mercredi 7 août 2013

On ramasse les copies (2) : Jean-René Huguenin

Voilà donc où m’a mené ma paresse : à relire une bonne partie de la trop mince œuvre de Jean-René Huguenin. Et à finir par retrouver cette note, datée du 18 mai 1960, dans son Journal : « Imaginer quelqu’un, c’est prier pour lui. » Rien n’est dit sur l’acception du verbe imaginer : s’agit-il de créer et de faire vivre un personnage ? Ou de penser à une personne réelle et d’imaginer quelle peut être sa vie ? Dans ce cas, je n’aurai pas trop, je l’espère, détourné cette citation. L’explication précise et juste de la phrase, en tout cas, aura été emportée par son auteur, le 22 septembre 1962, dans un bête accident de voiture.

Une vie brève
Pour ceux qui ignoreraient tout de Jean-René Huguenin, brossons un portrait rapide, à grands traits. Que l’intéressé me pardonne, où qu’il se trouve désormais.
Jean-René Huguenin naquit en 1936, fit des études secondaires au lycée Claude Bernard (où il eut Louis Poirier – Julien Gracq, si vous préférez – comme professeur d’histoire et de géographie et Jean-Edern Hallier et Renaud Matignon pour condisciples), puis des études supérieures à Sciences-Po, suivies sans passion ; encore étudiant, il entama une collaboration à diverses publications, fut l’un des fondateurs de la revue Tel Quel et eut le temps d’écrire et de publier un roman, La côte sauvage, en 1960. Avant de trouver la mort dans les circonstances évoquées plus haut, six jours avant Roger Nimier. Des admirateurs ont du reste fait le rapprochement entre ces deux grandes pertes : on pourra consulter le site Maudit septembre 62 à ce sujet. J’abonde dans leur sens : maudit mois que ce mois-là pour deux beaux écrivains.
En résumé, Huguenin restera pour son exigence (envers soi et envers autrui), son intransigeance, son goût chevaleresque[i] pour la fidélité et son horreur des compromissions du monde – mais si, vous savez bien, nous les nommons plus facilement compromis et nous y croyons trop souvent obligés. Tout cela est fort bien évoqué[ii] dans un livre récent de Jérôme Michel, Un jeune mort d’autrefois. Ce livre est sous-titré Tombeau de Jean-René Huguenin, fort justement : c’est un hommage, au sens de l’hommage rendu par un féal à son suzerain.

Exigence
On trouvera ce trait dans ce Journal que j’avais donc cité de travers. Ce Journal s’étend de décembre 1955 à septembre 1962. On peut y suivre les interrogations et les tentations d’un jeune homme qui cherche à donner une direction à sa vie et à son œuvre, sûr qu’il est de sa vocation d’écrivain. Une vocation qui ne saurait être gâtée par de vains jeux formels, jeux qu’il reprochera à ses « amis-ennemis » de Tel Quel (Jean-Edern Hallier et Philippe Sollers, qui l’écartèrent assez vite de cette revue, de même que Renaud Matignon, qui était aussi de ses fondateurs).
L’exigence de Huguenin n’épargne personne, à commencer par lui-même. Ni François Mauriac, par exemple, qui aura cependant l’élégance de préfacer ce Journal à sa parution en 1964. Seul Julien Gracq semble en sortir parfaitement indemne, autant l’écrivain que l’homme (peut-être doit-on dire ici « Louis Poirier »).
Cette recherche d’une direction n’est pas sans tâtonnements, sans échecs ni sans redites, notamment pour ce qui est du repentir (à ce propos, je recommande une note sur la différence entre le repentir et le remords, datée du 17 septembre 1956, qui rappelle certains passages de L’Homme, d’Ernest Hello ; ce qui n’est pas rien). Ces redites peuvent lasser, mais elles sont après tout la loi de cet exercice, surtout chez un jeune homme, peut-être. Du reste, Huguenin en est bien conscient lorsqu’il note, le 5 septembre 1962 :
« Je suis las de ce journal. Vanité, complaisance, mollesse. Quand une vie avance vraiment, on n’éprouve pas sans cesse le besoin de faire le point. »

Fidélité
Un jeune homme, qui sera tôt surpris par la mort, a-t-il le temps d’être fidèle à des êtres, des impératifs, des absolus qu’il se serait choisis ou qui se seraient imposés à lui ? Ou de les trahir ? Il peut en tout cas avoir le désir et la volonté de leur demeurer fidèle. C’est là le sujet de l’unique roman de Jean-René Huguenin, La côte sauvage, où un jeune homme a du mal à se faire à ce qui sera pour lui – plus que son service militaire en Algérie – la fin de sa jeunesse : le mariage annoncé de son meilleur ami avec sa sœur ; deux liens qui constituent son monde se brisent d’un coup ; et les auteurs de cette trahison n’en sont pas vraiment coupables, puisqu’il faut bien, n’est-ce pas, entrer dans la vie.
A propos de fidélité, on lira, dans le Journal de Huguenin, à la date du 3 décembre 1958, le récit d’un entretien avec Roger Nimier – autre admirateur de Bernanos – souvent cité pour illustrer la déception qu’on pu éprouver certains des cadets de ce dernier, lorsqu’ils rencontrèrent un homme encore jeune (33 ans) mais qui semble s’ennuyer, las des autres et de lui-même[iii] (la fête, on le sait, ne reprendra vraiment qu’à l’automne 1962, avec D’Artagnan amoureux : ni Huguenin, ni même Nimier, n’en pourront rien savourer ; et Huguenin aurait-il aimé ce roman, semble-t-il assez éloigné des promesses du Grand d’Espagne ?).

Regards, dégoûts, espérances…
… Mais aussi quelques admirations, sont bien illustrés dans Une autre jeunesse, recueil d’articles (posthume, hélas, comme le Journal) parus en leur temps notamment dans Arts et Réalités (mais aussi, et c’est curieux, tant Huguenin était loin de la chapelle communiste, dans les Lettres françaises…). Il serait vain de tout citer ici, mais ayons encore une fois recours au Journal pour en donner un avant-goût :
« Le démocrate d’aujourd’hui est encore capable de pousser un cri, c’est "J’ennuierai ! Je m’ennuierai ! J’ennuierai les autres comme moi-même, dans l’égalité des droits, la conformité des lois, la banalité des jours ! Je veux que chacun ait un cœur aussi vide que le mien." »
Une autre jeunesse permet d’assister à d’autres éreintements (celui, par exemple, du nouveau roman en général et de Robbe-Grillet en particulier) mais aussi, comme je l’ai dit plus haut, à quelques exercices d’admiration, des camelots du roi d’autrefois (du temps de la jeunesse de Bernanos, en somme) à Ernest Hemingway, en passant bien sûr par Julien Gracq… 

Voilà donc sur quels chemins m’a mené une citation erronée. Puisse-t-elle vous les faire emprunter, ne serait-ce que pour quelque pas. Vous pourriez même ne pas le regretter.




[i] L’épithète est choisie à dessein : les lecteurs du Journal d’un curé de campagne de Bernanos, une des admirations de Huguenin, me comprendront.
[ii] Malgré quelques raccourcis et anachronismes, qu’il serait fastidieux et injuste d’énumérer ici.
[iii] « Faites-moi dire ce que vous voudrez », finira par lâcher Nimier à l’issue de cette entrevue où Huguenin l’interrogeait pour une enquête sur le romantisme. Accordons à Nimier que le sujet n’était peut-être pas passionnant, et que sa santé (le cœur avait du mal à suivre, malgré son jeune âge) ne brillait pas en 1958…

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