dimanche 8 septembre 2013

Un pays de conte de fées

Un récent survol de la presse suédoise m’a appris le passage du président Obama à Stockholm, sur le chemin de Saint-Pétersbourg. Occasion pour un journal de rappeler quelques clichés sur la Suède répandus, paraît-il, aux Etats-Unis.
 Exotisme
Il ressortait d’un article que j’ai pu lire que, selon les Yankis, la Suède serait en gros un pays peuplé de sociaux-démocrates blonds, dépressifs (voire suicidaires) mais sexuellement débridés. Voilà de quoi faire sourire poliment et avec quelque condescendance tout Suédois qui se respecte (lequel n’éclatera ou ne hurlera de rire que s’il a l’excuse d’être ivre ; autre cliché, peut-être, plus local ?).
Les Suédois ne seront pas les seuls à sourire : quels grands enfants, ces Américains ! Nous devrions cependant balayer devant notre porte.
Pour avoir personnellement quelques liens avec le pays qui nous intéresse aujourd’hui, je puis vous assurer que les clichés sur la Suède ne manquent pas ici non plus. Passons sur ceux que vous partagez, chers demi-frères gaulois, avec les Américains. Je n’énumérerai pas les remarques sur Abba[i] ou Ikea. Les plus cultivés me citent Bergman ou Strindberg[ii], et tous me demandent, lorsque je leur dis que je me rends en Suède tous les étés, s’il n’y fait pas trop froid[iii].
Pour clore cette énumération (certainement incomplète) de clichés, citons aussi la fascination que semble exercer l’élan[iv] sur les Allemands, si j’en crois des reportages diffusés sur Arte du temps où j’avais un poste de télévision ou publiés dans quelque Géo (édition allemande). Certains semblent même croire que les pendentifs d’oreilles en laissers d’élans sont une spécialité très portée. J’imagine le rire des paysans qui en vendent aux touristes allemands, rire sans doute aidé par quelques bières… Mais nous reparlerons plus loin et plus sérieusement de la Suède vue par des Allemands.
En fait, la Suède paraît receler bien des mystères pour les étrangers (comme d’autres pays, me direz-vous). A tel point qu’il y a quelques années, Jacques Chirac, lors d’une visite officielle, gratifia le roi Charles XVI d’un « monsieur le gouverneur général ». Gageons que le roi, qui est un homme bien élevé, se gardera bien, s’il le rencontre jamais, d’appeler « monsieur le gouverneur » un successeur de M. Chirac qui fait en ce moment plus de cas de l’avis du Congrès américain que de celui des Français. Mais glissons, glissons…
Peut-être au fond la vérité est que la Suède est un pays de contes de fées. Ce n’est pas moi qui l’ai écrit, mais un Suédois, un vrai, l’humoriste Tage Danielsson, dédiant un de ses livres au roi, « grâce à qui nous savons que nous vivons dans un pays de conte de fées »[v]. Voilà un point de vue sans doute républicain, auquel on a envie de répondre, en bon Français, que grâce à notre république nous savons que nous vivons dans un pays d’histoires drôles.
 
Vieille Suède et Suède nouvelle
Lorsque je vais en Suède, il me plaît de me plonger dans des lectures m’apprenant un pays révolu, encore plus lointain, peut-être, que la France d’autrefois. Ce peut être sur l’époque où la Suède était une puissance en Europe (un genre de Prusse en plus rustique et en moins forcé). Ou sur la vie de petites gens, en des endroits que je connais aujourd’hui, telle qu’ils la menaient jusque vers 1950 : des pêcheurs de l’Archipel de Stockholm. Quelques livres lus cet été m’ont fait apparaître des gens pauvres, mais pas malheureux ni envieux pour autant ; et habitués à une vie simple et rude. Des hommes et des femmes qui savaient lire et écrire au point de pouvoir, pour certains, noter ou raconter sur le tard quelques souvenirs d’un temps qui s’effaçait déjà. Ils s’y livrèrent sans artifices, ne se mentant pas sur leurs faiblesses ni sur celles de leurs prochains, mais connaissant – au moins par nécessité – la vertu du pardon ; et avec ça capables de vous citer à bon escient des passages des Evangiles[vi]. En somme, des gens plus civilisés que bien des bourgeois d’aujourd’hui.
Il reste peu de chose de ce monde si réel, aussi loin de l’idylle romantique que des noirceurs naturalistes. La modernité n’eût peu s’en accommoder.
Je parlais plus haut du cliché d’une Suède sociale-démocrate. Il n’est pas entièrement infondé, reconnaissons-le. A ce propos, jetons un rapide regard sur certains traits modernes qui me semblent typiques de cette démocratie sociale.
Deux traits anecdotiques pour commencer :
Jusque vers 1970, la politesse suédoise était d’une complication charmante et désuète ou insupportable et archaïque selon les points de vue ; on nommait une personne par son titre, quel qu’il fût, et, à moins d’être un intime, on s’adressait à elle à la troisième personne : « M. le directeur Larslund voudra-t-il un verre de cognac ? » Ces us tombèrent un beau jour et l’on passa, pour plus de simplicité, à un tutoiement généralisé et furieusement égalitaire. Ce qui dut scandaliser quelques personnes âgées. Personnellement, je me demande si cela simplifie vraiment la conversation : « Hmm… M. Larslund… euh… veux-tu un verre de cognac ? ». D’ailleurs, il se dit que certains jeunes s’essaient au vouvoiement (deuxième personne du pluriel ; forme déjà essayée par des libéraux au XIXe siècle, sans succès : cela faisait « vulgaire »). Cette tendance dont l’avenir nous est inconnu scandalise certainement quelques personnes âgées. L’intérêt de cette anecdote me semble résider dans le caractère éventuellement réversible d’un usage – sans qu’un retour à des formes en effet assez lourdes et intimidantes soit à envisager.
Une autre anecdote pourrait sembler plus inquiétante : la tentative menée par quelques esprits progressistes d’introduire un nouveau pronom personnel « neutre », qui permettrait de parler de quelqu’un sans faire de discrimination quant à son sexe – pardon : à son genre. A ce propos, j’ai récemment entendu dire sur France-Culture[vii] que la grammaire suédoise permet d’utiliser un pronom personnel neutre. La personne qui affirmait cela était visiblement ignorante de la nouveauté de cet artifice. Je m’explique : il se dit han, et elle se dit hon. Au neutre, il y aurait bien det, pour ceci ou cela. Mais c’est un pronom démonstratif, qui existe au masculin ou au féminin sous la forme den. Or voici que les susnommés progressistes voudraient imposer le pronom personnel hen, qui n’existe tout simplement pas. Une telle entreprise de modification par la force d’une langue ne me dit rien de bon. Elle a comme je ne sais quoi de totalitaire. Souhaitons-lui donc une mort aussi rapide que discrète.
La mort d’une mesure revêtant un caractère totalitaire n’est du reste pas impossible. Pour revenir aux Allemands, je me rappelle avoir vu, toujours sur Arte, il y a quinze ans environ, un documentaire allemand sur les Lapons. On nous y expliquait combien les Lapons avaient pu être maltraités par les autorités suédoises, norvégiennes ou finlandaises, lesquelles les auraient longtemps considérés comme des sous-hommes. Une femme d’un certain âge racontait qu’elle avait été dans sa jeunesse stérilisée en tant qu’asociale.
Ce documentaire m’avait alors irrité : de la part d’Allemands, c’était un peu l’hôpital qui se moque de la charité. Autant que je sache, ni les Suédois, ni les Norvégiens, ni les Finlandais n’ont pourchassé les Lapons pour les enfermer dans des camps en vue de les mettre à mort !
Cependant, en y réfléchissant, la mention de la stérilisation laisse un goût amer. Oui, dans le paradis social-démocrate, on stérilisa, par exemple, des idiots ou des alcooliques en tant qu’asociaux pendant quelques décennies. Cela dut cesser dans les années 1960 ou 1970, je ne sais pas précisément. C’est l’abandon de cette pratique terriblement hygiénique et moderne qui donne des raisons d’espérer.
Quittons maintenant la Suède et allons où vous voudrez. Regardez autour de vous. Comptez les avancées qui vous désolent, quelle que soit leur nature[viii]. Et espérez. Elles ne seront pas toutes éternelles !
Quand je vous dis que la Suède est un pays de contes de fées, où les envoûtements peuvent être réversibles !


[i] Pour moi, ce nom évoque plus une marque de conserves de poissons (surtout de harengs) qu’un groupe pop oubliable à mon goût…
[ii] Ce qui n’est déjà pas si mal. N’omettons pas non plus l’assommante vogue du polar scandinave.
[iii] Soyons justes : j’ai vu des Suédois étonnés de constater qu’à Paris, l’hiver, il peut neiger en abondance ; mais certains Français aussi s’en étonnent…
[iv] A propos d’élans : à Ingarö, près de Stockholm, des élans saouls ont été récemment dénoncés à la police. Ils auraient été enivrés par des pommes pourries qu’ils avaient trouvées au pied d’un arbre. L’amateur d’exotisme en sera pour ses frais : mais oui, il pousse des pommiers dans ce royaume de glace.
[v] Le livre est un recueil de nouvelles ou de contes comiques, intitulé Sagor för barn över 18 år, soit : Histoires pour enfants de plus de 18 ans. Navré de vous décevoir, mais ce n’est pas cochon. A l’époque de ce livre, dans les années 1960, le roi était Gustave VI.
[vi] Saluons ici des noms comme ceux de Frans Öhman et d’Ernfrid Karlsson. Deux pêcheurs de Långviksskär. Ils ne diront rien à la quasi-totalité de mes lecteurs, mais peu importe.
[vii] Décidément, j’aime bien relever les perles de cette radio omnisciente, qui vient de fêter ses cinquante ans. Je recommande au passage la lecture de ce qu’en dit Basile de Koch dans le dernier numéro de Causeur.
[viii] Vous ne vouliez quand même pas que j’afflige ce texte d’un hideux sociétal ! Ah non !

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