dérisoire, risible ou burlesque , non , le plus cher ! au monde , hein , pas en région , au monde , quasiment en situation intergalactique ...dépèchez vous d'acheter , ça vaudra cher demain !)
      ils organiseront des rétrospectives
      ils célèbreront le génie du mec , et la façon dont ses photos ( qu'il ne se donne même pas la peine de cadrer mais sur lesquelles il est acteur , et même très actif , la ciciolina peut en témoigner....) sont tant tellement belles , explicatives et démonstratives.....
      et surtout , ils tenteront de convaincre les curateurs et conservateurs de musées,frac et collections privées , d'acheter , d'acheter à tout prix ( c'est pas grave c'est l'état qui paye ) ces oeuvres ( oui oui , ces oeuvres) avant que leur cote ne dégringole et qu'ils ne se retrouvent à sec

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    3. "Avant que leur cote ne dégringole et qu'ils ne se retrouvent à sec" : exact, donc Jeff Koons ne durera que le temps de l'opération financière... Et on l'oubliera. Donc pas vraiment de Victor Segalen pour Koons : quelques plumitifs aussi oubliables que lui, tout au plus.

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  2. Est-ce parce que nous sommes réactionnaires que nous méprisons les oeuvres de Jeff Koons, ou est-ce la multiplication d'escroqueries artistiques de ce genre qui finit par nous rendre réactionnaires ? Quoiqu'il en soit, je me range avec plaisir du côté des lanceurs de tomates (Ne soyez plus lanceurs d'alarmes, Devenez actifs, Devenez lanceurs de tomates).

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    1. Bonne question... Pour ma part je penche pour le second terme. De manière générale (et en bien des domaines), je crois que nous vivons une basse époque, ce qui n'interdit pas un moment d'émerveillement de temps en temps, bien sûr. Naturellement, les promoteurs d'escroqueries du genre Koons et autres nous assimileront toujours aux quelques ronchons de la première catégorie, puisqu'il doit en exister.

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