dimanche 30 juin 2013

Tous pour tous !

Nous pourrions après tout nous faire un peu plus légers. Mais ce pourrait être pour prendre de la hauteur…
Mots de saison
Afin, justement, de prendre de la hauteur, pourquoi ne pas établir un lexique, un dictionnaire ou un abécédaire de la saison ? Nous y trouverions les mots et locutions qui ont fait fureur, avec leurs significations habituelles, mais aussi leurs acceptions du moment. Nous verrions bien s’ils gagneraient ou perdraient de leur sens. Sans parler des mots nouveaux ou des nouvelles expressions.
Ainsi, cette saison, les lexicographes qui auraient assez de courage ou de temps à perdre pour s’atteler à cette tâche disposeraient, entre autres, de : activiste, antifasciste (abrégé parfois en antifa), arbitrage, choc (ne me dites pas que vous avez oublié les chocs annoncés par le Président des bisous !), débordement, fasciste, femen, inversion (de la courbe du chômage, n’allez pas croire que, hein, hein…), militant, pour tous, radicalisation, réactionnaire (récemment enrichi par M. Barroso), skinhead, souètecheurte, veilleur, usw. J’en oublie certainement. Dois-je vous avouer que j’ai un peu la flemme ?
Chacun pourra imaginer ses définitions, avec les renvois adéquats. Un bon dictionnaire sans renvois, cela ne se conçoit pas. Ce sera un jeu pour l’été, encore un, le soir au coin du feu.
Pour tous
Cette locution ne vous aura certainement pas échappé : mariage pour tous, manif pour tous, et même, comme j’ai pu le lire fin mars sur le site de Causeur, mandales pour tous. Tant que ce n’est pas délit d’opinion pour tous
Elle existait pourtant depuis longtemps, cette expression… Qui se souvient de la France pour tous de Jacques Chirac, en 1995, avec son pommier ? Quelques décennies plus tôt, Pierre Dumayet proposait déjà ses Lectures pour tous aux téléspectateurs.
Mais puisque je suis d’humeur lexicographique aujourd’hui, pourquoi ne pas évoquer le Larousse pour tous ? J’ai le souvenir d’avoir jadis inlassablement parcouru ce dictionnaire en deux volumes (ce qui, tout de suite, vous pose autrement qu’un vulgaire Petit Larousse !), chez mes parents, dans une édition datant environ de 1914. On y trouve de magnifiques planches en couleurs avec les costumes civils et militaires de différentes époques (que je m’efforçais de recopier quand j’avais onze ans… avec une préférence pour les costumes militaires, je l’avoue), quelques gravures représentant des animaux, des paysages ou des tableaux et, à l’entrée correspondant à l’un ou à l’autre pays, les premières mesures, avec les paroles, de l’hymne national. Un régal.
Et j’allais oublier le « Un pour tous, tous pour un » des Trois mousquetaires !
Trois poids, trois mesures
Nos journalistes sont bien soulagés : les trois femen parties semer le bazar en Tunisie ont finalement été libérées. Elles n’auront que du sursis, et leur voyage touristico-militant[i] se sera déroulé presque en toute impunité. On n’allait quand même pas emprisonner des Européennes en Tunisie !
L’efficacité de leur manifestation n’est plus à démontrer, du reste : leur imitatrice, qu’elles prétendaient être venues défendre, restera, elle, en prison. Moralité : si vous êtes une fofolle européenne en mal de notoriété, allez montrer vos seins avec des âneries écrites dessus dans n’importe quel pays (en Europe, c’est devenu trop facile), vous ne risquerez pas autant qu’une autochtone influencée par votre exemple. Et vous vous serez même payé une aventure que vous pourrez raconter pendant vingt ans au moins à vos copines. Tant pis si c’est aux dépens d’une jeune fille qui aura eu la naïveté de croire que ce genre d’exhibition pouvait avoir un sens quelconque. Quelle importance, puisque c’est une indigène…
A propos de ces navrantes dames, et puisque mon humeur lexicographique ne me lâche pas, je confirme les propos de Basile de Koch dans la dernière livraison de son Asile de blog : le Gaffiot nous apprend bien qu’en latin, le nom femen, inis, n, signifie « cuisse ». Merci, monsieur !
Pendant ce temps, peu de journalistes s’émeuvent du scandale que représente l’emprisonnement de Nicolas Bernard-Busse. Ce qui ne me surprend guère, hélas. Et qui ne nous dispense pas de penser à lui. Est-ce dans le journal de Jean-René Huguenin que j’ai lu ceci : « Penser à quelqu’un, c’est déjà prier pour lui[ii] » ? Cela semblera peu à certains[iii], mais c’est déjà quelque chose. Ne nous en privons donc pas.



[i] Je ne vois pas de traduction française qui tienne la route pour l’expression suivante, relevée dans un journal suédois il y a quelques années : kravall turism. Tourisme d’émeute ?
[ii] Je n’arrive pas à retrouver la citation exacte. Et je suis décidément paresseux aujourd’hui. Je crois que ce sera une de mes relectures pour les vacances.
[iii] Pour mémoire, des pétitions circulent…

samedi 22 juin 2013

Ciel de traîne

L’été vient de commencer, paraît-il, mais je lui trouve déjà un goût de soupe du 15 août : l’envie de manger chaud et de mettre un tricot. Comme l’ennui qui précède la rentrée ?
Douceurs totalitaires
Le caractère totalitaire du régime où nous vivons, que le gouvernement se dise de gauche ou de droite, m’apparaissait jusqu’ici de manière confuse. Je le soupçonnais bien un peu, mais je n’en voyais pas de signe tangible. Seulement une vague sensation.
Hier, par exemple, c’était la fête de la musique. Entendons-nous : je n’ai rien contre la musique, et j’en chéris certaines formes, disons entre Guillaume Dufay et Lars Gullin. Mais je ne prétends imposer mes goûts à personne : j’écoute, chez moi ou dans ma voiture, des disques passés à un volume raisonnable ; ou alors je vais à des concerts donnés dans des locaux appropriés. Et je n’ai nul besoin que le gouvernement décrète qu’un jour particulier de l’année je doive me réjouir parce qu’une bande de mariachis se tortille avec une basse trop amplifiée sous mes fenêtres, que je dois maintenir fermée pour ne pas souffrir de vertiges.
Mes amis me reconnaîtront à ce trait et me féliciteront de demeurer le mauvais coucheur qu’ils aiment tant. Mais assez parlé de moi et des obligatoires festivités jacklangaises.
D’autres signes apparaissent.
Eté pourri pour l’arrière-garde
J’ai déjà évoqué cette semaine la triste affaire de cet étudiant, Nicolas Bernard-Busse, condamné à deux mois de prison ferme et à une lourde amende pour le simple fait d’avoir quelque peu prolongé une manifestation dimanche soir, sans commettre aucune violence que ce soit. Comme je l’ai fait après une série de plaisanteries, je tiens à préciser que ce n’en est pas une et que je n’ai pas, mais alors pas du tout, envie d’en rire. Les récits que l’on peut lire ou entendre de son arrestation, de son jugement et de son incarcération montrent avec quelle précipitation tout cela s’est passé. Il semble qu’un traitement particulier soit réservé à tout ce qui touche à la Manif pour tous (eh oui, encore). Le gouvernement a sans doute tenu à faire un « exemple » de ce cas. Une façon de dire : maintenant, taisez-vous.
Je dis bien : le gouvernement. On ne me fera pas croire que c’est une justice indépendante qui a envoyé en prison un jeune homme dont le seul tort est d’avoir participé à un mouvement qui aura fait défiler dans les rues, des mois durant, des centaines de milliers de personnes pacifiques, malgré les campagnes de dénigrement, les insultes, les provocations, les mensonges et les intimidations. C’est après tout la même justice qui se montre passablement indulgente pour les émeutiers du Trocadéro ou les voyous qui ont attaqué en bande une rame de RER il y a peu. Pardon si l’argument est éculé, mais il me semble juste. Maintenant que les manifestations se font plus sporadiques, moins massives et que la loi contre laquelle elles étaient dirigées est appliquée, il est plus facile de faire passer ce que l’on pourrait considérer comme l’arrière-garde pour un ramassis de délinquants. Le Derrick catalan[i] ne pouvait quand même pas faire emprisonner un million de personnes…
Des pétitions circulent pour la libération de ce jeune homme, qu’il faut bien considérer comme un prisonnier politique[ii]. J’en ai signé, j’en signerai autant qu’on voudra, sans me faire trop d’illusions, du reste. Nos chers gouvernants, s’ils y répondent, le feront sans doute par quelques coups de menton en invoquant je ne sais quelle fadaise comme la légitimité démocratique, l’indépendance de la justice ou la tradition républicaine. C’est à peu près ainsi qu’ils ont déjà fait passer leur loi Taubira. En s’offrant en prime le luxe d’exciter tout le monde contre tout le monde. Sans doute une spécialité de l’ectoplasme bredouillant, qui doit s’imaginer que gouverner un pays et neutraliser ses concurrents au parti socialiste, c’est la même chose.
Sommes-nous pour autant en dictature ? Je ne le crois pas. Il y a toujours des élections, la majorité peut changer, mais on nous somme désormais d’aimer tout ce que décide le gouvernement, sous prétexte que nous aurions choisi celui-ci ; et sous peine d’aller en prison si nous osons dire d'une manière un peu insistante qu’une loi votée nous déplaît. Peu chaut à un dictateur si on ne l’aime pas, du moment qu’il se maintient au pouvoir. La marque d’un régime totalitaire me semble en revanche être un désir d’être aimé, et aimé sincèrement par chacun. Quitte à nier qu’il existe, hormis bien sûr des fous ou des criminels, des gens qui ne sont pas enchantés de tout ce qu’il fait. Sans être une dictature : les prochaines élections remplaceront le personnel et la même chanson reprendra sur un autre ton.
En attendant, un jeune homme innocent risque fort de passer l’été en prison pour l’avoir découvert et nous l’avoir rappelé.
Des poids et des mesures
Revenons à nos comparaisons quant à la peine infligée à ce jeune homme. Ne le comparons pas à des voyous ou à des émeutiers mais à des manifestantes d’un autre genre.  Je pense bien sûr aux Femen. Ces mannequins hystériques, qui semblent avoir des tétons à la place du cerveau, se sont pas mal fait remarquer ces derniers temps en France. En entrant à moitié nues dans une cathédrale à deux reprises, notamment. Ou en allant faire le coup de poing, toujours peu vêtues, contre des manifestants de Civitas. Pour leur part, elles ont écopé de contrôles d'identité, et c’est tout[iii].
Influencée par cet exemple, une jeune Tunisienne a barbouillé de graffitis les murs d’une mosquée et a diffusé une photo d’elle avec les seins nus. Des « militantes » européennes se sont rendues en Tunisie pour protester contre les ennuis qui ont été faits à cette jeune fille. Vu leur tenue, elles ont été embarquées et condamnées à quatre mois de prison. Cette dernière condamnation suscite naturellement des protestations en France, l’une d’entre elles étant française. Les Tunisiens ne vont quand même pas faire la loi chez eux, non ? Les auditeurs de France-Culture en sont régulièrement entretenus[iv]. Gageons qu’ils le seront moins au sujet de Nicolas Bernard-Busse.
Des goûts et des couleurs
Naguère, les politiciens nous faisaient admirer l’étendue de leur bêtise grâce à leurs petites phrases, qui faisaient les délices des journalistes. Maintenant, ils ont Twitter ! Les célébrités et les quidams en usent aussi. De sorte que l’on connait vite l’avis de n’importe qui sur n’importe quoi. On assiste à une espèce de vidange permanente.
Ainsi, sur Nicolas Bernard-Busse, nous avons pu savoir quelles sont les pensées profondes de Stéphane Guillon ; JE CITE :
« L’opposant au mariage pour tous incarcéré ce soir à Fleury Mérogis va peut-être changer d’avis demain matin après sa première douche. »
(Pause : après avoir recopié ces propos, il faut que j’aille essuyer mes semelles ; il y a du travail.)
Pour ceux qui ont la chance d’ignorer qui est Stéphane Guillon, qu’ils sachent que ce… ce… (non, je ne trouve pas) est considéré comme un humoriste. Je me rappelle l’avoir vu à l’œuvre à la télévision, à l’époque où je possédais un de ces engins. Il était payé pour se moquer de l’invité du jour, dans je ne sais plus quelle émission. Cela consistait à balancer à la figure dudit invité un tombereau de propos plus ou moins désobligeants, invariablement bêtes et jamais drôles. Guillon rifougnait comme une fillette de douze ans qui vient de dire « capote » là où l’on était censé rire. Comme le public et l’animateur se marraient à ce signe, la victime, ne souhaitant pas passer pour un rabat-joie, devait bien sourire aussi.
Ce… ce… (aidez moi !) a ensuite gagné sa gamelle quelque temps sur France-Inter avant d’être débarqué par un directeur sans doute frappé d’un éclair de lucidité.
La citation de ce… ce… (non, toujours rien) illustre bien sa conception de ce qu’il nomme humour : rigoler avec les forts, avec ceux qui ont le pouvoir, ne frapper que ceux qui sont déjà à terre. Quel courage. Quelle finesse. Quel esprit !
Dommage pour lui que l’URSS ait disparu. Ses mordantes satires auraient sans doute fait fureur au Krokodil ! Quand je vous parlais de totalitarisme…


[i] Non, rien à voir avec un restaurant du XVème arrondissement où il se peut que l’on mange bien et tranquillement. Pardon pour ce jeu de mots !
[ii] Un des motifs invoqués pour condamner Nicolas Bernard-Busse est son refus de se faire prélever un peu de salive pour identifier son ADN. Ceux qui s’étonnent de l’indignation que soulève cette condamnation n’arrêtent pas de répéter que nous n’avons rien à dire parce que c’est une disposition apparue sous M. Sarkozy. J’ai voté l’an dernier au second tour pour ce monsieur (choix du moindre mal), mais je ne me rappelle pas avoir défilé dans les rues ces sept derniers mois en criant « Sarkozy président ». Et ce genre de disposition me déplaît tout autant, qu’elle vienne d’un président de gauche ou d'un président de droite.
[iii] J’ignore cependant comment ont été traitées – ou comment elles le seront – celles qui ont tenté d’approché notre président chéri au Bourget hier (mais est tenté de se demander s’il ne s’agit pas de figurantes ; allez savoir). J’ignore tout autant si de quelconques sanctions ont été prises contre celles qui ont agressé, en Belgique au mois d’avril, l’archevêque de Malines-Bruxelles.
[iv] Ils ont aussi eu le trouble plaisir d’entendre le 9 mars Inna Chevtchenko, « chef » des Femen en France, complaisamment inteviouvée dans l’émission du matin avec la complicité de l’inévitable Gazoline Chérie. Il en est sorti un amas de platitudes stalinoïdes sur la nécessité d’interdire les religions, d’emprisonner tous les fascistes, etc., débitées en mauvais anglais. Seul M. Brice Couturier, chroniqueur quotidien, a eu le bon sens de mettre par terre tous les arguments de l'invitée. Sans grande peine, du reste. Qu’il soit salué pour cela.

mercredi 19 juin 2013

Un jeu pour l’été

« Ne bronzez pas idiot ! » est un cri du cœur des publicitaires, dès que le soleil pointe ses rayons. Et d’essayer de nous fourguer toutes sortes de passe-temps. Non, ne bronzez pas du tout (d’ailleurs le temps s’y prête peu en ce moment) et inventez plutôt des jeux amusants et, pourquoi pas, érudits. En voici un.
Le jeu du « selon la préfecture »
Mes fidèles lecteurs (combien ? selon moi ? selon la préfecture de police ?) se rappelleront le jeu de mots du Cardinal Vingt-trois : « André Vingt-trois pour l’état civil, seize pour la police ». Mais oui, on peut rire des mensonges assénés par le musclé de la place Beauvau, puisqu’ils sont ridicules (et étymologiquement, comme dirait mon frère, est ridicule ce qui prête à rire). On peut en faire d’infinies variations ! Voyez plutôt.
Géographique : un collègue me disait l’autre jour, par exemple, que Paul Valéry et Georges Brassens étaient nés à Sète – ou, selon les services de police, à Troyes.
Littéraires : là, le choix ne manque pas pour les titres revus par la préfecture : Les deux mousquetaires, Cinq lieues sous les mers, Une semaine en ballon, Un homme dans aucun bateau… A votre tour !
Cinématographique : Les dix-sept jours de Pékin, Les trois samouraïs, Les quatre mercenaires… Il doit encore y en avoir beaucoup d’autres ! Cherchez !
Au théâtre, on pourrait même imaginer ce que notre ministre de l’intérieur préféré (il n’y en a qu’un seul, alors…) pourrait faire de ces fameux vers de Corneille, tirés bien sûr du Cid :
Nous partîmes cinq cents et, par un prompt renfort,
Nous nous vîmes trois mille en arrivant au port.
Cela deviendrait :
Nous partîmes vingt-sept et, par essoufflement,
Nous nous vîmes quatorze à notre embarquement.
Redoutable, non ? Bien entendu, je ne suis pas neutre. Mais je suis sûr que ceux qui sont de l’autre bord sauront imaginer le jeu du « selon les organisateurs ».
Beaucoup moins drôle
Je lis ce soir dans divers journaux qu’un jeune homme vient d’écoper EN COMPARUTION IMMEDIATE de quatre mois de prison DONT DEUX FERMES pour avoir refusé de laisser prélever par un policier ses empreintes et son ADN ; à l’issue d’une manifestation anti-ce-que-vous-savez, bien entendu. Ce qui gâche un peu mes plaisanteries. Deux mois de trou pour avoir manifesté contre l’ectoplasme qui apparaît,  de temps à autre et de manière inexplicable, aux Français depuis le 6 mai 2012 (s'agirait-il d'un phénomène d'hallucination collective ?), voilà qui commence à devenir inquiétant. Ou révoltant ?

samedi 15 juin 2013

Pour honorer –encore mais autrement – une devise

Comme je l’avais promis il y a quelques jours, et malgré les abîmes de bêtise qui ne cessent de s’ouvrir autour de nous, voici donc un sujet que j’espère agréable. Il s’agit de littérature, évidemment. Et non de la moindre.
Sortons du placard
D’où vient donc le titre sous lequel je livre, depuis bientôt deux mois, cette modeste chronique ? « Chatty Corner » n’est pas mon nom… Quelle révélation ! Ce n’est même pas le vrai nom d’un personnage réel ou inventé, puisque celui qui le porte dit :
Can’t think why they called me "Chatty" in Africa. My names are James Pendennis.
C’est du reste une de ses rares répliques, dans la trilogie Sword of Honour[i] d’Evelyn Waugh, qui est aussi l’auteur de la devise placée sous le titre de ma modeste chronique (on la retrouve de manière plus complète dans mon dictionnaire des citations ci-contre). Je devais donc bien rendre hommage, un jour ou l’autre, à cet écrivain.
Drôle de nom
Pas « Chatty Corner », mais « Evelyn Waugh ». Il y a un an ou deux, j’ai pu entendre un chroniqueur sur France-Culture (décidément un beau parc à huîtres perlières) nous parler de la romancière britannique (sic) « Evelyne Vogue ». Le chemin à parcourir pour cet illettré (il a des excuses, le pôvre : il « écrit » aussi dans les Inrockuptibles) est encore long. Il suffit pour s’en convaincre d’avoir sous les yeux le portrait que fit Cecil Beaton d’Evelyn Waugh en 1955 : un petit bonhomme, un peu fort, tiré à quatre épingles et prêt à tirer sur un cigare presque aussi grand que lui ; il est accoudé à une clôture où l’on peut lire : « entrée interdite aux promeneurs » ; son visage a une expression où se mêlent l’agacement et le sourire de qui vient de faire une bonne blague. Le panneau sur la clôture nous dispensera de nous appesantir sur sa biographie.
Nous nous contenterons de la résumer à grands traits : Evelyn Waugh (prononcer : « Ouôô ») naquit à Londres en 1903, étudia à Oxford, publia son premier roman (Grandeur et décadence[ii]) à 25 ans, se convertit au catholicisme en 1930, eut sept enfants, fut officier – notamment dans les Royal Marines – pendant la seconde guerre mondiale et mourut en 1966. Il a laissé une œuvre abondante (romans, nouvelles, biographies, récits de voyages…) dont la quasi-totalité est réunie – pour le plaisir de ceux qui lisent l’anglais – en 24 fort beaux volumes chez « Penguin Classics » et qui est en majeure partie traduite en français. Voilà donc un écrivain facile à trouver.
De quelques clichés
On retient souvent d’Evelyn Waugh son seul génie comique. Un genre de Wodehouse en plus chic, plus littéraire, en somme. Ou à l’inverse on pense à un esthète élégiaque et mélancolique, presque décadent.
Le premier de ces clichés a sans doute pour origine la lecture exclusive de ses romans comiques – souvent les premiers. Reconnaissons-leur une immense et pertinente drôlerie, qu’ils se déroulent parmi les bright young things – le Swinging London des années 1920, si on veut – comme Ces corps vils[iii] ou en Afrique comme Diablerie[iv] ou Scoop[v].
Le second sera évidemment né de la lecture – elle aussi exclusive – de Retour à Brideshead[vi]. Sans trop en comprendre l’aspect spirituel et en ignorant que ce roman rempli de nostalgie, de châteaux, de voyages à Venise ou en Afrique du Nord, de dégustations d’excellents vins et de chasse à courre fut écrit par Waugh en 1944 lors d’une permission obtenue à la suite d’un accident survenu lors d’un saut d’entraînement au parachute…
Balzac pour rire ?
Si l’on veut bien ne pas se cantonner à ces clichés et si l’on fait l’effort de lire l’ensemble des romans et des nouvelles de Waugh, on découvrira qu’il fait vivre devant nous un monde riche et cohérent. Riche par ses thèmes : satire sociale ou politique, interrogations morales ou spirituelles, certitudes et colères (sociales, politiques, morales et spirituelles). Cohérent grâce à la récurrence de personnages (principaux ou secondaires), de noms ou de lieux, amenée sans forcer. Viola Chasm, Margot Metroland, Mme Stitch, les poètes gauchisants Parsnip et Pimpernel surgissent à différents âges, créant l’unité du décor souvent farfelu de ses romans. Tout le monde lit le Daily Beast, le Daily Brute, voire le Daily Excess, et dans Sword of Honour, l’immeuble moderne qui a remplacé la demeure londonienne des Marchmain à la fin de Retour à Brideshead a été réquisitionné par l’armée… De ce chœur se détache évidemment la figure odieuse, cynique et attachante de Basil Seal, tour à tour aventurier foutraque dans Diablerie, farceur sans scrupule et en quête d’action guerrière dans Hissez le grand pavois[vii], simple comparse dans La fin d’une époque[viii], puis gros monsieur sourd et dépassé par les frasques de sa fille dans une nouvelle tardive[ix] au début de laquelle il dîne en compagnie de Peter Pastmaster (que l’on avait rencontré tout jeune dans Grandeur et décadence). Chaque histoire possède son ton, son point de vue, mais ces quelques repères nous rappellent que nous sommes toujours dans un monde unique.
Ce procédé, que l’on retrouvera plus tard chez un écrivain comme Thomas Pynchon, avait déjà été utilisé, bien sûr, par Balzac, de manière systématique. Et si Scoop, satire hilarante de la presse, avait quelque parenté (oh, très lointaine) avec Les illusions perdues ?
Comment cheminer dans ce monde-là ?
Evelyn Waugh n’est pas à mon avis un écrivain à lire dans n’importe quel ordre. On commencera par ses romans purement comiques (Grandeur et décadence, Ces corps vils, Diablerie, Scoop, Hissez le grand pavois, Le cher disparu[x]) avant d’aborder des œuvres plus nuancées, comme Une poignée de cendres[xi] ou la trilogie déjà plusieurs fois mentionnée, Sword of Honour. Dans Une poignée de cendres, les situations comiques ne cachent déjà plus la tristesse générale de l’intrigue (le divorce d’un homme et d’une femme, la mort de leur fils unique, et la disparition de l’homme dans une lamentable expédition ethnographique). Quant à Sword of Honour, tout y est : la guerre, les interrogations du héros sur son devoir d’état, ses tentatives pour le remplir, et toute une série de péripéties émouvantes ou follement drôles.
Ce n’est qu’ensuite qu’on pourra lire – connaissant le reste – Retour à Brideshead pour en tirer toute la richesse.
Après, il restera à découvrir d’autres écrits qui feront les délices du lecteur initié : récits de voyage, autres romans, nouvelles, et même quelques essais et pamphlets. Ceux qui lisent l’anglais apprécieront particulièrement, dans ce dernier domaine, un recueil intitulé A Little Order, où l’on fait la connaissance de l’esthète, de l’écrivain, du conservateur (furieusement ronchon !) et du Catholique (avec entre autres textes, une magnifique note biographique sur Sœur Thérèse-Bénédicte de la Croix – Edith Stein en d’autres termes).
In cauda venenum ?
J’ai brièvement évoqué plus haut Le cher disparu ; cette farce macabre et féroce vise les Etats-Unis et en général le monde moderne ; les mœurs à la fois grossières, aseptisées et mercantiles des Américains y sont dépeintes à travers quelques entrepreneurs de pompes funèbres (pour les humains et, versant parodique, pour les animaux de compagnie) en Californie. Un monde où tout se vend et tout s’achète, où tout est en toc avec le douteux confort apporté par la technique dernier cri. Une prophétie, peut-être ?
Ce qui ne va pas sans un pendant : un roman encore plus bref, Love Among the Ruins[xii], nous transporte dans une Angleterre futuriste, gouvernée par un régime parfaitement social-démocrate : à la fois totalitaire, hypocrite et flasque, faussement bonasse ; tout est pris en charge par l’Etat, qui semble avoir remplacé Dieu jusque dans les esprits et le vocabulaire (State be with you y est une formule assez courante de bénédiction), jusqu’à la mort, au moyen de centres d’euthanasie. Dieu merci, cela ne marche pas très fort, car il y a toujours des grèves. C’est beaucoup plus drôle que 1984[xiii] ; plus terrifiant aussi, car moins exotique – de moins en moins quand on voit notre pays aujourd’hui[xiv].
Post-scriptum
Il y a quelques années, les Wallabies alignaient sous leur maillot orange un joueur nommé Waugh et un autre nommé Sharpe. Cela pour vous dire si le rugby et la littérature vont de pair, quand les deux sont de qualité… Et pour rendre hommage aussi à Tom Sharpe, récemment décédé.


[i] Men At Arms (Hommes en armes), 1951 ; Officers and Gentlemen (Officiers et gentlemen), 1955 ; Unconditional Surrender (La capitulation), 1961
[ii] Decline and Fall, 1928
[iii] Vile Bodies, 1930
[iv] Black Mischief, 1932
[v] Scoop, 1938
[vi] Brideshead Revisited, 1945
[vii] Put Out More Flags, 1942
[viii] Work Suspended, 1943
[ix] Basil Seal Rides Again or The Rake’s Regress, 1963
[x] The Loved One, 1948
[xi] A Handful of Dust, 1934
[xii] Love Among the Ruins: A Romance of the Near Future, 1953
[xiii] … dont les ventes ont fait un bond ces derniers jours, paraît-il, après des révélations sur les pratiques des services secrets américains. Orwell, du reste, était un contemporain de Waugh et 1984 ne précède que de quatre ans Love Among the Ruins
[xiv] A ce propos : mes amitiés à quelques personnes rencontrées cette semaine, que j’ai entendu parler des projets nourris par le Président des bisous en matière d’euthanasie. La paisible détermination de ces personnes et leur intelligence m’ont réchauffé le cœur. Et je leur recommande la lecture fortifiante de Love Among the Ruins

dimanche 9 juin 2013

Sottises (et horreurs) du moment

Ce sera plus ou moins drôle cette semaine…
Sans les mains !
Commençons par une petite chose insignifiante, voulez-vous bien. Nous avons besoin d’air. Or voici que j’ai entendu parler, par divers échos, de l’apparition d’un kit mains libres pour manger son hamburger. J’ai oublié quelle chaîne d’embolisation rapide a inventé cela. Mais j’imagine la lycéenne moderne, la gueule plongée dans sa mangeoire, les mains libres pour envoyer des essemmesses essentiels à ses copines : j mang mon burger 100 les m1 tro lol. Comme quoi la lycéenne moderne est tombée bien plus bas que celle de Gombrowicz (lisez ou relisez Ferdydurke !).
Drôle de nom que celui de hamburger, quand on y pense. La chose n’a paraît-il qu’un vague rapport avec le hamburger Stück, qui était, dit-on, un morceau de porc rôti servi autrefois en Allemagne. Cette dégénérescence n’est pas d’hier, si j’en crois un passage d’un roman de John Fante où le jeune narrateur, à l’idée de n’avoir les moyens que de se payer une de ces galettes faite avec ce que les bouchers nomment minerai, songe avec nostalgie aux pauvres ragoûts de sa mère (la paresse m’empêche de retrouver le titre et le passage ; mais nous sommes dans les années 1930 à Los Angeles ; et vous n'avez qu'à lire tous les romans de John Fante pour retrouver ce passage, vous ne le regretterez pas). L’invasion du monde par une pareille saleté laisse perplexe.
Pour revenir à notre kit mains libres, celui-ci me fait penser aux sacs d’avoine que l’on nouait jadis à l’encolure des chevaux de trait. Ils pouvaient ainsi se nourrir tout en poursuivant leur besogne. Autrefois on a pu dire que l’homme était un loup pour l’homme. Désormais nous savons que l’homme peut être une bête de somme pour l’homme.
Pourquoi pas, après tout, dans une époque bête à manger du son…
 
Une apparition de Brigitte
Non, il ne s’agit pas d’une vision mystique de Sainte Brigitte de Suède. Madame Brigitte Bardot, l’amie des animaux, semble ne pas apprécier l’usage que fait madame Frigide Barjot d’un pseudonyme qui rappelle trop son nom. On ignore si c’est à cause des blagues pas toujours fines auxquelles s’est livrée Frigide Barjot ou à cause d’un mouvement qui a fait récemment parler de lui et à la notoriété duquel elle a fortement contribué. Brigitte Bardot parlerait même d’usurpation d’identité, paraît-il.
Il y aurait au moins trois choses à répondre à Brigitte Bardot :
Premièrement, à parler d’usurpation d’identité, que devraient lui dire Sainte Brigitte d’Irlande ou Sainte Brigitte de Suède !
Deuxièmement, à tout prendre, je préfère qu’une femme (ou un homme), quelles qu’aient été ses frasques passées, s’engage au nom d’une conception de l’humain plutôt que pour les jeunesses pinnipèdes (contre lesquelles je tiens à préciser que je n’ai aucun grief personnel, du reste).
Troisièmement, à propos de passé, je relève cette réplique du Mépris, pas le meilleur film de Godard (malgré une photographie magnifique – Raoul Coutard, quand même – et une musique idem de Georges Delerue) : « Et mes fesses, tu les aimes, mes fesses ? »
Mourir pour rien
Ici, et j’en suis navré, il m’est impossible de plaisanter. Ces derniers jours sont morts deux jeunes hommes, tués à coups de poings. Je dis bien deux.
La presse n’a pas, en effet, beaucoup parlé d’un étudiant des Arts et Métiers qui, lors d’une fête, a été tué par un ivrogne de passage pour des motifs futiles. Il avait vingt-deux ans. Comme aucun journaliste n’avait de glose éventée à en faire et comme aucun politicien n’avait à se faire mousser à ce sujet, ses parents et ses amis ne seront pas trop dérangés pour le pleurer et honorer sa mémoire. Paix à son âme.
Tout le monde a en revanche entendu parler du garçon de dix-huit ans qui a été tué, mercredi, rue de Caumartin, par une bande de skinheads. Il nous a été dit que c’était un brillant élève de Sciences-Po, militant antifasciste, tué à cause de ses idées. Des journalistes se sont sérieusement demandé s’il ne s’était pas installé un climat malsain ces dernier mois ; une libération de la parole d’extrême droite, raciste, homophobe, comme ils disent, liée bien entendu à l’opposition au mariage homosexuel.
Ecartons un instant cette bouillie intellectuelle et tâchons d’entrevoir la réalité. Elle me semble plus sordide et plus futile. Par « militant antifasciste », il faut entendre : fréquentant des bandes d’antifas (pour antifascistes), qui sont à peu près à Karl Marx (ou qui vous voudrez) ce que des fafs (pour France au Français) sont à Joseph de Maistre (ou qui vous voudrez). On a affaire dans les deux cas à des garçons et des filles aimant la mauvaise bière et la castagne. Leurs différences sont minces. Elles résident dans la couleur de leurs vêtements et de leurs chaussures (qu’ils se procurent chez les mêmes fournisseurs) ou dans quelques nuances quant à leurs coupes de cheveux. Les uns crient no pasaran quand les autres miment des saluts hitlériens, ce qui a autant de sens que si je décidais d’aller courir sus aux Bourguignons en vertu de mes sympathies pour le parti Armagnac. On est donc en pleine gorillerie, pour reprendre un mot d’Albert Cohen (dans un autre contexte, certes) sur qui veut étaler sa virilité. Sous des oripeaux vaguement politiques, on ne vole pas plus haut qu’une bagarre entre mods et rockers sur la plage de Brighton dans les années 60.
Le résultat est qu’un étudiant a trouvé en plein Paris, en plein jour, une mort violente. Non pas « à cause de ses idées » mais à cause de la comédie sinistre où il s’était laissé entraîner. Cela est bien triste et ne peut appeler que la compassion.
On pourra lire aussi à ce sujet un excellent article de Jacques de Guillebon paru hier sur le site de Causeur.
Réapparition de Frigide
Pour finir sur ce lamentable événement, décernons quand même la palme de l’indécence à Pierre Bergé. Oui, le mécène socialiste qui « pense » que les bras des ouvriers et les ventres des femmes sont des biens à louer a encore twitté. Sans doute en broutant son caviar avec un kit mains libres. Cette fois, il a proclamé à qui voulait le croire que le jeune homme évoqué plus haut était mort à cause de Frigide Barjot. Laquelle a annoncé qu’elle allait lui coller un procès en diffamation – la moindre des choses.
Quelqu’un pourrait-il dire à Pierre Bergé que ses éructations séniles n’amusent personne ?
Espérances
C’est promis, la semaine prochaine, j’essaierai de vous parler de choses que j’aime. Au travail.

mercredi 5 juin 2013

Mathématiques pour tous

Ne craignez rien. Ce ne sera pas si difficile…
Arithmétique : combien de divisions ?
« Le Pape, combien de divisions ? », aurait demandé un jour un Staline goguenard. Ce à quoi Philippe Sollers (mais oui !) a répondu, bien plus tard, que Staline est mort, qu’il n’y a plus d’URSS et que nous avons toujours un Pape. Fort juste.
Ajoutons à cela ce récent trait, prêté à l’Archevêque de Paris : « André Vingt-trois pour l’état civil, seize pour la police ». Une manière élégante et drôle de signifier que le matamore de la place Beauvau prend certains manifestants pour des lapins de six semaines (six ? selon la police ou selon les organisateurs ?). Ne serait-ce que pour cette pointe, si elle est authentique, mes respectueuses et filiales salutations au cardinal Vingt-trois.
Algèbre : le mariage VRAIMENT pour tous
Avec le collègue et ami qui m’a rapporté les propos supposés du cardinal Vingt-trois, nous avons réfléchi au sujet qui a usé ces derniers mois tant de gosiers, de plumes, de claviers, de semelles ou de matraques (matraque, n.f. : instrument utilisé par le gouvernement dans les débats de société). Voici le fruit de nos discussions.
Le genre est un aspect des choses à ne pas négliger, certes, mais qu’en est-il du nombre ? Pourquoi ne pas instaurer le mariage de groupe ? Entre adultes consentants, bien sûr. Et sans oublier les « minigroupes », qui pourraient être composés d’une seule personne.
Ajoutons aux dimensions du genre et du nombre celle de l’échelon. Je m’explique. De même que l’on pratique, sans limitation de nombre (encore que l’on n’ait jamais vu, et c’est injuste, une cité seule le faire), les jumelages de communes, pourquoi ne pas imaginer des jumelages de foyers désireux de le faire ? Un exemple : Max, Popaul et Bécassine sont mariés ensemble ; Childebert s’est marié seul ; Ermengarde et Adhémar forment depuis quinze ans un couple aussi légitime qu’harmonieux. Or la paire {Ermengarde ; Adhémar} aime le singleton {Childebert} et tous aiment follement {Max ; Popaul ; Bécassine}, et ces amours sont toutes caractérisées par une parfaite réciprocité. Ils pourraient tous former une entité d’ordre supérieur, soit {{Ermengarde ; Adhémar} ; {Childebert} ; {Max ; Popaul ; Bécassine}}. De même que les jumelages de communes favorisent l’entente entre les peuples, voilà qui favoriserait certainement… ah, comment appellent-ils cela, déjà ? le lien social, le vivre-ensemble ?
Remarquons l’importance des notations : les accolades signifient que l’on a affaire à des ensembles, où l’ordre dans lequel j’ai énuméré les noms n’a pas de signification ; c’est l’égalité par la commutativité ! De plus, ces ensembles ne sont pas unis, mais regroupés dans un ensemble d’ensembles : respect des particularités !
J’imagine d’ici le lyrisme du rapporteur de cette loi, et la fermeté d’airain avec laquelle il devrait affronter les sifflets, les quolibets et les ricanements de la réaction, laquelle ne manquerait pas de railler le mariage partouze, dévoilant ainsi son vrai visage, qui est comme on le sait le visage de la haine.
Sait-on jamais ? Ce que je viens de décrire est tellement c… que je me demande ce qu’attend notre gouvernement préféré (c’est le seul que nous ayons) pour faire passer, au chausse-pied ou dans la précipitation, un tel projet de loi.
De la liberté de se vêtir
Laissons-là les mathématiques. Notre gouvernement préféré (toujours pour les mêmes raisons), en attendant de nous faire visiter les trésors de démence qu’il garde en réserve, fait arrêter par la police ceux qui portent des souêtecheurtes « Manif pour tous »(1). Malgré les réserves que j’ai exprimées sur les couleurs un brin « guimauve » de ces vêtements et bien que ma conception de l’élégance vestimentaire bannisse le souêtecheurte, j’avoue être tenté…
Mais baste. J’ai les yeux bleus et un teint qui vire facilement au rose. C’est vous dire si je rase les murs en ce moment.
 
(1) Voir à ce sujet l'édifiante vidéo parue sur le site du Point

samedi 1 juin 2013

Sale temps ?

Sale temps, en effet. Cette fin mai aura plutôt ressemblé à une fin mars. On était presque étonné de ne pas voir tomber de neige à Paris. Et même votre serviteur, pourtant guère amateur de fortes chaleurs, commençait à grelotter.
Théories du complot
La presse, depuis un peu plus d’un an, en a fait un gag récurrent : partout où passe notre Entremets élyséen, il se met à pleuvoir. Faut-il par conséquent l’accuser de ces intempéries ? Ou est-ce une tentative de M. Valls pour interdire le « Printemps français » ?
Il est permis d’en douter car on eût pu aussi redouter un débordement de la Seine, elle-même certainement saisie par une subite radicalisation. Mais, objecteront les complotistes de droite, l’Entremets n’a-t-il pas intérêt à provoquer de tels débordements ? Alors…
D’autres rapprochements sont possibles, pour les complotistes de gauche, cette fois. Ces intempéries auraient-elles un rapport avec la manifestation contre le froid qui eut lieu voici une trentaine d’années au métro Glacière, aux cris de « verglas assassin, Mitterrand complice » ? Certains, en tout cas, n’hésitent plus à ne pas trouver une telle manifestation si innocente que cela : ils ont découvert, sans doute après de longues et patientes enquêtes, que Frigide Barjot en était. Il fallait pour trouver une telle connexion des intelligences aussi affûtées que celle de cette journaliste qui me fait tant rire sur France-Culture les mardis matin à sept heures et quart. Ah, comment s’appelle-t-elle, déjà ? Gazoline Flourest, ou quelque chose d’approchant.
Dominique Venner et les Femen
Oui, décidément, il a fait un sale temps en cette fin mai (NB : je commente des faits un peu vieux, cette chronique étant prévue initialement pour samedi dernier, mais des ennuis techniques m’ont empêché de la publier). Mardi 21, devant l’autel de Notre-Dame de Paris, Dominique Venner se suicidait en se tirant une balle dans la bouche. Je connaissais son nom par quelques publications estimables dont il avait eu l’initiative, comme la revue Enquête sur l’histoire, que je lisais il y a quinze, vingt ans, et où des signatures très diverses apparaissaient. La presse à rendu compte de la mort de Venner en le décrivant comme un « ancien de l’OAS, essayiste d’extrême-droite et proche des milieux anti-mariage gay ». Difficile de faire plus épais, plus gazolinesque, dans le rapprochement…
Il me semble que la curiosité de Dominique Venner et le souci de faire parler d’autres voix que la sienne dont il a parfois fait montre auraient mérité un peu plus d’attention et des descriptions un peu moins caricaturales (bien qu’il fût, en effet, un ancien de l’OAS, qu’il ne fût pas tout à fait de centre-gauche ni pour tous). On pourra cependant déplorer son néo-paganisme – notion qui me reste incompréhensible, tant cela me paraît un bric-à-brac spirituel assez louche. On a vu, du reste, à quelle macabre et sacrilège folie ces brumes l’ont conduit. On éprouve comme un sentiment de gâchis.
Là où on n’éprouve pas grand-chose, en revanche, c’est en apprenant que le lendemain une Femen est venue au même endroit mimer le suicide de Dominique Venner. Avec le costume d’usage chez ce groupuscule décervelé tant admiré par Gazo, ma comique préférée du mardi matin : les seins à l’air et des slogans imbéciles tartinés en anglais d’aéroport sur les flancs. Je crois que la bêtise de ces péronnelles ne mérite que les haussements d’épaules qui conviennent à toute manifestation d’exhibitionnisme. Elles sont un bon reflet de leur époque et de leur monde, c’est-à-dire de rien.
Pendant ce temps…
En Suède, pays qui m’est cher, quelques jeunes crétins mettaient le feu dans les banlieues. C’était tellement désolant que l’on eût pu se croire en France vers 2005 ou en Angleterre l’an dernier.
Justement, en Angleterre, deux types alpaguaient un soldat dans la rue et le décapitaient, comme ça, froidement, en invoquant Dieu pour justifier leur boucherie. Dieu n’a décidément pas de quoi se réjouir en permanence…
Quel est le rapport ?
Dominique Venner était écœuré par la décadence de l’Europe, ce qui peut se concevoir. La solution qu’il a cru trouver à ce problème, en se voulant noble et antique, n’a été que spectaculaire et moderne. Il eût mieux valu pour lui vivre et espérer. Quelques poupées hystériques, sans être plus inquiétées que cela, en tout cas chez nous, se dépoitraillent un peu partout pour protester contre… on ne sait plus trop quoi. Ou peut-être contre ce qui est encore vivant, comme par exemple l’Eglise catholique (malgré les apparences et les efforts d’une ennuyeuse conjuration d’imbéciles). Mercredi 29, à Montpellier, deux messieurs nous ont fait croire – et ont sans doute cru – qu’ils se sont mariés, dans le plus grand sérieux, avec les félicitations du gouvernement ; chose qui eût passé naguère pour une bonne grosse farce (Coluche et le Luron, c’était un peu lourd, mais quand même assez drôle). Et périodiquement, nos gouvernants nous rappellent qu’il faut nous excuser d’exister, vu que nous sommes, nous autres Européens, d’affreux esclavagistes, des oppresseurs ou tout ce que vous voudrez de ce genre.
Comment veut-on qu’avec tout cela des immigrés venus de pays lointains puissent avoir la moindre estime pour nous ? Ne nous étonnons donc pas si, de temps en temps, quelques rouleurs de mécaniques font la loi en banlieue ou si quelques fanatiques décapitent un autochtone. Ils nous prennent au mieux pour des mous, au pire pour des morts.
Enfin…
Ne nous plaignons pas trop : dimanche dernier, il a fait plutôt beau. Pour la dernière fois, un peu tristes peut-être, nous fûmes 825 millions selon Mme Boutin et 32 selon M. Valls. Il n’a pas plu et il n’y a donc pas eu trop d’eau dans le gaz… Ce n’était pas plus que cela la Manif pour tousser… En tout cas pendant. Les journalistes, fidèles à leurs réflexes, n'ont rendu compte que des heurts entre la police et quelques jeunes gens aux têtes chaudes ou au plafond bas.
Mais tiens, j’y pense, comme il est toujours question d’écarts extravagants entre les différentes estimations du nombre de participants : cette fois, nous étions en fait un million selon les organisateurs et cent-cinquante mille selon la police. Eclair subit dans mon esprit : la police nous compte en euros ! Ce qui aurait tendance à prouver que nous en sommes restés au franc : quels indécrottables retardataires !
Remerciements (et excuses)…
… A Philippe Muray qui, longtemps avant moi, utilisa l’expression la cage aux phobes.  Je l'avais oublié. C’était dans un article paru en 1999 dans le quotidien la Montagne et repris dans la troisième tome de ses Exorcismes spirituels. Je me devais, à sa mémoire, de rétablir cette vérité.