mardi 4 novembre 2014

La subversion m’ennuie : 3 – Tree

Résumé des épisodes précédents (1 et 2) : les Muses, après avoir subi la vantardise bavarde d’un marquis pervers, ont pu constater, deux siècles plus tard, alors que le marquis a encore ses admirateurs, qu’il n’en va pas de même pour un malheureux pompiste tout aussi dérangé. Sautant encore quelques lustres, les voici arrivées à Paris, où un certain type de mobilier urbain les plonge dans la perplexité.
Tree, ce n’est bien entendu pas trois mal traduit en anglais, mais le nom d’une installation qui a causé quelque bruit dans Paris en octobre.
Scandale place Vendôme
Brossons le tableau à grands traits : au moment de l’édition 2014 de la FIAC, on put voir s’ériger place Vendôme un immense objet de couleur verte que l’on pourrait, en toute objectivité décrire comme un cylindre surmonté de trois portions de cônes, la première se rétrécissant vers le haut, la seconde s’élargissant vers le haut et la troisième se rétrécissant vers le haut, finissant par sa pointe ; les jointures entre ces différentes formes, ainsi que la pointe du dernier cône, étaient arrondies et l’ensemble était constitué par une structure gonflable. Cette installation, intitulée Tree, donc, était l’œuvre, si l’on peut dire, d’un artiste nommé Paul McCarthy[i]. Notons qu’outre faire la publicité de la FIAC, l’objet était installé à Paris concomitamment à l’ouverture d’une exposition du même McCarthy à la Monnaie de Paris, Chocolate Factory, présentant des lutins priapiques en chocolat.
Cette installation fit scandale, quelques âmes vertueuses (outre l’artiste lui-même, de son propre aveu) voulant y voir un plug anal[ii]. A tel point qu’un petit groupe de ses contempteurs parvinrent à la dégonfler et qu’un autre de ces contempteurs asséna une paire de gifles à M. McCarthy.
D’où un nouveau scandale : à en croire la gauche gouvernementale, la liberté de création artistique aurait été menacée, M. Hollande (désœuvré en cette mi-octobre ?) regrettant cette souillure et Mme Pellerin[iii] redoutant un retour des conceptions esthétiques nationales-socialistes rejetant un supposé art dégénéré.
Morale automnale
Quel sérieux chez tous ces gens ! Passons sur les cris indignés de la bourgeoisie de gauche et de ses représentants au pouvoir : simple rhétorique politicienne, aussi creuse et à côté de la plaque que d’habitude. Les âmes vertueuses, quant à elles, ont donné les bâtons pour se faire battre, en dénonçant l’érection d’un plug anal géant place Vendôme : occasion rêvée pour les serveurs de soupe de la grosse presse de les tourner en ridicule en signalant qu’il faut avoir l’esprit bien mal placé pour voir un tel objet dans ce qui avait été nommé « arbre ». Et de voir dans les dégonfleurs des catholiques ultras du Printemps français ou de la Manif pour tous[iv].
J’ignore, du reste, quel put être l’état d’esprit, ou l’humeur, desdits dégonfleurs ; j’y reviendrai plus bas. Mais ce qui est sûr est qu’aller gifler M. McCarthy était particulièrement stupide : d’abord parce que ce n’est pas bien, ensuite parce que c’est faire beaucoup d’honneur à l’intéressé.
Tirez la langue au diable !
Qu’est l’œuvre de Paul McCarthy ? Renseignements pris, à peu près rien : quelques performances où le monsieur s’est montré couvert de diverses matières (y compris corporelles), des statues niaises montrant des formes phalliques, ou des installations gonflables, comme par exemple des étrons géants (en quelque sorte une œuvre qui est son propre commentaire). Son seul prestige réside dans son statut autoproclamé d’artiste, certifié par quelques critiques d’art à la mode, quelques marchands d’art et quelques grands bourgeois avancés qui tremblent de terreur à l’idée de ne pas avoir l’air de comprendre quelque chose à l’art contemporain et à sa teneur bien évidemment transgressive, subversive et dérangeante. Un bon filon, en somme. Une affaire d’argent.
Il eût donc suffi de dire de ce Tree ce qu’il était : un immense empilement de formes vertes, coniques et cylindriques, soit du point de vue artistique une nullité parfaite. Quant aux dégonfleurs, je les eusse applaudis s’ils avaient accompagné leur geste d’un discours ridiculisant celui des adorateurs de l’art contemporain ; par exemple en nommant Leaf (feuille) le tas vert et informe obtenu après dégonflage, et en rappelant qu’à l’automne les feuilles tombent[v], discours qui eût pu être signé du nom d’un collectif grotesque. Ils avaient à leur disposition mille manières de mettre de leur côté les rieurs et ceux qui veulent bien penser. Il eût aussi fallu donner une idée de ce qu’incarne Paul McCarthy : un certain opportunisme, astucieux et mercantile, assez américain – see if it works ! – soit tout ce que l’on veut nous faire croire que ce monsieur dénonce[vi].
Ne prenons pas Paul McCarthy pour le diable. Mais nous pouvons, sans oublier que le diable existe ni sous-estimer ses dangers, éviter de le flatter en nous offusquant du moindre de ses tours ; il vaut mieux le faire enrager en lui tirant la langue et en lui montrant que nous ne sommes pas dupes de ses ruses, lesquelles sont parfois pitoyables.




[i] Qu’il ne faut confondre ni avec Paul McCartney, musicien britannique bien connu, ni avec Joseph McCarthy, sénateur américain connu pour un anticommunisme revêtant des formes tellement paranoïaques et grotesques qu’un bon théoricien du complot devrait se demander s’il n’était pas en fait un agent communiste ; ni avec l’écrivain américain Cormac McCarthy..
[ii] Il s’agit apparemment d’un objet que d’aucuns aiment à… et puis non : si vous êtes aussi innocents que moi, vous savez ce que signifie plug en anglais et anal en français. Je crois que cela s’appelait autrefois un godemichet. Mais c’était au temps où les perversions sexuelles n’avaient pas encore pris une tournure mondialisée, au fait, à la page, quoi. Cette appellation est sans doute à approcher de l’expression sex toy. Il doit exister une industrie pour ce genre d’objets. Le sérieux avec lequel cette activité est probablement menée (gestion des approvisionnements et des stocks, procédés de fabrication, etc.) a quelque chose de hautement comique et pitoyable.
[iii] Ministre de la cyberculture dans le gouvernement Valls 2.0, qui n’a pas le temps de se renseigner sur l’œuvre (sans guillemets ni italiques cette fois) de Patrick Modiano, trop occupée qu’elle est à s’opposer par des touits au retour des nazis.
[iv] L’amalgame entre la Manif pour tous et le Printemps français est déjà douteux, celui entre le catholicisme et la Manif pour tous l’est encore plus, quant à celui entre le catholicisme et le Printemps français, il est tellement bête qu’il pourrait être de Caroline Fourest (ce qui me peine, c’est qu’il doit se trouver des auditeurs de France-Culture et des lecteurs du Huffington Post pour prendre au sérieux cette talentueuse comique) ; mais non, à l’examen, ce n’est pas d’elle. On trouvera aussi un article d’un certain Quentin Girard dans Libération, condensé de clichés et d’amalgames haineux, assez drôle malgré lui.
[v] « J’adore le concept » m’a dit un ami au vocabulaire plus moderne que le mien, lorsque je lui exposai cette idée.
[vi] Dans cet esprit, si j’ai bien compris, Causeur a publié à ce sujet un intéressant article de Laurent Cantamessi.

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