samedi 4 octobre 2014

Papas du tout, mamans non plus

Si jamais vous l’ignorez (peut-être habitez-vous à l’étranger), apprenez qu’auront lieu demain dimanche, à Paris et à Bordeaux, deux Manifs pour tous. L’occasion de s’y rendre, bien sûr, mais aussi de se poser quelques questions, jusques et y compris d’ordre esthétique.
Manif pour quoi ?
A quoi bon cette manifestation, diront les moins au fait : la loi sur le mariage dit pour tous est passée, passez donc à autre chose ! Ayons pitié d’eux, et apprenons-leur qu’il s’agit maintenant des choses sérieuses : affirmer un refus clair et sans ambiguïté de donner un quelconque droit en France à l’insémination artificielle pour des couples de femmes et au recours à des mères porteuses pour des couples d’hommes. Autrement dit, à la fabrication d’enfants à la commande, comme s’il s’agissait de biens, et à la location de corps de femmes, comme s’il s’agissait d’outils de production[i].
Oui, nous répondront de plus avisés que les précédents, mais le gouvernement ne semble pas vouloir légaliser ce genre de pratique. Formellement, l’objection n’est pas fausse, mais certaines circulaires tendent à les autoriser de fait, en douce, en reconnaissant au cas par cas le fait accompli.
Ah, mais pardon, insisteront-ils : M. Valls vient de dire qu’il est contre et qu’il s’y opposerait. A cette objection, je répondrai qu’un personnage historique bien connu dans notre pays et par bien des aspects plus mémorable et parfois vénérable que M. Valls déclara en 1958 que, lui vivant, on ne verrait jamais flotter le drapeau du FLN en Algérie[ii]. Cet homme se nommant Charles de Gaulle, on demande à voir en ce qui concerne M. Valls[iii].
Et, pour couper court à toute objection sur l’égalité des droits, ajoutons trois remarques :
Premièrement, il ne s’agit plus de s’opposer à un simulacre dont la portée ne serait que symbolique. Il est réellement question ici de la dignité d’êtres humains.
Deuxièmement, ce n’est pas parce que c’est autorisé dans quelques pays étrangers qu’il faut s’aligner. J’aurais même tendance à penser le contraire : la France pourrait fort bien avoir l’honneur d’être un exemple de résistance aux formes les plus perverses du libéralisme[iv].
Troisièmement, à ceux qui diront que la « PMA » est autorisée pour certains couples hétérosexuels, il est possible de répondre que c’est limité à des cas précis de stérilité. Et – c’est là un avis personnel qui n’engage que moi – que je serais plutôt pour l’interdire, de même que le recours à une mère porteuse, à tout le monde : il arrive qu’une personne ait certaines incapacités. C’est triste, parfois douloureux même, cela mérite beaucoup de délicatesse et de compassion, mais cela ne justifie pas toutes les manipulations.
Je suis donc au regret de dire ceci : le premier qui me parlera d’homophobie à propos de ces manifestations (et à propos de l’opposition à une certaine modernité dont elles ne sont qu’une forme parmi d’autres) se verra gratifié de ma part d’un vigoureux… haussement d’épaules.
Esthétique de la manifestation
Venons-en maintenant à des considérations qui pourraient passer pour futiles et qui ne le sont pourtant pas. je veux parler d’esthétique, de la forme qu’ont prise jusqu’à présent les Manifs pour tous.
Dès le début, j’avoue avoir été gêné, pour ne pas dire crispé, par l’orgie de drapeaux bleus ou roses avec un joli motif (ou logo) représentant une famille idéale (mais sans visage), par la sono « dansante » (à l’aune contemporaine) et par des slogans parfois approximatifs. Sur ce dernier point, les panneaux prévus pour demain semblent marquer une légère amélioration, avec encore quelques à-peu-près regrettables[v]. Pour le reste, nous verrons bien sur place.
Pourquoi cet agacement ? Il y a, certes, une affaire de goût. Le rose bonbon et le boum-boum amplifié, le cucul et le festif, très peu pour moi, merci[vi]. Quant à brailler des slogans au milieu d’une foule… Mais il y a autre chose : je ne vais pas à ces manifestations pour faire la fête (non que cela ne m’amuse pas un peu), mais pour participer à une protestation contre des projets qui me semblent néfastes. Contre le mariage dit pour tous, on en était encore au niveau de la blague, absurde ou vaudevillesque, comme on voudra. Tandis que maintenant, c’est du sérieux. L’allure des manifestations devrait le refléter : un peu moins de bruit, quelques banderoles ici et là, et des distributions de tracts[vii] aux passants le long du cortège, cela pourrait être fort digne.
Je crois deviner ce que cachent tous ces trililis : la peur de ne pas avoir l’air moderne. Un défilé plus austère risquerait de faire passer les manifestants pour d’affreux réacs. Eh bien, l’hostilité d’une bonne partie de la presse, des politiciens et des pipôles (un peu le même monde, tout cela) est telle que le mal est déjà fait. Disons donc aux organisateurs : n’ayez pas peur de passer pour des réacs. Que vous le soyez ou non, qu’importe ? Soyez libres, et soucieux de votre cause et de sa défense pacifique, plutôt que de votre image. Et ne risquez pas de lasser certaines bonnes volontés, ce qui serait dommage[viii].
Une dernière chose : tout le matériel utilisé pour ces manifestations coûte de l’argent. J’ignore combien, mais cela compte quand on entend aussi – fort à propos – protester contre l’assèchement progressif de l’aide aux familles, notamment les plus pauvres ou les plus nombreuses.
Mais qu’importe : j’irai quand même manifester demain. L’enjeu dépasse mes goûts et mes réserves.




[i] Rappelons à ce sujet ce qu’avait déclaré Pierre Bergé en 2012, en défendant le mariage dit pour tous : « Nous ne pouvons pas faire de distinction dans les droits, que ce soit la PMA, la GPA ou l'adoption. Moi je suis pour toutes les libertés. Louer son ventre pour faire un enfant ou louer ses bras pour travailler à l'usine, quelle différence ? C'est faire un distinguo qui est choquant. » Dont acte : pour M. Bergé, un ouvrier, c’est une paire de bras, et une paire de bras, ça se loue. Autrement dit, c’est un outil de production. Pareil pour une femme. Peut-être cela devrait-il nous faire réfléchir aussi sur le travail salarié…
[ii] Ne vous méprenez pas : il ne s’agit pas de faire ici sa petite poussée de nostalgie Algérie française, mais d’exposer un exemple.
[iii] Nous verrons bien l’écart entre selon les organisateurs et selon la police
[iv] Eh oui ! La mission de la France : pays des droits de l’homme ou fille aînée de l’Eglise, il y a en l’occurrence de la place pour tout le monde.
[v] Je vous laisse vous faire votre idée ici.
[vi] Petite note personnelle : je connais des gens qui prétendent que je suis né vêtu de tweed, d’autres que j’étais coiffé avec la nuque bien dégagée et la raie sur le côté dès la naissance. C’est très exagéré.
[vii] Les tracts devant contenir plutôt des explications que des slogans ou quelques formules « choc » : il s’agit de parler à des adultes.
[viii] Voir ici un propos intéressant (quoique je n’en partage pas toutes les conclusions) dans le blog de Fikmonskov.

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