samedi 11 mai 2013

La femme aux cent têtes

S'il y a des royalistes parmi mes lecteurs, ils seront tentés de me corriger : voyons, cher ami, vous aurez mal entendu ! La république, c'est la femme sans tête, pas la femme aux cent têtes ! Soit, l'expression est consacrée chez les royalistes (et elle est assez jolie, du reste), mais je ne crois pas que la réalité soit toujours aussi simple. J'ajouterai que la femme aux cent têtes, ce n'est pas mal non plus.
Voyons-y de plus près.

Manifs pour tout
Il y a déjà quelques mois, invité pour de grandes réjouissances dans un pays étranger cher à mon cœur pour des raisons familiales, je fus interrogé par un de mes commensaux à peu près en ces termes : "Il y a beaucoup de manifestations en ce moment en France. Comment se fait-il que, par exemple, au sujet du mariage, des centaines de milliers de personnes puissent descendre dans la rue ?" Précisons que cet aimable commensal ajouta qu'il trouvait cela plutôt admirable (cette remarque est à l'attention des conformistes qui, sur le même sujet, vous serinent toujours qu'à l'étranger on estime que de telles réactions sont excessives et donc ridicules). Comme je l'ai dit, nous étions là pour de grandes réjouissances et le repas était terminé : j'avais donc quelques verres dans le nez, je le confesse. Et je me gardai par conséquent de me lancer dans une longue explication dans laquelle je me fusse vite enlisé ; je me contentai de grommeler quelques "nous sommes ainsi, nous autres Français... quand ça ne nous plaît pas, nous le disons... Gaulois... fortes têtes... même pas peur, nous en avons vu d'autres, etc."
Ouais. Un peu court. J'ai eu le temps de réfléchir depuis et ai souvent entendu dire qu'il était vain, voire dangereux, de s'opposer à une loi qui serait votée (puis qui fut votée) par un parlement légitimement élu et proposée par par un gouvernement et un Président tout aussi légitimement installés. Je veux bien, mais qui me dit que ces institutions sont plus ou moins légitimes que le rassemblement de centaines de milliers (au bas mot) de personnes sur des avenues parisiennes ?

Le pouvoir est-il légitime ?
Voyons sur quoi il repose. Nous sommes depuis 1958 sous un régime connu sous le nom de Cinquième République - certains rêvent en ce moment d'une sixième et sont récemment descendus manifester pour le dire, mus sans doute par une superstition du genre numérologique ; je ne m'étendrai pas, ne tenant pas à laisser penser que les nombres m'obsèdent. La cinquième république, donc, fut instaurée lorsque fut renversée la quatrième, qui avait fini par lasser à peu près tout le monde. Elle résulte donc d'une sorte de coup d'Etat. Pas très légitime, ça.
Quid de la Quatrième République ? Elle naquit du Gouvernement Provisoire de la République Française, instauré en exil par opposition à l'Etat Français. Au départ, il s'agit donc de quelques personnes qui refusèrent l'autorité du maréchal Pétain sur le pays. Toujours pas légitime !
Alors... L'Etat Français, me direz-vous ? Pas plus. Un coup d'Etat, encore un, mené en 1940 sans violence avec la complicité du parlement d'une troisième république moribonde, affolé par nos désastres militaires.
On soupire d'aise. La Troisième République, voilà du solide ! Soixante-dix ans ! Voire : comme l'Etat Français, elle naquit d'une carambouille parlementaire, provoquée cette fois par la déroute de nos armées et la captivité de l'Empereur, en 1870. Faut-il en déduire que c'est Napoléon III et le Second Empire qui étaient légitimes ?
Ici, les républicains seront du même avis que moi : non. Encore un coup d'Etat, plus raide, celui-là. Et mené par Louis-Napoléon Bonaparte, Le Président de la République en personne, en 1851. Alors... La Deuxième République ?
Pas plus (ici, les républicains et moi divergeons à nouveau, et pour de bon, j'en ai peur). Elle résulte d'une série d'émeutes qui renversèrent, en 1848, le Roi des Français...
... Lequel avait profité, dix-huit ans plus tôt, de la panique créée dans l'entourage de Charles X par une autre émeute pour se proclamer roi, sans aucune considération pour l'ordre de succession au trône.
Nous pourrions nous arrêter ici et dire que nous sommes enfin remontés au vrai pouvoir légitime en France. J'avoue avoir quelques sympathies légitimistes, mais ce n'est pas si simple : Louis XVIII avait dû s'y prendre à deux fois, en 1814 et en 1815, pour restaurer la royauté en France, toujours à l'occasion de désastres militaires (décidément, où nous mènent les républiques et les "empires"...).
Passons rapidement sur l'Empire et auparavant le Consulat, rejetons de la Première République, laquelle fut, de 1792 à 1799 (ce fut plus paisible à l'intérieur sous le Consulat), une série de bagarres et de massacres où, de temps en temps, pour paraphraser Joseph de Maistre, "quelques scélérats firent périr quelques scélérats" avant de refaire une constitution à leur goût.
Il nous reste donc la royauté - quoiqu'affaiblie en droit en 1791 et dans les faits dès 1789 - comme seul régime politique légitime en France. Incontesté en tant que tel pendant huit cents ans. Ce ne fut pas toujours rose, mais les querelles - il y en eut, et de rudes - concernant le pouvoir ne pouvaient être que dynastiques : la guerre de cent ans (un long désastre) ne porta pas sur le mode d'élection des conseillers généraux, mais sur qui devait être le Roi de France.
Ceux qui m'auront suivi et qui ont tous leurs doigts peuvent compter : en deux cent vingt ans environ, nous avons eu dix régimes politiques différents, chacun né du renversement plus ou moins violent et rarement légal du précédent, soit une durée moyenne de vingt-deux ans. Nous avons dû y prendre goût et considérer que les institutions en vigueur ne le sont que tant que nous l'acceptons.
(Pendant ces deux-cent vingt ans, un pays comme la Suède eut dix rois - dont un assassiné et un déposé, certes : ils furent cependant tous deux remplacés selon l'ordre de succession - et l'Angleterre eut sept rois et deux reines ; ces deux pays sont aussi démocratiques que le nôtre et on y adopte aujourd'hui autant de lois bonnes ou absurdes qu'ailleurs.)

Ne serais-je pas un anarchiste de droite ?
A dire vrai, je trouve notre bazar assez joyeux. J'aime bien les Rois de France et les traditions qui s'y associent. J'aime aussi l'ordre, mais je me méfie pas mal de ceux qui le font régner. Ce qui pourrait être une définition de l'anarchiste de droite, monstre politique dont d'aucuns prétendent avoir vu, ici et là, de temps à autre, rôder des spécimens. Certains considèrent ces spécimens avec sympathie, d'autres avec amusement, quelques-uns en tremblant de peur et de haine.
Il n'est pas impossible que je sois un représentant de cette race bizarre. Que voulez-vous ? Je serais volontiers royaliste, mais je ne vois personne pour monter sur le trône. Shakespeare a fait dire à Richard III : "Mon royaume pour un cheval !" Je donnerais bien, pour ma part, mon cheval pour avoir un roi mais, hélas, je n'ai même pas de cheval.

2 commentaires:

  1. "J'aime [...] l'ordre, mais je me méfie [...] de ceux qui le font régner."
    Merci pour ce bel aphorisme !

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    1. De rien ! Le côté du manche m'effraie toujours un peu...

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