jeudi 30 janvier 2014

François chez le Pape (ou : Hollande chez François)

Le bref voyage au Vatican de notre président préféré, il y a bientôt une semaine, est un événement qui n’aura échappé à personne. Fallait-il donc que votre Chatty Corner y aille aussi de son petit commentaire ? Pourquoi pas, mais alors un peu moins à chaud.
Une espérance
A l’occasion de ce voyage, entre deux réformes sociétales ouvertement opposées à ce que l’Eglise peut prôner ou admettre sur un plan moral, certains auront probablement prié à l’intention du voyageur et de son hôte. En ce qui concerne M. Hollande, pourquoi ne pas en profiter pour prier pour sa conversion, intention un peu ambitieuse, ou au moins pour que quelques doutes soient semés dans son esprit, germent et y croissent, quant à de nombreux aspects de sa politique ? Cela est fort bien exprimé dans un article récent du blog de Patrice de Plunkett. Je me suis permis d’y laisser un commentaire, et la réponse qui m’y fut faite m’incite à quelques développements, aussi brefs que possible.
Un rêve pieux
Bien entendu, il n’était pas interdit non plus, ce 24 janvier, d’imaginer François Hollande revenant de Rome à pied, chaussé de sandales et vêtu d’une robe de bure. Arrivé à Paris, après avoir abrogé quelques lois démentes, il eût prononcé la fin de la République et offert le trône de France à son héritier légitime. Lequel se fût loyalement engagé, lors de son sacre à Reims, à fonder un royaume fort, libre et juste. François Hollande, après avoir assisté à ce sacre les larmes aux yeux, se fût discrètement retiré dans un monastère pour désormais consacrer sa vie à la prière et à la méditation.
Son geste eût bientôt été imité par quelques-uns de ses anciens ministres. Mme Taubira, par exemple, après être entrée en religion sous le nom de sœur Christiane des Voix Magnifiques, eût obtenu de fonder le couvent Saint-François des Assises, en souvenir du Pape, de l’ancien président, et en référence à la récente lecture des œuvres complètes de François Mauriac[i], qui eussent remplacé dans sa bibliothèque celles d’Aimé Césaire. Et M. Valls, bientôt suivi par M. Peillon…
Assez. Ce n’est qu’un rêve. Il est très joli, non[ii] ? Mais, comme tous les rêves, il est un peu fou aussi – ce qui est à la fois la vertu et la limite des rêves agréables. Il suffit pour rester lucide de se rappeler qu’un rêve n’est qu’un rêve. Ce qui me rappelle un passage dans A.O. Barnabooth, son journal intime, de Valery Larbaud :
« Quoi : je n’ai jamais pu voir les épaules d’une jeune femme sans songer à fonder une famille. Le besoin est là, toujours prêt. Bon, ce sera pour une autre fois. »
Bon, ce sera pour une autre fois. Mais ne désespérons pas, une fois passée cette scène de vitrail, de voir germer autre chose que ce mélange de réformes démentes et de politicaillerie routinière qui caractérise ce président et son gouvernement en particulier, sans d’ailleurs toujours épargner leurs prédécesseurs immédiats.
Nous devrons évidemment nous armer de patience. Et accepter d’affronter bon nombre d’épreuves et d’avanies.
Un autre rêve, moins pieux
Bien entendu, ce n’est pas cette espérance qu’auront retenue la plupart des commentateurs de la grosse presse. Ils auront plutôt vu dans cette visite toute protocolaire une tentative de M. Hollande pour séduire l’électorat catholique. Ce qui appelle quelques remarques.
Premièrement, il y a fort à parier que c’est vrai. Dans mon commentaire à l’article de M. de Plunkett, j’émettais – oh, prudemment – l’hypothèse que ce genre de calcul était possible, calcul qui reviendrait en gros à prendre les électeurs – catholiques ou autres – pour des benêts qui se paieraient de quelques gages symboliques distribués ici ou là. M. de Plunkett prit moins de pincettes pour confirmer cette hypothèse : « Non seulement possible, mais avéré ! Mépris insondable des politiciens envers toute conviction… Un député de ma connaissance parlait de ses électeurs en les appelant "mes connards". » Edifiant, non ?
De deux choses l’une, puisque ce genre de gage n’est pas une première (M. Sarkozy l’avait fait aussi, en rencontrant Benoît XVI, sans trop de souci de cohérence avec le reste de sa politique et de ses discours) : ou bien le truc marche assez pour être répété, et bien des électeurs sont en effet des niais ; ou bien il ne marche pas, et ce sont les politiciens qui, à force de prendre les électeurs pour des nigauds, le deviennent eux-mêmes.
Il y a sans doute des deux, en vérité. Et aussi une tendance à classer les citoyens, à les ranger en catégories aussi simplettes qu’immuables, comme, je ne sais pas, moi, l’électorat catholique, l’électorat ouvrier ou l’électorat narbonnais[iii] (pour peu que les trois électorats susnommés divergent dans les conceptions des partis politiques, pour qui un ouvrier narbonnais catholique pratiquant doit-il voter ?).
Cette vision me semble être un rêve aussi fou que le mien, évoqué plus haut. Plus fou, même, puisqu’après tout je sais bien que mon rêve n’est qu’un rêve.
(Les lecteurs attentifs auront du reste remarqué que dans mon rêve la royauté était restaurée en France. C’est que j’ai aussi mon petit côté royaliste. Lequel ne m’empêche pas de savoir – sans que cela me gêne aucunement – que tous les Catholiques ne sont pas des royalistes. Il s’agit d’ordres différents.)
Alors, dans ces conditions, penser qu’il existe un électorat catholique que l’on pourrait séduire en allant s’entretenir courtoisement avec le Pape quelques instants me semble être non seulement une preuve de mépris, mais aussi un rêve assez vain.


[i] Bon, c’est une affaire de goût. En matière d’écrivains catholiques, je préfère Bloy ou Bernanos.
[ii] Quoiqu’un peu sulpicien, quand même. Mais plutôt bienveillant. Ce qui permettra de savoir à quelle manifestation je n’ai surtout pas participé le 26 janvier.
[iii] On pourrait ajouter : l’électorat féminin, paraît-il peu touché par le congé libéralement accordé par M. Hollande à Mme Trierweiler, ou encore celui constitué par les piétons parisiens, que se disputeraient Mmes Hidalgo et Kosciuszko-Morizet.

jeudi 23 janvier 2014

Conte fantastique

Soudain le besoin me prit de fuir. Ce pays, le mien pourtant, je ne pouvais plus y respirer. Je n’étais pas fier de prendre ainsi la fuite, du reste. Mais je n’avais plus le choix.
Où porter mes pas ? Je me rappelai fort opportunément qu’une de mes aïeules était originaire de la principauté de Trennenthal, au fin fond de la Forêt Palatine. Par quel mystère cette principauté avait échappé ces derniers siècles aux ciseaux des diplomates et aux sabres des guerriers, je l’ignore. Son territoire se limite à la petite ville de Trennenthal, enroulée autour du modeste palais princier, et à la campagne environnante. On y accède par un col permettant le passage d’une route étroite et d’un petit chemin de fer.
Au bout de quelques semaines de séjour, faisant valoir mes ascendances et acceptant de servir dans la garde territoriale, je fus naturalisé. Mon prestige de Parisien et l’emploi que mes qualifications me permirent d’obtenir m’acquirent l’amitié de quelques notables. Bientôt, je fis régulièrement partie du petit cercle qui se réunissait pour dîner, tous les jeudis, dans une salle du Rathauskeller.
Au cours d’un de ces dîners, le conseiller commercial adjoint Kupferschmidt, d’habitude vif et drôle, nous surprit en ne participant guère à nos conversations. Son regard se perdait dans le vague, et il avait un teint grisâtre et une mine chiffonnée.
Lorsque le garçon nous eut apporté le café, la bouteille de mirabelle et les cigares, le commandant de la garde territoriale l’interrogea :
-            Eh bien, monsieur le conseiller adjoint, vous me semblez ailleurs, ce soir.
-            Oui, monsieur le commandant. C’est que j’ai fort mal dormi la nuit dernière. Un cauchemar. Ou, faudrait-il dire une vision infernale ?
-            Mais encore, si ce n’est pas indiscret ?
-            Oh, rien d’indiscret là-dedans.
Après s’être servi un verre de mirabelle, il entreprit de nous conter cette vision.
« Après avoir traversé un pays dont je ne me souviens pas, si ce n’est qu’il était ravagé par des guerres et des famines et que tous ceux que j’y avais croisé gémissaient, j’étais entré dans une caverne.
L’air y était plutôt doux. A côté de moi se tenait un homme. Je lui fis remarquer le confort et la tranquillité des lieux, en comparaison avec les désolations diverses du dehors. Il me répondit que la misère qui régnait dans cette caverne le dispensait bien de songer aux supposés malheurs du reste du monde.
Une fois habitué à la pénombre qui régnait, je pus voir trois assemblées.
La première était réunie autour d’une longue table, au bout de laquelle trônait un homme au comportement étrange. Il ressemblait à un genre de bouddha, mais portait un costume étriqué et une cravate nouée de travers, qui lui donnaient l’air d’un agent immobilier. Debout, à ses côtés, se tenaient deux femmes, une blonde et une brune. Il avait un casque de moto, qu’il mettait et retirait alternativement, avec un sourire d’aise. Lorsqu’il mettait le casque (après avoir dit : "choc !"), la femme blonde criait de joie, tandis que la brune pleurait. Lorsqu’il l’ôtait (avant de dire : "pacte !"), c’était l’inverse.
A une autre table, quelques messieurs gras et joviaux trinquaient et puisaient dans une marmite fumante. Ils ressemblaient aux caricatures que font encore les communistes quand ils représentent des patrons.
Le long des parois de la caverne se tenaient des gens à l’air quelconque, grisâtre, triste. Ils regardaient attentivement ce qui se passait aux deux tables et à l’entour, en faisant toutes sortes de commentaires.
Soudain, un petit homme entra par une faille de la paroi. Il ressemblait à un vieil enfant, avec un front légèrement dégarni et des yeux doux et tristes. Il fit un crochet par la table des hommes gras, qui lui tapèrent sur l’épaule, puis aborda l’autre table en se plantant devant l’espèce de bouddha casqué. Il lui fit d’une voix blanche toutes sortes de reproches, avant de sortir d’un sachet de papier un pain au chocolat, qu’il se mit à grignoter en lançant des regards jaloux. On murmura dans la foule massée autour des parois.
Puis une dame assise à la première table fit venir à elle un défilé de couples d’hommes et de couple de femmes. C’était une Mulâtresse au visage sévère. Elle se tourna vers les couples, leur fit un signe qui ressemblait à une bénédiction et leur tint des propos abscons : "ensorcellement qu’est mon jour qui fait vos nuits !". Les couples repartirent. Des enfants s’approchèrent bientôt d’un commensal de cette dame, un homme qui portait de petites lunettes. Il se leva, tapota la joue de chacun d’entre eux, puis mit un ruban rose dans les cheveux de chaque garçon et une cravate au cou de chaque fille. Une jeune femme très brune, assez jolie, assise à côté de l’homme aux lunettes, leur coula un regard plein de tendresse avant de leur dire qu’ils étaient maintenant émancipés et de leur donner chacun un brevet. Ils repartirent et se fondirent dans la foule des parois.
Par une autre faille dans la roche, je vis venir une procession, menée par un évêque. Il s’approcha du bouddha mal cravaté et, humblement, vint lui murmurer quelques mots à l’oreille. Le bouddha haussa les épaules avec un petit sourire, remit son casque et congédia l’évêque. C’est alors que d’une cloche qui couvrait un plat posé sur la table sortit une jeune femme. Elle était nue et faisait des grimaces. Elle s’empara de morceaux de foie de veau qui étaient posés dans le plat et, poussant un hurlement, les lança à la face de l’évêque, qui repartit, en haussant les épaules lui aussi. Tous les commensaux avaient détourné le regard, ce dont profita l’un d’entre eux, un petit bonhomme tout en nerfs, qui se leva et chassa à coups de pieds quelques jeunes gens qui étaient entrés dans la caverne en même temps que l’évêque et sa procession. Une fillette qui lui avait échappé sortit d’une de ses poches une peau de banane qu’elle lança à la Mulâtresse. Elle courut ensuite se réfugier dans les bras de ses parents, qui lui sourirent, tandis que l’évêque fit une brève réapparition pour lui faire les gros yeux. Toute la table bruissa d’indignation, tandis que la Mulâtresse se leva, déclarant : "je suis un long chant funèbre, magnifiquement blessé". Tous ses commensaux l’applaudirent, ainsi que le petit homme qui mangeait des pains au chocolat.
Profitant de la confusion qui régnait, un homme approcha de la table. Il était mulâtre lui aussi, portait une barbe et était vêtu d’un uniforme SS. De son étui à pistolet, il sortit de petits objets mous qu’il lança à la figure d’un peu tout le monde en ricanant. Le petit homme tout en nerfs en ramassa un et s’écria : "des quenelles ! Il passe les bornes, cette fois !" Il se leva et pourchassa l’homme à travers la caverne, sous les applaudissements et les huées de la foule. Mais l’homme lui échappa, se glissant par une faille de la paroi en poussant un dernier ricanement.
C’est alors qu’on s’agita à la seconde table. Les messieurs firent venir de la foule un pauvre homme ; deux ou trois d’entre eux sortirent des bonnets rouges, s’en coiffèrent, en coiffèrent le pauvre homme et le firent danser sur la table, battant la mesure de leurs mains. La danse cessa bientôt et tous ces messieurs se tournèrent vers la première table, en disant : "alors ? On crève, ici !" Le pauvre homme acquiesça. Le bouddha ôta son casque et fit venir deux diablotins qui emportèrent une marmite brûlante qui se trouvait sur sa table et la déposèrent sur la seconde table. Ils l’ouvrirent et, armés de louches, commencèrent à gaver les messieurs, qui avaient renvoyé le pauvre homme dans la foule, avec le bouillon qu’elle contenait. C’était de l’or en fusion. Ceux qui n’étaient pas encore morts de leurs brûlures avec des hurlements de plaisir s’écriaient : "du pognon ! Il pleut du pognon !" Puis je me réveillai et ne parvins pas à me rendormir. »
Il se fit un silence parmi nous. Le commandant de la garde territoriale, après avoir froncé les sourcils, parvint à le rompre :
-            N’êtes-vous pas un peu surmené, en ce moment ?
-            Pas plus que cela, non. J’ai bien fait un rapide voyage à l’étranger la semaine dernière, pour négocier quelques accords commerciaux…
Je sentis aux regards mi- intrigués mi- réprobateurs que me lancèrent mes convives que j’allais devoir m’expliquer. Ce qui ne tarda pas.
-            Eh bien, monsieur l’ingénieur civil, me dit le commandant de la garde territoriale vous semblez fort amusé de ce récit, au dépens de notre pauvre ami qui, malgré sa fatigue, s’est joint à nous ce soir. Ce n’est pas très charitable.
-            Pardon, mon commandant, fis-je. Mais ce voyage de monsieur le conseiller commercial adjoint… Est-ce que… par hasard… ce n’était pas en France ?

jeudi 16 janvier 2014

Livres d’hiver : Morand et Chardonne, Chevillard, Dantzig, Arditi…

 
De deux choses l’une : cet hiver sera doux (et partant humide et déprimant) ou magnifique (donc glacial). Il semble plutôt parti pour la douceur, mais dans les deux cas, c’est un bon prétexte pour passer un moment chez soi avec de bonnes lectures (ce qui n’interdit pas de mettre le nez ou les yeux dehors).
Paul Morand, Jacques Chardonne, Correspondance, I : 1949-1960
Ce pavé (huit cents lettres sur plus de mille pages) sera un trésor pour les amateurs et un monument d’ennui pour les autres. Les éditions Gallimard nous livrent ici un échange quasi-quotidien (à partir de 1956, en tout cas) entre les deux vieux messieurs. Deux vieux crocodiles, comme on a pu le lire ou l’entendre parfois. Ou plutôt, pour paraphraser – voire piller – la critique (excellente, quoique sévère pour les intéressés) qu’en fait Jacques de Guillebon dans le numéro de janvier de Causeur : deux vieux chats. Plus ou moins pelés, plus ou moins gras aussi, mais toujours élégants et vifs, sans toujours sentir très bon.
Le mouvement entre les deux correspondants est assurément un balancement, celui d’un encensoir – plus vivement manipulé par Chardonne que par Morand – qu’ils se présentent l’un à l’autre. En vieux chat, chacun ronronne de plaisir devant les éloges de l’autre, non sans avoir la politesse de se récrier quand c’en est trop.
Chacun est dans son rôle : Chardonne psychologise à plaisir et joue les vieux messieurs devant le jeune Morand, de quatre ans son cadet, quand même. Lequel Morand fait du Morand, et parfois du meilleur, notamment lorsqu’il livre la description d’un paysage, d’une montagne, d’un rivage ou d’une saison : « Ce midi, la neige coule déjà des toits, qui suent comme des fronts de penseurs », en février 1959, en semble un bon exemple.
La vie littéraire n’échappe pas, bien sûr, au regard des deux écrivains : les œuvres, mais aussi les ragots, les ennuis ou les joies de leurs auteurs – parfois amis ou ennemis. Leurs contemporains y passent à peu près tous : si Cocteau ou Giraudoux sont jugés avec une bienveillante sévérité, Mauriac, Maurois, Montherlant ou Malraux ne semblent pas les plus aimés – même si Mauriac arrive à s’en tirer parfois. Bernanos, quant à lui, a bien une « grande plume », mais une « petite tête » pour Chardonne, et Morand le juge « supérieur à Mauriac » mais « inférieur à Greene ». Les jeunes (Nimier, Frank, Blondin, Déon, Nourissier, Millau et quelques autres) sont, quant à eux, tour à tour admirables, incompréhensibles, merveilleux ou abjects, selon leurs humeurs, mais surtout selon celles des deux vieux. Evidemment, cela ne va pas sans une vraie sollicitude, par exemple pour Nimier, son humeur maussade, ses ennuis de santé… Ni sans considérations pour son style (« un peu tarabiscoté, à culbuter », plus proche de Cocteau que de Morand, pour Chardonne ; Morand semble, lui, en mesure d’en donner une définition intéressante : « Le Versailles de Nimier est très lui-même, cocasse, impertinent, la grâce même, et de la profondeur dans la conclusion. C’est un très bel ouvrage, et les commentaires sur les photos, excellents, d’un acrobate qui ne rate jamais le trapèze. »)
Nous ne saurions passer sous silence les aigreurs (la partie moins agréable des vieux chats, sans doute) de ces charmants écrivains, qui ne digéreront jamais les ennuis ou vexations qu’ils eurent à éprouver après la Libération. Ces aigreurs resurgissent notamment à l’occasion de la candidature de Morand à l’Académie et leur font dire pas mal d’andouilleries en matière politique, qu’il serait fastidieux de citer ici, de même que leurs lourds propos antisémites, très 1900 en fait, comme s’il ne s’était rien passé quelques années auparavant : deux plus petites têtes que Bernanos, en somme ; tout en étant capables de trouver aux plus récentes pièces de Guitry quelque chose de dépassé dans sa manière de traiter l’adultère…
Mais il leur sera beaucoup pardonné, pour le plaisir pris à les lire (y compris dans une intelligente critique d’A bout de souffle – mais oui – et un superbe pastiche de Balzac par Morand).
Ajoutons à ces plaisirs ceux procurés par une préface du jeune Michel Déon.
Éric Chevillard, L’autofictif croque un piment
A part l’excellent Oreille rouge et le trop systématique (quoiqu’intéressant) Choir, avouons notre ignorance de l’œuvre d’Éric Chevillard, si nous exceptons la série des Autofictifs, régulièrement éditée par l’Arbre vengeur : L’autofictif, L’autofictif voit une loutre, L’autofictif père et fils, L’autofictif prend un coach et récemment L’autofictif croque un piment. Il s’agit à chaque fois d’un journal qui s’étend sur un an. Chaque jour, trois paragraphes, en général absurdes ou volontairement idiots quant aux associations ou jeux de mots, au point de confiner à la poésie. Plaisir de l’art pour l’art, en somme, comme dans :
« Lugubre musique. Encore un qui aura confondu la clé de sol avec la clé de la cave. »
Que ceux que cela rebute passent leur chemin – il ne leur en sera pas trop tenu rigueur. Les indécis peuvent se rassurer : c’est court, cela passe vite et a son charme. Les autres, dont nous sommes, se surprendront à rire bêtement à certaines pages, ou à admirer quelques expressions inattendues…
Charles Dantzig, Il n’y a pas d’Indochine
En moins « contemporain », il est possible de se délecter d’Il n’y a pas d’Indochine, de Charles Dantzig : une récente réédition (chez Grasset) d’un livre paru il y a presque vingt ans, quand Dantzig n’écrivait pas encore stupidement que Proust était gay (cette qualification de Proust étant au moins un anachronisme). Plaisir – inférieur à celui trouvé à la lecture de Morand ou de Nimier, mais pas négligeable – des phrases courtes ou des images et des rapprochements inattendus dans les descriptions. Les prénoms archaïques prêtés aux demoiselles qui accompagnent parfois le narrateur dans ses voyages font regretter de ne pas les connaître ; vers 1995, votre serviteur eût été dans tous ses états à l’idée d’errer dans Londres avec une personne dont il est écrit : « Hildeswinthe est auvergnate, autrement dit elle pratique la litote comme un Anglais. »
Metin Arditi, La confrérie des moines volants
Pour prolonger nos rêveries sur une Russie fantôme (et ses monastères photographiés par S.M. Prokoudine-Gorski), pourquoi ne pas lire ce sympathique roman (toujours chez Grasset) ? L’intrigue est originale et astucieuse : dans l’URSS des années trente, des moines vivant dans la clandestinité dérobent des icônes et divers objets précieux (au moins pour la liturgie) dans les églises, en vue de leur éviter d’être pillés ou détruits par les autorités… ce qui aura, bien des années plus tard, diverses conséquences. Chaque personnage porte un secret, plus ou moins lourd, une faute – la sienne ou celle d’un parent – à racheter, un devoir à rendre… Un seul défaut : c’est écrit dans la langue nommée traduidu par Jacques Laurent dans les années cinquante. Tout le contraire de Chevillard, en somme…
Sven Laval, Le diable et les détails
Pas de critique de ce roman, vu que j’en suis l’auteur (les curieux connaissent ainsi mon nom). Mais, si vous voulez l’essayer, vous pouvez aller voir ici

vendredi 10 janvier 2014

L’empire fantôme de Sergueï Mikhaïlovitch Prokoudine-Gorski

Les vaines agitations qui nous entourent et nous saisissent parfois peuvent nous amener à chercher un moment de répit. Une fuite – même rêvée – dans l’espace et le temps est alors la bienvenue. L’occasion, si nous savons bien la saisir, nous en est offerte par une exposition visible actuellement au musée Zadkine, aux confins (orientaux, comme il se doit) de Montparnasse : Voyage dans l’ancienne Russie – les photographies en couleurs de Sergueï Mikhaïlovitch Procoudine-Gorsky.
En couleurs, avec ça !
Une photographie en couleurs, cela n’impressionne plus personne aujourd’hui. N’importe quel clampin peut en faire une, par exemple un désolant selfie de lycéenne moderne[i]. Le noir et blanc, depuis la banalisation de la photographie en couleurs, est désormais presque seul à pouvoir prétendre à quelque beauté ou quelque prestige. Peut-être parce qu’il ne « passe » pas comme les couleurs, mais aussi parce qu’il atténue certainement les effets de la mode, rendant ainsi plus intemporelle une image.
Il n’en fut pas toujours ainsi. La quête de la couleur dans la photographie fut longue et laborieuse ; que l’on veuille bien voir les autochromes d’il y a cent ans ou plus : ils parent le plus souvent les images d’un flou qui en fait de charmants tableaux pointillistes. Le désir de rendre la réalité (ou son illusion) n’eût donc su être assouvi par un tel procédé. Il ne le fut réellement que dans les années 1930, lorsque furent commercialisées de plus en plus largement des pellicules en couleurs assez analogues à celles que vous et moi utilisions encore naguère.
Cependant, un autre procédé, aussi lourd quant à sa mise en œuvre que spectaculaire quant à ses résultats[ii], fut illustré dès le début du siècle dernier par Sergueï Mikhaïlovitch Prokoudine-Gorski. Ce sont quelques-uns de ces résultats – une centaine – que nous invite à voir en ce moment le musée Zadkine.
Une exposition fantomatique
Rue d’Assas, l’entrée du musée Zadkine est fort discrète. Et nous voici bientôt dans l’atelier qu’occupa le sculpteur Ossip Zadkine de 1928 à 1967[iii] : quelques pièces réparties autour d’une petite cour. Parvenu à la caisse, une interrogation : comment un si petit musée peut-il, outre ses collections permanentes, abriter une exposition de photographies ?
Un indice, avant la caisse, eût pu nous le laisser deviner : deux autoportraits de Prokoudine-Gorski, une cathédrale orthodoxe et une locomotive à vapeur dont les parties peintes en rouge tranchent nettement sur le noir de la chaudière et le vert des arbres de l’arrière-plan ; dans leur coin, ces vues ressemblent à de petits vitraux, carrés, d’une trentaine de centimètres de côté. Sans légende. Habile mise en bouche, pensons-nous. Et, sans nous méfier, machinalement, nous ramassons un petit fascicule distribué gratuitement, avant de payer notre billet d’entrée. Nous eussions pourtant dû avoir un pressentiment, en entendant la caissière dire aux visiteurs qui nous précédaient dans la fort raisonnable queue : « les numéros sont au sol ». Phrase qu’elle nous répétera, bien sûr.
Toute l’exposition sera à l’image de ce que j’avais pris pour des amuse-gueule : les mêmes petites cases carrées, tantôt à même le sol (à regarder de haut), tantôt contre un mur (à hauteur d’enfant). Les numéros, des autocollants posés au sol, renvoient à des légendes inscrites dans le petit fascicule que nous avions eu la bonne idée de prendre. Certaines de ces cent photographies sont même installées dans la cour – ce que nous pûmes savoir grâce à l’amabilité d’un gardien hilare à force de fournir ce précieux renseignement à chaque visiteur. Notons que ce gardien était préposé à une salle où un groupe d’enfants, assis par terre, faisaient des dessins avec des animateurs[iv] ; ce qui n’est guère propice aux déplacements ni à la contemplation silencieuse de ces petits morceaux de vie posés sur des vitres qui leur donnaient des airs fantomatiques.
Ajoutons que la gêne provoquée par ces innocents bambins touche aussi les visiteurs venus uniquement pour les sculptures de Zadkine : les photographies sont installées au milieu des sculptures[v].
En résumé, il y a quelque chose de raté dans cette exposition, qui avait tout pour être fascinante.
Fascinants fantômes
Nous sortons pourtant de cette exposition comme sous l’emprise d’un charme. De quoi s’agit-il au juste ?
Les photographies exposées sont en majorité des vues prises par Prokoudine-Gorski lors de reportages réalisés à la demande de Nicolas II dans des contrées fort diverses de l’empire russe : sur le haut cours de la Volga, en Russie blanche, en Géorgie, en Asie centrale, dans l’Oural ou en Carélie. Le Tsar, avant de commanditer ces voyages, avait été saisi par le rendu de quelques images qui lui avaient été projetées. Et on le comprend.
Au saisissement devant la netteté et la vivacité de ces photographies s’ajoute le siècle qui nous sépare des personnes et des lieux photographiés ; des costumes, des outils, des véhicules, des bâtiments. La distance d’un siècle, c’est déjà quelque chose chez nous. Mais en Russie… C’est qu’entre-temps a eu lieu la révolution : on frissonne en pensant à ce qu’ont pu devenir les multiples chapelles (modestes et sylvestres) ou monastères… Mais aussi les moines d’un couvent des bords de la Volga, plantant leurs pommes de terre en 1910, photographiés comme il y a quinze jours.
D’autres exemples sont étonnants, presque émouvants, comme les étals de marchands de Samarcande ou, toujours à Samarcande, ces deux étudiants enturbannés, dont les traits et les costumes rappellent des miniatures persanes.
Ces scènes aux allures archaïques disparaîtront : la modernité les eût de toute façon effacées, mais dans ce qui devint l’URSS, cet effacement fut souvent fait à marche forcée…
Touché par cette vie disparue à jamais qui renaît sous nos yeux, nous aimerions tant en retenir quelque chose, ne serait-ce qu’une miette ou un débris. Nous achetons donc à la sortie le catalogue de l’exposition, qui coûte quatre fois le prix du billet d’entrée, mais qui rend mieux justice à Sergueï Mikhaïlovitch Prokoudine-Gorski que les petites « boîtes » sur lesquelles nous avons manqué attraper des torticolis. Outre les reproductions des photographies exposées (et de quelques autres), ce livre comporte de brèves explications sur le procédé utilisé, un résumé de la vie de Prokoudine-Gorski et des cartes situant les provinces visitées[vi].
L’exposition dure jusqu’au 13 avril.


[i] Ô mânes de Gombrowicz !
[ii] Le catalogue de l’exposition dont il est question ici fournit quelques renseignements sur la technique de trichromie améliorée et employée par Prokoudine-Gorski.
[iii] Avec une interruption due à l’Occupation, pendant laquelle Zadkine, d’ascendance en partie juive, s’était réfugié en Amérique.
[iv] Sans doute une manière comme une autre de faire découvrir l’art à des bambins de quatre ans pendant les vacances scolaires (nous étions fin décembre) ; manière qui nous laisse perplexe : quel besoin d’aller dans un musée pour faire ses propres dessins ?
[v] Ce qui a sans doute l’effet inverse de celui recherché : le visiteur venu pour les photographies peut avoir tendance, malheureusement, à considérer les sculptures comme des obstacles.
[vi] Un seul défaut, puisque nous sommes d’humeur tatillonne : ne sait-on plus faire des livres reliés, en France ?

samedi 4 janvier 2014

Pour en finir avec les Femen

Lors de mes récents vœux, j’émettais le souhait de voir moins de haine, d’hystérie et de violence cette année. Il existe à travers le monde des formes particulièrement atroces de haine, de celles qui menacent la vie de personnes pour ce qu’elles sont ou pour ce en quoi elles croient. Il n’est besoin, pour le savoir, que de s’informer, par exemple sur les persécutions qu’ont à subir les Chrétiens dans de nombreux pays.
Ici, évidemment, nous sommes au chaud ; nous ne devrions pas avoir à nous plaindre : il nous est permis de fréquenter les paroisses que nous souhaitons fréquenter, sans risquer notre vie, notre intégrité physique ou notre liberté. Il existe cependant une haine envers l’Eglise catholique qui tend à se manifester en ce moment en Europe – et plus particulièrement en France – sous la forme d’une certaine violence, disons symbolique.
La vulgarité et la bêtise crasse de telles attaques pourraient nous inciter à hausser les épaules : en deux mille ans, les Chrétiens en ont vu d’autres et, à travers le monde, répétons-le, en voient en ce moment de bien pires. Et, après tout, heureux sommes-nous si on nous insulte à cause de notre foi.
Nous le savons bien et, cependant, ces insultes ne sauraient nous laisser tout à fait indifférents.
Mais qui, que, quoi ?
Pour être un peu plus explicite, je veux parler des grotesques actions menées par les Femen. Je ne pousserai pas ma petite hypothèse sur les éventuels financements dont bénéficierait ce pénible groupuscule. Ni sur les soutiens dont il jouirait de la part d’instances gouvernementales. Je n’en sais rien.
Contentons-nous, au pays de M. Peillon et de sa religion républicaine, de supposer de la part desdites instances, une certaine mansuétude.
Comment supposer autre chose ? Que je sache, ces personnes se livrent régulièrement à des actes d’exhibitionnisme, accompagnés d’injures, de coups parfois, et aussi de vandalisme. Il y a des lois contre cela.
(J’écarte volontairement le caractère éventuellement sacrilège[i] de leurs agissements lorsqu’elles pénètrent dans des églises : personnellement, cela me révulse, mais les lois sont censées punir les délits et non les péchés.)
Haine et possession
Que nous disent les Femen ? A peu près rien, si ce n’est l’expression fruste d’une haine contre tout ce qui n’est pas conforme et contre tous ceux qui ne sont pas conformes à un modèle assez vague de modernité. Il suffit de lire les récits de leurs sinistres pitreries ou d’en voir quelques images pour être convaincu de la pauvreté de ce qui leur tient lieu de pensée.
Cette pauvreté m’a sauté aux yeux – ou plutôt aux oreilles – lors d’un entretien que leur « chef », Inna Chevtchenko, avait accordé à France-Culture l’an dernier (entretien dont j’avais déjà touché quelques mots ici) : les propos qu’elle tenait pour répondre aux questions de quelques journalistes complaisants – dont la pittoresque Caroline Fourest[ii] – et le ton qu’elle employait étaient plutôt ceux d’un automate que d’un être doué de raison ; en gros, elle récitait en se répétant inlassablement un texte selon lequel les religions sont fascistes, qu’il faut éliminer les fascistes, et que cela sera fait un jour[iii]
Ces propos appellent quelques remarques ou questions.
Premièrement, comment ne pas être surpris d’entendre s’étaler pendant trois quarts d’heure pareilles crétineries sur une radio d’Etat dont les prétentions sont, paraît-il, culturelles ? Faut-il croire que France-Culture serait devenue un canal de basse propagande ? Ou qu’il s’agissait de ce qu’on nomme, dans le jargon de l’art contemporain, une performance ? Il faudra y revenir.
Deuxièmement, la récitation entendue peut nous amener à nous demander où l’on est capable aujourd’hui de pratiquer un lavage de cerveau aussi efficace, au point d’avoir envie de supplier la personne qui la débite de changer de disque. Mais, après tout, le caractère répétitif de cette récitation, de même que celui des actions des Femen, relève peut-être aussi de l’art contemporain.
Troisièmement, le caractère hystérique des manifestations des Femen et la faiblesse de leurs arguments (quelques slogans débiles et volontiers blasphématoires accompagnant des mises en scène parodiant grossièrement l’iconographie ou la liturgie catholiques) me rappellent toujours une note de Huysmans dans sa préface à une étude du journaliste Jules Bois  sur Le satanisme et la magie (1896) :
« Le recueil officiel des prières Lucifériennes vient d’être publié : il contient des formules d’évocation infernales et des séries de dithyrambes démoniaques d’une bêtise rare. »[iv]
Exagérerais-je en parlant de possession ? Je ne crois pas. Il m’arrive de me demander si l’imbécillité presque sans bornes des rites sataniques ou apparentés[v] n’est pas une ruse du diable pour faire croire qu’il n’existe pas : voyons, diront les esprits bien carrés, ses adorateurs sont si ridicules qu’il ne saurait exister.
Soit, je ne sache pas que ces pauvres péronnelles entretiennent un commerce quelconque avec des êtres cornus et malodorants, mais ce pourquoi elles vomissent l’Eglise tourne toujours – ou presque – autour de sujets dits sociétaux, comme récemment l’avortement. Elles se posent ainsi en supplétives de ce qui est souvent nommé – à juste titre de mon point de vue – culture de mort[vi].
Pour faire bref, nous avons affaire à des auxiliaires d’un projet social où donner la mort serait considéré comme un droit et une liberté. Le projet d’un monde sans autres aspirations que celle de « jouir » sans se préoccuper d’autrui. D’un monde parfaitement desséché, stérile. C’est bien cela qui est diabolique.
Mais que font les autorités ?
Le caractère délictueux de nombreux agissements des Femen (déjà mentionné plus haut) ne semble guère préoccuper nos autorités, pourtant si promptes à s’émouvoir pour des histoires –certes lamentables – de bananes et de quenelles[vii]. Au contraire, il se dit que la « Marianne » des nouveaux timbres ordinaires aurait été inspirée par le visage d’Inna Chevtchenko, encore elle. L’intéressée aurait déclaré à ce sujet être ravie de ce que les « fascistes » soient obligés de lui « lécher le cul » pour poster leurs lettres. Toujours ce discours riche et ouvert au dialogue…
En ce qui concerne les timbres, trois remarques.
Pour commencer, ces timbres sont autocollants (enfin, pour la France, en tout cas). Pas besoin de les lécher, par conséquent (pour l’étranger, une petite éponge humide, et hop !). Mais il est toujours possible de s’assurer de leur tenue sur l’enveloppe d’un ferme coup de poing.
Ensuite, faut-il rappeler à cette grande intellectuelle qu’elle n’est pas sur le timbre ? Ce n’est qu’une image. C’est pour de faux, ma grande !
Enfin, c’est l’occasion d’aller au bureau de poste pour découvrir des séries de timbres parfois encore jolies.
(D’ailleurs, vous savez, mon poing n’ira jamais sur le visage d’une femme, et je ne lèche le cul de personne.)
Propositions
Quelles réponses apporter à ces pénibles manifestations ? Evidemment, les coups de pied au derrière sont tentants. Mais répondre à une violence par une autre violence me semble une erreur, peut-être grave, même.
L’exorcisme, alors ? Mais il faudrait que les intéressées s’y prêtent.
La prière, peut-être ? Pourquoi pas ? Il faut prier pour ses ennemis. Et penser à l’attitude, humble et noble, de Mgr Léonard, archevêque de Malines-Bruxelles, lorsqu’il se fit agresser par des Femen l’an dernier. Le contraste avec les harpies est assez saisissant.
Pour quoi prier, dans ce cas ? Pour leur conversion ? Ce serait assez beau, ma foi. Mais il faudra être patient. On sait que, dans leur vision anatomique de l’être, les Femen connaissent les seins, les fesses et depuis peu la vessie, comme je l’ai écrit récemment (sans me vanter). Il leur faudrait maintenant découvrir le cerveau, puis le cœur. Malheureusement, c’est le foie de veau qui semble constituer leur dernière découverte[viii].
En attendant un miracle, il faut bien faire quelque chose. C’est là que le rapprochement avec l’art contemporain prend tout son sens.
L’art est toujours plus ou moins célébration ou exaltation : de la beauté, de la foi, de l’amour, de la joie, de la peine ou de toutes sortes de sentiments. L’inspiration y fait beaucoup, et cela peut être réussi si l’artiste est doué, travailleur ou habile. L’art contemporain, dans cet ordre, peut être vu comme une célébration du néant de notre époque. Pourquoi alors ne pas enfermer les Femen dans un musée ou un théâtre[ix], où elles pourraient se livrer à une performance permanente, devant un public forcément éclairé et avancé, tout en nous fichant une paix royale ?
Elles finiraient peut-être par s’en lasser, du reste.

[i] Techniquement, pour ainsi dire, pas tout à fait (pas de profanation). Mais il n’en reste pas moins un trouble…
[ii] La meilleure comique de gauche du moment, à mon avis. Guy Bedos a bien fait d’annoncer sa retraite. L’ennui pour la dame, c’est qu’elle semble se prendre très au sérieux. Mais c'est encore Basile de Koch qui en parle le mieux.
[iii] Ce corpus impressionnant se nomme apparemment sextrémisme. Le genre de jeu de mots qui ne m’amusait plus quand j’avais onze ans.
[iv] Cette préface est facilement accessible, dans l’édition Folio de Là-bas.
[v] Ne craignez rien, je ne les connais que par ouï-dire.
[vi] On pourra lire aussi ceci avec profit (chez Koztoujours), sur certaines actions des Femen en Ukraine.
[vii] Ça sent la cuisine politique… Mais ne nous plaignons pas trop ; certains politiciens, même de gauche, ont émis quelques protestations contre la dernière action des Femen à Paris.
[viii] Le 20 décembre, dans l’église de la Madeleine. Outre leurs grossiers et crispants blasphèmes, vu le prix du foie de veau, l’usage qui en a été fait s’appelle se foutre de la gueule des pauvres.
[ix] Au hasard : pourquoi pas au théâtre du Rond-Point ?

mercredi 1 janvier 2014

2014, selon les organisateurs

Les présidents, les rois, les puissants, ont pour coutume d’adresser leurs vœux aux populations dont ils ont la charge. Alors pourquoi pas des vœux de votre Chatty Corner préféré (et de son rédacteur) ?
Je tâcherai de faire bref.
(Ici, faites donc une pause. Trouvez, sur un disque ou sur Internet, par exemple, l’hymne national de votre pays. Ou un bon Mon Dieu sauvez le roi, composition qui me semble être de Lully, avant son pillage par les Godons. Pour l’ambiance.)
Que nous souhaiter donc ?
Bien entendu, et sincèrement, toutes sortes de joies individuelles et collectives. Des vœux de paix, d’amour, de prospérité pour chacun, de liberté… Moins de haine, d’hystérie ou de folie, pour commencer, bien sûr.
Mais aussi, et pourquoi pas (après tout, cela peut faire partie des joies collectives), un peu de réversibilité sur les routes infernales que certains, oh, sans penser à mal, probablement, pavent si bien ? Qu’il nous soit permis d’imaginer les multiples manières d’éviter ces routes et d’en interrompre la construction. Les domaines ne manquent pas. Les raisons de s’inquiéter, mais aussi les raisons d’espérer, de parler, d’agir. A ce propos, mes amitiés aux Espagnols et aux Croates.
Enfin, pour moi et – je le souhaite – pour votre plaisir, pourquoi pas un peu moins de futilités politiques et beaucoup plus de littérature ?
Bien entendu, tous ces vœux ne seront pas exaucés, ou pas tout de suite. Nous aurons tous des joies et des peines. Des déceptions mais peut-être aussi d’heureuses surprises.
Quoi qu’il en soit, Chatty Corner (et son rédacteur) vous souhaitent une bonne, belle et heureuse année 2014. 2014, dites-vous ? Selon les organisateurs ou selon la préfecture ?
Et comment ne pas rendre grâce pour la libération du père Vandenbeusch ?