lundi 4 août 2014

Une carte postale suédoise

Ma retraite champêtre et maritime, dont je reviens tout juste, se trouvant quelque part en Suède, j’ai tâché de mettre à profit la canicule qui y régnait ces dernières semaines pour lire à l’ombre. Y compris la presse du pays, quelques articles et tribunes de Svenska Dagbladet[i], par exemple.
L’Eglise suédoise, l’orient et le climat
L’Eglise suédoise (nom de l’Eglise luthérienne officielle et nationale, séparée de l’Etat depuis quelques années), a essuyé, dans quelques tribunes de ce quotidien, diverses critiques, plus ou moins justifiées comme on le verra.
Pour commencer, ce qui a été critiqué le plus vivement ces derniers temps est, à en croire les auteurs de quelques articles, le silence ou pour le moins la tiédeur de l’Eglise suédoise quant aux persécutions que subissent nos frères chrétiens en Irak et en Syrie. Un Assyrien installé en Suède a ainsi – et plutôt brillamment – supposé que l’Eglise suédoise et son archevêque ont sans doute trop à faire à protester contre la brutalité des opérations menées en ce moment à Gaza en s’abstenant de consommer des jus de fruits israéliens. Si c’est bien le cas, on ne saurait qu’acquiescer à ces propos, sans pour le moins minimiser les brutalités susnommées[ii].
La tiédeur de l’Eglise suédoise semble être un grief assez fréquent, notamment en ce qui concerne ses fondements. Dans un récent article[iii], on pouvait lire qu’« une Eglise qui a récemment choisi un nouveau chef spirituel parmi cinq candidats qui sans exception ont répondu de manière hésitante à la question de savoir si le Christ est un plus grand prophète que Mahomet, doit bien être considérée comme un peu égarée »… L’article avait pour objet une lettre épiscopale à propos du climat : le grief cité plus haut donne l’occasion à son auteur de considérer que l’Eglise suédoise n’est pas à sa place lorsqu’elle parle d’autre chose que de questions strictement spirituelles et qu’elle place la politique avant Dieu. En somme, l'article cité semble dire : « occupe-toi d’homélies[iv] ».
Ce genre d’argument laisse songeur : il se trouve toujours quelqu’un pour critiquer une autorité religieuse, quelle qu’elle soit, dès lors qu’elle ne donne pas sa bénédiction à ce qui arrange les uns ou les autres. Une Eglise (quelle que soit sa confession) sera toujours trop à gauche pour les uns ou trop à droite pour les autres. Le tout, pour éviter de telles critiques ou pour y répondre de manière imparable, est de nourrir son propos de fondations solides et de ne pas s’y limiter, ce qui semble manquer à l’Eglise suédoise[v].
Le gaz, la liberté et l’OTAN
L’écologie étant passée par pertes et profits (au nom du souci des plus pauvres et du rejet d’un supposé gauchisme) dans cette chronique, il est temps de passer aux choses sérieuses. En lisant un éditorial d’un journaliste par ailleurs auteur d’intelligents articles dénonçant l’indifférence du monde devant la persécution des chrétiens d’orient[vi], j’apprends qu’il est nécessaire de voir enfin arriver la « révolution » du gaz de schiste en Europe. En Suède en particulier, où cela ne saurait être dangereux, puisque les réglementations environnementales suédoises sont strictes. Tout cela au nom de la liberté : il faut se prémunir de la dépendance énergétique face au méchants, méchants, trrrrrès méchants russes.
Ouais. Si c’est cela la liberté et la révolution, très peu pour moi. Je ne serai jamais un libéral, j’en ai peur, ni un révolutionnaire, si c’est pour laisser à nos descendants des trous sales avec des tuyaux fuyards en vue de brûler un peu plus de gaz. (Autrefois, on n’était pas nécessairement meilleur qu’aujourd’hui, mais on laissait des châteaux et des cathédrales, ce qui était quand même plus beau).
Il est vrai que la Russie a toujours donné du souci aux Suédois. Après tout, ce n’est pas loin, la Russie, et les relations de voisinage ont rarement été tendres. Et la situation douloureuse de l’Ukraine n’aide pas toujours à réfléchir. A tel point que, toujours dans les colonnes de Svenska Dagbladet, on a pu lire récemment une tribune de membres du parti centriste défendant l’idée d’une adhésion de la Suède à l’OTAN, puisque ce pays n’a plus les moyens de se défendre contre une éventuelle agression extérieure. Ben voyons : c’était prévisible, après vingt ans passés par les politiciens à réduire les moyens des forces armées suédoises, lesquelles, encore naguère, n’étaient pas tout à fait rien. Sans doute cela permettrait-il de se montrer plus solidaires avec l’Ukraine ? En se montrant plus hostile envers la Russie ? Voilà qui a un curieux arrière-goût de Poltava, sans vouloir trop donner dans le folklore. De plus, les auteurs de cette tribune citent l’exemple, d’intrusions d’avions militaires russes dans l’espace aérien suédois, auxquelles des avions de l’OTAN – danois en l’occurrence – ont pu mettre fin. Certes, mais qui alors pour mettre fin aux incursions américaines (ce qui a eu lieu ces derniers jours) ?
Tous à la Pride !
Depuis quelques années a lieu, fin juillet, à Stockholm, le Pride Festival, une semaine de manifestations, de débats et de spectacles autour de l’homosexualité et de thèmes adjacents. Un festival organisé par des militants LGBTQ[vii], où chaque parti politique se croit obligé d’être représenté. S’il y est autorisé par les organisateurs, qui exigent que tout le monde soit de leur avis mais ne voudraient pas être pris pour un service public – public service, comme ils disent en bon suéglais[viii]. Il existe du reste en Suède un ministre pour ces questions fondamentales.
Ce festival a revêtu un aspect tellement officiel, voire obligatoire, que la radio d’état en fait des émissions à tout propos : il a été donné il y a quelques jours aux auditeurs de la chaîne musicale « sérieuse » d’entendre un programme sur la contribution des homosexuels à la musique, de Händel à Cole Porter, en passant par Schubert, Saint-Saëns, Britten ou Poulenc, sans oublier Chopin, qui était certainement « bi », paraît-il. Deux remarques : Monteverdi, Bach, Beethoven, Mozart et tant d’autres, c’est du mou pour les chats, sans doute ? Et que me fait la vie sexuelle d’un compositeur ?
Un aspect de ce festival m’amuse : le vocabulaire. Il est question ici de pride et non de fierté (en suédois : stolthet). Et, parmi ces personnes si fières (oh, pardon : proud), se trouvent naturellement celles qui se disent queer. Cette invasion de mots anglais pourrait paraître anecdotique, mais elle me semble préparer un terrain favorable dans les esprits au n’importe quoi, à la confusion globalisée de tout dans tout.
Mauvaise nouvelle…
… pour le pronom hen (dont je vous ai entretenu ici l’an dernier) : il a été reconnu par l’Académie suédoise.
… Et bons romans ?
La mode du polar scandinave fait depuis quelques années les ravages que l’on sait. Ne citons que les noms de Henning Mankell et de Stieg Larsson, bonne âme de gauche dont les héritiers s’entredévorent pour savoir à qui échoiront les millions rapportés par le combat de son héros contre les hommes qui n’aiment pas les filles qui jouent avec les allumettes dans des châteaux pleins de courants d’air. Plus récemment est apparue la vogue du roman picaresque rigolo avec des vieillards fabuleux, comme Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire, de Jonas Jonasson.
Mais, et c’est regrettable, personne ne semble avoir eu l’idée de traduire les aventures du Secrétaire d’Etat (en suédois : Statsrådet), histoires policières hautement comiques écrites entre 1968 et 1990 sous le pseudonyme de Bo Balderson (on ignore qui se cache derrière ce nom : plus de cent noms d’écrivains ont été proposés, mais l’intéressé, il y a quelques années, a prétendu être un ancien gardien des toilettes du parlement). On y suit les exploits d’un secrétaire d’état, assez fin politicien pour toujours rester en place mais surtout monument jovial de balourdise, d’incompétence et d’inculture, qualités qui contribuent à résoudre des énigmes laissant perplexes les forces de police. Ces exploits nous sont narrés par son beau-frère, homme timide, cultivé et raffiné, droit jusqu’à la naïveté, sur un ton à la fois consterné et admiratif. Traducteurs, éditeurs, au boulot, voulez-vous bien !
Ces considérations ne m’empêcheront pas de lire le nouveau roman de Torgny Lindgren – pas un auteur de polar : un écrivain, un vrai, un artiste. Et un académicien, dont j’ignore l’avis sur la question essentielle du pronom hen.


[i] Un peu le Figamonde ou le Mondaro local, si vous voulez. Ceux qui lisent le suédois (ou qui veulent essayer) peuvent trouver l’édition en ligne gratuite ici.
[ii] Quelqu’un pourrait-il dire au gouvernement israélien et au Hamas qu’il n’est ni moral ni raisonnable de se comporter comme des garçons de cinq ans (mais avec des armes) quand on a passé cet âge turbulent ?
[iii] de Maria Ludvigsson : Politik före Gud i biskopsbrev (La politique avant Dieu dans une lettre épiscopale)
[iv] Je tiens à préciser que je ne suis pas l’auteur de ce jeu de mots. Il a un peu plus de soixante-cinq ans et nous le devons à Antoine Blondin.
[v] Par comparaison, dans la modeste paroisse parisienne et catholique que je fréquente, le prêtre qui officiait ce dimanche (18ème du temps ordinaire), en en commentant les riches et nourrissantes lectures, nous a rappelé que nous sommes les gardiens de la Création et que de ce fait l’écologie est plus une affaire d’action de grâce que de partis politiques (j’ajouterais pour ma part : de droite ou de gauche). Ces lectures étant riches et nourrissantes, il fut question de bien d’autres aspects, spirituels notamment. Du solide, si l’on peut dire.
[vi] Ivar Arpi.
[vii] EJNSECQOPI (et je ne sais encore ce qu’on peut inventer).
[viii] On pourrait ainsi nommer (en suédois : svengelska ?) l’équivalent suédois du franglais.

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