dimanche 27 avril 2014

Un mot : tabou

Bien souvent, en lisant la presse ou en écoutant la radio, je tombe sur des expressions comme :
Je sais, je vais briser un tabou, mais…
Ou :
Vous savez, je n’ai pas de tabou, moi…
Ou encore :
Parlons sans tabou, voulez-vous bien…
C’est curieux, mais dès que j’entends le mot tabou, il me vient un soupçon : la personne qui parle ainsi va ou bien enfoncer une porte ouverte ou bien faire allégeance à l’esprit du temps, en professant, ce qui est de bon ton, une horreur pour tout ce qui pourrait ressembler à un dogme ou au respect d’un caractère sacré – un genre très bien porté de subversion, en somme.
Définition
Cherchez dans un dictionnaire : un bon gros Petit Robert bien élimé, ou sur le site du Trésor de la langue française (ici, et laissez-vous guider), par exemple. Le nom tabou vous renverra en gros à un sacré à la fois primitif, exotique et païen, transposé à des usages d’ici et maintenant.

Gradation et nivellement
Celui qui proclame n’avoir pas de tabou nous dit deux choses : premièrement, que ce qu’il désigne comme un tabou relève d’une croyance dépassée, arriérée, indigne d’être prise au sérieux par l’homme moderne ; secondement, que ceux qui tiendraient à l’usage ainsi désigné sont en somme un genre de primitif qui ne méritent qu’un regard vaguement attendri, dans la vitrine d’un musée ethnographique.
Tout peut y passer, du tabou des 35 heures au tabou de la fin de vie, en passant par le tabou du travail du dimanche ou les tabous de l’identité sexuelle. Curieusement, on peut observer simultanément une gradation et un nivellement dans ces « tabous » : peu à peu, on range au musée des notions plus ou moins anodines (entre nous, travailler 35 ou 37 heures par semaine, eh bien, peu me chaut), puis des notions plus sensibles sans être moralement insupportables (le travail du dimanche), avant de toucher à des équilibres symboliques (comme l’identité sexuelle) et, enfin, à la vie même (comme des questions sur la fin de vie), sans trop savoir, dans ces conditions, où il est prescrit de s’arrêter ; toutes ces notions seront rangées dans la même catégorie, afin de s’éviter toute question morale : tabous, vieilleries, quoi. Des superstitions auxquelles ne peuvent s’agripper que quelques fossiles, sans trop savoir pourquoi ils y tiennent tant. Autant balayer tout cela, les tabous aussi bien que les fossiles qui s’y agrippent, pareils à de vieux bigorneaux, ce dont conviendront tous les esprits rationnels et éclairés.
Objection
C’est drôle, mais pour ma part, je ne crois pas avoir beaucoup de tabous. Certaines choses me sont sacrées, mais j’ai l’impression de savoir pourquoi, dans la plupart des cas. Disons que mes raisons, fondamentalement, sont religieuses, avec leurs logiques conséquences morales. Je ne pense pas que qui viole ce que je tiens pour sacré mérite d’être tué, ni qu’il sera nécessairement foudroyé dans les quinze jours. Mais cette personne m’offensera (ce qui n’est pas insurmontable) et surtout, de mon point de vue, risquera fort d’offenser Dieu (Qui sera triste). En gros, il me semble plutôt qu’un ennemi mérite la pitié et une certaine sollicitude plutôt que la fureur.
Réciproquement, du reste, j’évite en général, disons, d’allumer un cigare si je suis dans le sanctuaire des autres.
Et, du point de vue moral, j’inviterais volontiers les briseurs de tabous à y regarder à deux fois avant de traiter de sauvages ceux qui ne sont pas de leur avis et de balayer leurs objections avec mépris. Connaissent-ils toutes les conséquences de leurs actes ou de leurs projets ?
Pour prendre une image, j’ai envie de leur dire de ne pas retourner toutes les pierres qu’ils peuvent trouver sur leur chemin : ce n’est pas que cela porte malheur, mais qui sait quelle vermine peut se cacher en-dessous ?
Alors, de grâce, employons un peu moins le mot tabou. Lequel, d'ailleurs, est devenu un lieu commun dont la banalité est propice à l’ennui.

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