vendredi 30 mai 2014

Prométhée engraissé

Osons, en quelques notes aussi brèves que possible, rapprocher quelques actualités françaises et européennes qui, en apparence, n’ont que des rapports lointains. L’exercice n’est pas forcément réjouissant, quoiqu’il puisse s’avérer parfois drôle et intéressant.
Séisme
Voilà un mot qui est revenu à la mode depuis les résultats que l’on sait aux élections européennes. Il nous ramène en 2002, où il avait déjà été employé après le premier tout de l’élection présidentielle (un ami, hélas disparu depuis, avait préféré me dire, le soir de ce premier tour : « quelle poilade ! »). Ce mot, répété à l’envi, ainsi que les habituelles références approximatives aux années trente, permet de prendre des poses héroïques et surtout d’éviter de réfléchir, par exemple aux raisons qui ont fait s’abstenir la majorité des électeurs et voter une bonne partie de ceux qui s’en sont donné la peine pour le Front National.
Les belles âmes préfèreront crier séisme aussi fort que possible, et protester contre le Front National. Jeudi, quelques milliers de jeunes sont allés manifester contre le résultat d’une élection tout à fait légale. Mais le plus beau que j’aie entendu, c’est une reprise façon variétoche contemporaine du Chant des partisans par un certain Benjamin Biolay. Quelle leçon, quel courage ! Comme la résistance est commode, quand il s’agit de protester contre un parti politique légal parmi d’autres, quand c’est tout à fait permis (et même encouragé) ! Et, encore une fois, cela évite de réfléchir, ne serait-ce qu’à la manière de réfuter les arguments dudit parti.
Dans un domaine assez proche, il est plutôt encourageant de voir qu’en Ukraine, ce ne sont pas les héroïques combattants de Kiev, célébrés naguère par quelques grandes consciences horrifiées par le Front National qui ont emporté l’élection présidentielle. Je veux parler bien sûr des gens du Secteur Droit ou de Svoboda qui, autant que je sache, sont autrement inquiétants que le Front National, mais scandalisèrent moins les belles âmes de chez nous lorsqu’ils s’arrogèrent un tiers des postes dans le gouvernement de fait qui s’était installé dans leur pays jusqu’à cette élection.
Débat d’idées à l’UMP
Trop au centre, trop à droite ? Trop décomplexés ou pas assez ? Faut-il se poser en adversaire ou en concurrent du Front National pour conserver ou gagner des voix ? Voilà le débat d’idées qui semble agiter l’UMP : au fond, un problème de définition du marketing mix. C’est assez normal, puisque ce parti politique réunit des dirigeants parmi lesquels on ne saurait dire s’il s’en trouve deux qui pensent de manière compatible. Quand ils pensent.
En attendant, les voilà obligés de se passer de M. Copé, leur penseur en chef, empêtré dans une affaire de fausses factures aussi sordide que grotesque. Il est curieux de constater que ce n’est qu’après coup que tous ces politiciens comprennent que ce genre d’affaire contribue à nourrir l’abstention et les succès du Front National aux élections. Avant de recommencer, recommencer, et recommencer encore…
Mais heureusement M. Hollande veille. Il a sommé l’UMP de ne plus céder à ce genre de faiblesse. Il est vrai que ce n’est pas à gauche que l’on ferait de pareilles bêtises. Qui se souvient, du reste, qu’il y a un peu plus d’un an, M. Cahuzac, alors ministre…
L’affaire qui embarrasse l’UMP et M. Copé implique une société de communication nommée Bygmalion. Un nom clairement forgé sur un jeu de mot mythologico-vaseux : Pygmalion en plus grand, Pygmalion au carré. On imagine M. Copé en Pygmalion de soi-même : érigeant sa propre statue et s’en éprenant… Certains ont ironisé sur ce nom, le travestissant en big millions. Big Mammon ne serait pas mal non plus, dans le registre de l’idolâtrie.
Mais à bien y songer, je n’aime pas ce big. Je préfère rester français et utiliser gros. A quand un Grométhée, une sorte de Prométhée obèse ? Ce serait un bon symbole de notre basse époque.
Démocratie européenne
Il est légitime de se demander si les institutions européennes sont démocratiques, malgré les récentes élections, et à quoi elles servent. On se souvient du traité de Lisbonne, qui reprend en gros les dispositions du traité rejeté entre autres par la France en 2005 (lors d’un référendum : si les gens votent mal, eh bien il n’y a qu’à se passer de leur avis). Or ce traité prévoit que des citoyens européens peuvent soumettre des pétitions à la Commission Européenne. Une de ces pétitions vient d’être rejetée par ladite commission : il s’agit d’Un de nous, qui vise à faire interdire les manipulations d’embryons humains à des fins de recherche. Cette pétition a réuni près de deux millions de signatures dans toutes l’Europe, mais apparemment ses promoteurs et les signataires n’ont pas à se mêler de ce sujet. On lira à ce propos ce qu’en dit la Fondation Jérôme Lejeune, ici, avec profit ; n’hésitez surtout pas à ouvrir le document où la Commission Européenne justifie le rejet de la pétition : trente-deux pages d’arguties vagues teintées de charabia simili-juridique pour dire en gros que les recherches en question sont tout à fait éthiques (puisqu’on vous le dit) et qu’elles représentent de juteuses occasions pour l’industrie pharmaceutique (ce qui, au fond, semble plus important pour ces gens que le reste).
Si certains se demandent à quoi sert la Commission Européenne, c’est qu’ils ne s’informent pas : elle sert, au moins, d’abord à inviter les citoyens européens à s’exprimer, ensuite à les prier de se taire. Et, pour délayer sur trente-deux pages un « oui mais non, en fait taisez-vous », il doit falloir du monde.
Vacheries
On pourrait rapprocher cette affaire de celle du projet d’installation, près d’Abbeville, d’une étable pour mille sept cents têtes de bétail (autant dire une usine à vaches), destinée à la production massive de lait et de viande destinés à la vente à vil prix. Autrefois, dans les mythes grecs, Prométhée finissait par être enchaîné. Aujourd’hui, ses adorateurs l’ont libéré et ont décidé de l’engraisser. D’où, sans doute, ce besoin de bidoche en abondance.
Cinq opposants au projet sont actuellement détenus pour avoir démonté l’autre jour quelques tuyaux sur le chantier de cette usine. Ils sont accusés de vandalisme. Car, bien sûr, les vandales, ce ne sont pas ceux qui projettent d’empiler les vaches. Pour plus de détails et pour savoir qui sont les vandales, une visite ici vous éclairera.
Dans ce cas, comme dans celui d’Un de nous, les partisans de manipulations peu ragoûtantes ne manqueront pas, bien entendu, d’accuser leurs opposants d’être des obscurantistes qui, en maniant des peurs moyenâgeuses, menacent le progrès et la prospérité (ben voyons : la prospérité de quelques-uns). Sans me vanter, c’est de ce genre d’accusation que je vous entretenais il y a quelques jours (ici). On ne saurait donc trop conseiller à ces opposants de poursuivre leurs combats sans perdre de temps à se soucier de telles accusations.
Quoi qu’il en soit, signalons aux amis du progrès que leur idole, Prométhée, à force d’engraisser, pourrait finir par avoir mal au foie.

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