samedi 30 novembre 2013

Droite, gauche, haut, bas (fragile ?)

La fréquentation de quelques-uns de mes sites préférés[i] et la situation un rien confuse de notre pays en ce moment m’amènent à me poser quelques questions : qui est de droite ou de gauche aujourd’hui, à quoi cela rime-t-il, quel rapport cela a-t-il avec de plus hautes aspirations, et comment ne pas sombrer dans le grand n’importe quoi ?
Rien que ça ! Si vous voulez bien me suivre, voici quelques hypothèses, dont on voudra bien pardonner la légèreté à l’amateur que je suis.
A gauche, gauche !
Comme une troupe parfaitement drillée, les gens de gauche, à l’ordre préparatoire, lèveront toujours le talon droit et la pointe du pied gauche, avant, lorsque claquera l’ordre exécutoire, de pivoter sur le talon et la pointe restés au sol, à gauche, bien entendu. Et ce quelle qu’ait été la zizanie qui semblait régner encore un instant auparavant. Une telle discipline en impose.
Ce qui en impose aussi, c’est l’assurance, la hauteur, la morgue presque, avec lesquelles ces vieux soldats traitent les pékins comme moi, par exemple : à les entendre, nous sommes au mieux stupides ou retardataires. On observe par exemple en ce moment une recrudescence de l’emploi de quolibets tels que racistes, fascistes ou (...)phobes (complétez le pointillé).
On pourrait se contenter de reprocher à ces gens leur arrogance, proche parfois de l’hystérie. Mais il ne faut pas leur en vouloir ; il faut même tâcher de les comprendre, je crois.
C’est que l’homme – ou la femme – de gauche est investi d’une mission. Apparu dans le sillage des Lumières, il est là pour perfectionner l’Homme. C’est plus un sacerdoce et une profession de foi qu’une opinion ou une position.
Cette religiosité diffuse, avec ou sans « être Suprême » ou « Grand Architecte » à son sommet, est encore plus affirmée lorsque l’homme de gauche est un socialiste : il s’agit alors pour lui d’instaurer le paradis sur terre. De vaincre définitivement, d’abolir tout mal, avec les seules forces des hommes, de leur volonté commune et de leurs petits poings[ii].
L’hostilité de la gauche (socialiste ou non) et le mépris qu’elle affiche en tout bonne conscience pour quiconque n’en fait pas partie, cela posé, se comprennent plus aisément. Et qui n’est pas avec la gauche, c’est vaste : toute personne manifestant une opinion politique différente, mais aussi une inspiration religieuse (au sens fort du mot inspiration) autre que la foi en un paradis terrestre pour bientôt ne peut être qu’un obstacle sur la route de l’abolition du mal.
Lorsque le socialiste n’est pas démocrate, on sait quels dégâts cela peut faire – qu’il se dise national ou international. Mais nous avons déjà connu, en France, avant le socialisme, « pas de liberté pour les ennemis de la liberté », propos assorti notamment d’une tentative d’abolition des Vendéens…
Au fond, l’homme de gauche a le cœur tendre : il ne comprend pas que d’autres ne partagent pas ses vues, voire ne les aime pas. Cela le blesse.
A droite, droite !
A l’ordre préparatoire, chacun regardera les autres et, à l’ordre exécutoire, le mouvement prévu – inversez pointes, talon et sens de rotation par rapport à à gauche, gauche – sera exécuté de bien des manières différentes, voire comme si c’était un demi-tour, droite ou un à gauche, gauche ; sans compter ceux qui n’auront pas bougé d’un pouce, ne reconnaissant pas l’autorité du chef de section (trop mou, trop dur, pas moi, voire un agent de l’ennemi). Nous aurons tous reconnu « la droite » en France.
Ces gens ont, eux aussi, des excuses : c’est que la droite n’existe vraisemblablement pas.
Qui peut-on, au juste, dire de droite ?
Commençons par ceux qui, à l’inverse de la gauche cherchant à instaurer le paradis ici et maintenant, souhaitent éviter que le monde, à commencer par leur pays, devienne un enfer. Nommons-les commodément conservateurs, voire réactionnaires pour certains (votre serviteur avoue se reconnaître assez dans cette définition). Reste à s’entendre sur ce qu’il faut conserver, voire restaurer, sur ce que serait l’enfer et sur les moyens de l’éviter ! Tâche trop vaste et ardue pour être accomplie ici[iii]. Les conservateurs et réactionnaires sont donc déjà de toutes sortes…
Etendons un peu nos regards et nous trouverons la masse informe de la droite bourgeoise : en gros, elle est contre tout ce qui est de gauche dès lors que cela menace son confort, ses habitudes et ses intérêts. Pour le reste, qu’on se débrouille. De manière générale, la droite bourgeoise pense ce qu’elle a lu la veille dans le Figaro[iv] et trouve que M. Sarkozy, ça, c’était un homme, avec de la poigne, qui a su mener la France[v]. Parfois, ce qu’elle aura lu coïncidera avec des pensées réactionnaires ou conservatrices.
Reste la droite par défaut : des courants de pensée peu à peu chassés de la gauche. Nous pouvons au moins citer les libéraux ou les bonapartistes. Il est leur est resté comme un atavisme de gauche : le désir de voir advenir le paradis sur terre (sous la forme d’un grand marché providentiellement autorégulé ou d’un empire tiré au cordeau, régi par un miraculeux code civil). Du reste, les paradis de la droite par défaut ne sont souvent pas dénués d’attrait pour la droite bourgeoise.
A part quelques esprits bourgeois qui picorent çà et là selon leurs intérêts et leur fantaisie, comment parler sérieusement de « la droite » ? Cela peut se résumer par un seul point commun : ce qui ne se reconnaît pas à gauche et s’y oppose. M. Mélenchon ou M. Krivine vous le diraient joliment dans leur doux langage qui fleure bon le musée : « les forces fascistes, patronales et cléricales ».
Connaissez-vous des centristes ?
Ce paragraphe apparaît par seul souci d’équité, après avoir longuement évoqué la gauche et la droite. En cherchant bien, il doit se trouver quelques chrétiens-démocrates effrayés par la gauche, quelques libéraux effrayés par la droite, quelques radicaux se voulant réalistes et quelques opportunistes. J’en oublie peut-être. Allez savoir…
Le marketing et le mercato
Ces deux mots, pas les plus beaux que nous ayons pris à l’anglais et à l’italien, nous seront utiles pour nous intéresser aux partis politiques. Que reflètent ces derniers des opinions, des tendances ou simplement des sensibilités ? A bien y regarder, pas grand-chose. Peut-être quelques mouvements plus ou moins marginaux, groupusculaires et bruyants, si tant est que de tels mouvements ne relèvent pas souvent de la posture. Contentons-nous des gros partis.
Que sont ces partis ? A ce qu’il semble, de grosses entreprises visant à conquérir le pouvoir et à y demeurer un temps, celui de constater qu’ils ont bien du mal à l’exercer, ce pouvoir, du moins de manière à assurer la prospérité et l’ordre dans le pays (certains de leurs membres, et même des plus hauts, doivent être de temps à autre effleurés par ce souci). L’important sera donc de plaire au plus grand nombre – il faut bien trouver des électeurs – et à quelques personnes ou organisations riches et influentes – il faut bien de l’argent pour mener campagne.
Ces propos sont assez répandus, ils sont même banals, je le sais. Et à quoi bon disserter sur la droite et la gauche pour prétendre ensuite qu’il n’en demeure rien… Attention, j’ai écrit pas grand-chose et non rien.
Pour plaire au plus grand nombre et à quelques prescripteurs, quoi de mieux qu’une bonne étude de marché aboutissant à un superbe marketing-mix ? Naturellement, chaque maison, pardon, chaque parti, a ses spécialités et surtout son public : au PS, les professeurs, les fonctionnaires et la bourgeoisie avancée, plus quelques clientèles marginales, réputées désormais plus riches en débouchés que les ouvriers ou les chômeurs, qui n’auront qu’à voter communiste ou FN (mais là, c’est mal ; ils doivent voter communiste au premier tour, puis reporter leurs voix sur le PS ; sinon, c’est déloyal) : immigré-e-s, homosexuel-le-s, etc. ; à l’UMP, les bourgeois comme il faut et les gros patrons – ces derniers étant peu nombreux mais argentés. Ajoutons à ces cœurs de cibles la clientèle incertaine qui risquerait d’être momentanément captée par la concurrence, et voilà le marché. Pour l’offre, il importe de ne pas être ringardisé : d’où, en économie, les inclinaisons désormais libérales du PS (sans renoncer à alimenter une fonction publique abondante) et, sur le plan sociétal, le souci à l’UMP de paraître moderne et de ne pas refuser je ne sais quelles avancées (sans trop choquer le bourgeois, quand même !).
Pour ce qui reste des convictions, nous venons de voir quelles acrobaties impose le marché pour séduire la marge de l’autre bord et rassurer l’électorat jugé captif. Il reste en fait surtout des postures : pour le PS, celle de l’incarnation exclusive du bien, qui offre toujours la liberté de pratiquer la reductionem ad Hitlerum à tout propos ; pour l’UMP, celle du camp de la réalité, qui permettra de ridiculiser en permanence ce qui vient de gauche en matière économique (et qui est à peu près la même politique que celle de l’UMP).
De temps en temps, il est nécessaire de mouiller sa chemise et de descendre dans la rue pour rassurer l’électorat supposé captif. On a vu cette semaine les manifestations antiracistes à gauche, tandis que, la saison dernière, M. Copé a bruyamment pris en marche le train de l’opposition au simulacre de mariage dit pour tous[vi]. Quitte, une fois que la loi contestée par lui avec véhémence a été votée, à dire qu’il y a en fait toujours été favorable : c’est qu’il faut quand même s’adapter à la tendance et ne pas s’accrocher à une mauvaise affaire.
Enfin, le PS – pardon, le gouvernement – a tenté un joli coup il y a quelques mois, synthèse entre la posture (magie du socialisme) et le marketing : la France en 2025 ! Admirable idée, qui rappelle un peu ce que les constructeurs automobiles nomment un concept-car : cela ne sert à rien, occupe du monde, fait rêver cinq minutes le public et tombe vite dans l’oubli ; un boulon ou un élément de carrosserie, ici ou là, pourra être repris sur les modèles de série.
Evidemment, tout cela n’est plus qu’un moyen de satisfaire quelques ambitions et vanités personnelles. Certains tombent d’ailleurs franchement le masque, comme ces derniers jours Mme Versini, ancienne ministre de M. Chirac et désormais candidate à Paris sur la liste de Mme Hidalgo ou, en 2007, M. Besson, qui passa de l’équipe de campagne de Mme Royal à celle de M. Sarkozy : un coup comme ce dernier, on n’en rêverait même pas au plus noir du mercato footballistique !
Après tout, ces gens gèrent leurs carrières comme ils peuvent. D’aucuns, et il ne faut pas non plus s’en moquer excessivement, finissent par trouver leur voie, comme Mme Bachelot qui, paraît-il, vient de tourner un numéro comique pour une série télévisée.
Et Dieu, dans tout ça ?
Je ne parlerai que de ce que je crois connaître un peu : l’Eglise catholique et, en particulier ses interventions ponctuelles dans des débats qui touchent à la politique. Ces interventions donnent souvent lieu à des querelles et à des malentendus qui sont en gros toujours les mêmes.
Lorsque l’Eglise – que ce soit le clergé ou des laïcs en leur propre nom, plus prudemment – intervient, c’est le plus souvent pour des raisons morales, raisons qui ont leur fondement dans un ordre plus élevé, hors des querelles ou des obédiences politiques ou même simplement morales. En général, les malentendus que cela occasionne sont toujours les mêmes : à gauche, on veut bien que l’Eglise soit généreuse envers les pauvres et les immigrés, mais pas qu’elle s’oppose aux avancées diverses ; à droite, c’est souvent l’inverse. En gros, chaque camp veut bien qu’elle soit une espèce de caution, de bénédiction, voire simplement d’ornement de ses divagations, parce que momentanément les propos entre un de ces camps et l’Eglise coïncident. Et rien que cela. Quelqu’un pourrait-il sortir à ces gens leur nez de leurs affaires terrestres ? Mais j’ai déjà parlé il y a quelques mois (ici) de l’irritation que l’Eglise provoque à gauche comme à droite de temps à autre, ce que je crois décidément être un signe de vie[vii].
Certaines de ces irritations ou confusions sont faciles à comprendre. Quant à l’irritation, la religiosité terrestre de la gauche et le goût bourgeois du confort l’expliquent. Quant à la confusion, qui a grandi dans les dernières années de la guerre froide se rappellera l’influence qu’a eue le bienheureux Jean-Paul II sur certains opposants au communisme en Europe. Concomitamment et pour des raisons différentes, d’autres forces – souvent identifiées à « la droite » – se sont elles aussi opposées au communisme. A croire que tous les ennemis d’un même adversaire sont nécessairement apparentés, on finit par trouver des gens qui se disent chrétiens, libéraux et conservateurs à la fois, faisant dans leur discours des contorsions parfois assez cocasses[viii].
Une autre confusion me semble apparaître en ce moment : j’ai lu ici et là des choses sur une supposée convergence des luttes contre le gouvernement (entre des antimariagepourtous, des bonnets rouges et je ne sais qui encore). Le fait de s’opposer à telle ou telle mesure grotesque, dangereuse ou menaçant je ne sais quels intérêts n’en fait pas une seule et même lutte. Il faudrait plutôt parler d’une confusion des controverses, entretenue par le gouvernement (criant que la Rrrrrépublique est menacée par des pétainistes, enfin vous connaissez la chanson) ou par quelques calculateurs de l’opposition (garantissant qu’avec eux c’était mieux et qu’avec eux à nouveau ce sera bientôt mieux), et accueillie comme du pain bénit par quelques têtes chaudes en tous genres (extrémistes ou jeunes gens corrects qui rêvent d’un petit moment épique).
Post-scriptum (toujours le même)
Naturellement, il nous est permis d’avoir toujours la même pensée ou de faire les mêmes prières que la semaine dernière, pour le père Georges Vandenbeusch… Vous pouvez aussi lire ceci chez Patrice de Plunkett.



[i] Par exemple une récente entrée chez Fromage Plus
[ii] Philippe Muray, toujours lui, a magistralement traité le sujet dans Le XIXe siècle à travers les âges. Qu’on se reporte aussi à certains propos de M. Peillon pour ce qui est de la religion socialiste ou républicaine.
[iii] Donnons simplement quelques exemples dans ce fouillis : on trouvera aussi bien des identitaires pour qui l’enfer c’est le reste du monde que des farfelus dans mon genre pour qui l’enfer conjugue notamment le matérialisme, le relativisme, le refus de tout ordre et de toute tradition… Et vous (si vous l’êtes), quel conservateur ou réactionnaire êtes-vous ?
[iv] De même qu’il existe une gauche bourgeoise qui pense ce qu’elle aura lu dans le Monde
[v] Où donc ? Si j’étais méchant, je dirais : dans les bras de M. Hollande…
[vi] Le 17 novembre 2012, M. Copé se trouvait bien à Paris, mais pas pour piétiner entre la place Denfert-Rochereau et les Invalides, trop occupé qu’il était d’empêcher M. Fillon de prendre le poste qu’il convoitait.
[vii] On pourra aussi lire ceci avec profit sur le site Le Rouge et le Noir (tout n’est pas toujours à mon goût sur ce site, mais là, j’applaudis).
[viii] Voir ici un propos assez croquignolet et la réfutation qu’en fait Patrice de Plunkett.

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