mercredi 22 mai 2013

Pour honorer une devise

A tout hasard, pour ceux qui me chercheraient l’après-midi du dimanche 26, il est vraisemblable qu’ils puissent me trouver – en cherchant bien – quelque part sur l’un des parcours d’une manifestation que la « bonne presse » juge déjà vaine. Vous l’aurez compris, je vais encore me mêler aux retardataires qui protestent contre une grande et évidente avancée sociétale (la peste soit de ce dernier adjectif). D’autant plus retardataires que la loi permettant ladite avancée a désormais été promulguée. Ah, je ne suis pas raisonnable…
Quelques réserves…
J’ai pourtant quelques réserves à exprimer quant à ces manifestations. Elles sont purement d’ordre esthétique :
Premièrement, j’ai horreur de me mêler à une foule.
Deuxièmement, je trouve tous ces drapeaux bleus et roses un rien… cucul.
Troisièmement, les jolies demoiselles qui ornent la tête de ces cortèges porteront encore, je le parie, des bonnets phrygiens.
Ajoutons à cela les chars et la sono…
… Sur lesquelles je mets mon mouchoir
J’ai retrouvé un curieux écho de la deuxième de mes réserves dimanche 19 en écoutant une émission de France-Culture (les Retours du dimanche). Le bavard de service (M. Nicolas Truong, également journaliste au Monde), nous a expliqué du haut de son magistère que (1) la « manif pour tous » cite Philippe Muray comme source d’inspiration (ah bon ?), (2) elle agite des drapeaux roses ou bleus et promène des chars sonorisés, (3) elle est donc festive et moderne, (4) Philippe Muray aimait à tourner en ridicule tout ce qui est festif et moderne, (5) la « manif pour tous » n’a donc pas à se réclamer de Philippe Muray, qui en eût sans doute ri en des termes peu amènes et (7) la « manif pour tous » est donc quelque chose de futile, incohérent, pas très réfléchi…
Je veux bien, mais pour un peu ce brillant monsieur eût été prêt à nous expliquer pourquoi Philippe Muray aurait approuvé le simulacre de mariage dit pour tous. Que ce modernolâtre de permanence le dimanche soir laisse Muray tranquille et n’aille pas mettre ses grosses pattes dessus en essayant de le récupérer, avec quelle filandreuse maladresse…
Sans invoquer pour ma part Philippe Muray (pas cette fois, en tout cas ; il y aura certainement d’autres occasions de la faire) et malgré les réserves émises plus haut, j’irai donc, une fois de plus, faire le zouave dans la rue dimanche prochain. J’ai d’ailleurs d’excellentes raisons pour cela. En voici un bref inventaire.
Quelques bonnes raisons, de circonstance ou non
Elles se présentent comme elles viennent, mais elles sont numérotées, chers amis ! Vous pourrez vous y reporter sans peine !
1.      J’ai pris goût à inventer des slogans absurdes, incompris de la masse des autres manifestants, comme : « pas, pas du tout, maman non plus ».
2.      Vu la situation actuelle, la cause défendue dans cette manifestation semble perdue ; et je reprends à mon compte ce que me disait il y a peu un ami : j’aime bien les causes perdues.
3.      Sait-on jamais… un miracle ?
5.      Car ces « vainqueurs » sont assez drôles : ils n’ont pour arguments que des insultes ou des amalgames aussi stupides que superficiels, qui sortent tous seuls, comme par un réflexe conditionné.
6.      Je ne veux plus me contenter de geindre à propos de toutes les imbécillités promues par nos chères autorités. Je veux beugler contre elles. Fût-ce en me mêlant à une foule. Même une foule moderne et festive.
7.      Il me plaît de passer outre les injonctions bourgeoises telles que : ça n’a plus aucun sens, cette loi est passée, elle a été votée et promulguée par des autorités somme toute légitimes. Zut.
8.      J’aime à voir dans ces cortèges des jeunes gens qui trempent leur courage, qui s’épaississent le cuir en apprenant à espérer concrètement, dans la défaite comme dans la victoire (toutes proportions gardées) ; et qui découvrent les joies troubles de la raison n° 4 ci-dessus.
9.      Il faut garder à l’esprit – et rappeler aux sectateurs de la bouille mentale contemporaine – qu’il y aura toujours des maux, grands ou petits, à combattre (voilà pour honorer la devise qui embellit cette humble chronique des temps absurdes).
10.  D’ailleurs, nous serons sans doute servis, avec ce gouvernement (enseignement du « genre » dans les écoles, PMA, GPA, euthanasie…).
11.  Il paraît que le parlement vote les lois au nom du peuple et que l’on appelle cela démocratie. Je ne souhaite pas que les lois soufflées par des groupes de pression délirants à des laboratoires d’idées ayant substitué, comme cible de la démagogie du Parti Socialiste, des bourgeois hype et friqués aux ouvriers soit votées, promulguées et appliquées en mon nom.

Si ces quelques raisons vous plaisent… Ou si vous en avez d’autres… En ce qui me concerne, je n’agresserai que le bitume et peut-être quelques pelouses. Avec une certaine rage, mais sans haine. Et en gardant toujours un certain sourire en coin…

samedi 18 mai 2013

Des mots profanés

Il me semble, à la veille de la Pentecôte, qu’une digression sur quelques mots et leur usage ne sera pas inutile.
Aurions-nous des racines chrétiennes ?
Une époque qui nous paraît lointaine, quoiqu'elle soit récente, a vu fleurir l’idée d’une constitution européenne. Ceux qui ont quelque mémoire n’auront pas oublié que certains crurent bon de proposer de faire mention, dans le préambule de ce texte, des racines chrétiennes de l’Europe. Ce qui ne manqua pas de provoquer l’ire de quelques hommes politiques, français pour la plupart : un détail qu’avaient oublié les chrétiens-démocrates allemands, c’est que l’homme politique français est depuis toujours laïc, gratuit et obligatoire. Depuis toujours, c’est-à-dire depuis 1789, année où la nation française, lasse de ne pas exister, décida de naître.
Mais avant, objecteront des esprits tatillons ? Avant ? Rien, puisqu’on vous dit que la nation française n’existait pas. Et, que nos voisins veuillent bien le comprendre une fois pour toutes, si la nation française n’existait pas, aucune autre nation en pouvait exister.
On nomma cela la Révolution française. L’homme, encore étonné de s’être découvert des droits, les consigna dans un texte que nos plus beaux esprits tiennent pour sacré. Et l’homme, toujours lui, sut qu’il était désormais moderne.
Cela étant posé, que faire de nombreux mots que cette libération avait fait tomber en désuétude ? Certains de ces mots avaient leur beauté… L’homme moderne, qui est fondamentalement un bourgeois (dans l’acception que Léon Bloy donna à ce mot), se devait de les rendre utiles. Cela viendrait à temps, il suffisait d’être patient.
C’est du reste fait pour certains mots, qu’il nous semble possible de classer dans au moins trois catégories. Tout à la joie de cette découverte, nommons ces trois catégories (ou, pour parler moderne, baptisons-les !) : récupération magnifique, récupération banale et récupération infamante.
Récupération magnifique
Commençons par la récupération magnifique : c’est elle qui mérite le plus d’enthousiasme.
L’homme moderne s’est fait le groin avec l’art. Son chef-d’œuvre, en France du moins, a consisté à notre avis à embaucher la laitière de Vermeer dans une usine de yaourt. Il était grand temps qu’elle servît à quelque chose ! Désormais, le yaourt a sa noblesse, ce qui n’est pas rien.
Les oripeaux de la religion se devaient eux aussi d’être récupérés.
Considérons par exemple le moyen de magnifier le séjour de quelques cadres d’une entreprise quelconque dans un hôtel confortable où, pendant deux ou trois jours, les méthodes leur permettant d’être plus performants (ou plus proactifs, ou plus ce que vous voudrez) leur seront enseignées. Comment donner à ces séances la hauteur justifiant que les cadres qui y assistent y croient et que les charlatans qui les organisent s’enrichissent[1] ? En donnant un nom qui confère à ce qui le plus souvent se résume à quelques exposés, discussions et pitreries le sérieux, le recueillement et la fécondité requis : séminaire.
C’est peut-être dans le même registre que nous citerons consacrer. Par exemple, nous pourrions dire que les journées du séminaire auquel ont assisté nos valeureux cadres ont été consacrées à l’optimisation de la performance par la synergie de groupe. Ou bien que la première quinzaine d’août, dans le village de Perpète-Chignole, a été consacrée à un festival des théâtres de rue citoyens, subversifs, interactifs et radicaux. Ou encore que M. Un Tel a consacré sa vie à l’étude des champignons souterrains.
Pour rester dans ce registre sublime, sans nul doute cette fois, ajoutons que selon la municipalité de Perpète-Chignole, le festival des théâtres de rue citoyens, subversifs, interactifs et radicaux a été le moment d’une véritable communion entre les villageois, les estivants et les artistes invités au festival. Magnifique.
Récupération banale
La récupération banale est une affaire plus délicate. Elle compte peu d’exemples et mérite que nous en décortiquions les mécanismes. Le seul exemple qui nous ait paru convaincant[2] est : immoler. Au sens propre, on immole une offrande ou – dans certaines religions – une victime. A une divinité ou à une cause. En un mot, immoler signifie : sacrifier. Dans l’occident chrétien, on affirme (on affirmait ?) qu’un sacrifice a été fait une fois pour toutes : celui du Christ. Il n’en va pas de même dans d’autres civilisations.
On fut surpris de voir, en Indochine vers 1960, des moines bouddhistes s’arroser d’essence et s’enflammer pour protester contre la politique du gouvernement vietnamien en matière religieuse. Etait-ce pour protester ? Ou pour prier, à leur manière, pour que fût contrecarrée cette politique ? Quoi qu’il en fût, les journalistes, pour décrire les manières extrêmes de ces moines, écrivirent (et dirent) qu’ils s’étaient immolés par le feu.
Depuis, dès qu’un désespéré – quelqu’un qui n’attend donc plus rien d’aucun geste propiatoire – choisit le feu pour se suicider, une petite voix nous dit à la radio qu’il s’est immolé par le feu[3]
Mais immolé à quoi ? Peu importe au monde moderne : on peut se suicider, mais pas offrir sa vie. On s’immole au néant.
Récupération infamante
La récupération infamante, enfin, sert à recycler quelques mots ou locutions qui ne semblaient pas pouvoir être utilisés dans les catégories précédentes. Car il faut faire feu de tout bois, n’est-ce pas.
Un rendez-vous imposé, rempli de propos solennels et creux ? Une grand-messe, voyons. Où sera répandue la bonne parole. Un discours moralisateur et – partant – hypocrite ? Un sermon, tenu par des curés.
Voilà un feu qui réchauffe peu, certes, mais il n’y a pas de petites économies.
Les rites de l’homme moderne
Résumons-nous en dépeignant l’emploi du temps de l’homme moderne : après avoir consacré sa semaine à l’application de ce qu’il aura appris à l’occasion d’un séminaire, il aura la joie d’aller acheter des yaourts vendus par une laitière qui, s’étant enfin échappée d’un tableau de Vermeer, a trouvé à quoi consacrer son temps. Il fera cela le samedi, en attendant que son hypermarché préféré obtienne enfin l’autorisation d’ouvrir le dimanche ; ce jour pourra alors être consacré aux emplettes. N’en déplaise aux curés de tous bords, dont plus personne n’écoute les sermons.
Cet été, il ira en vacances à Perpète-Chignole. Il prendra pour cela l’autoroute, participant à ce véritable exode (tiens, tiens…) que constituent les déplacements des estivants. Etant doué d’une solide conscience politique, il n’ira plus rôtir dans un de ces pays méditerranéens où tout va si mal que de temps en temps un pauvre homme s’immole par le feu. Arrivé sur place, il pourra communier avec des bateleurs sympas, citoyens et interactifs conviés par M. le maire. Lequel aura précisé que ce festival n’aura rien des grands-messes d’antan. Ils ouvriront dans son esprit un espace de radicalité et de subversion.
Jusque là, il se savait libre. Mais pas à ce point ! Il est reconnaissant à ces artistes et sait, grâce à eux, que si son esprit est libre, ce n’est pas par l’opération du Saint-Esprit !
Après cela, il se trouve encore des gens pour nier les racines chrétiennes de l’Europe ! C’est à n’y rien comprendre.
Seulement, songeons que les racines nourrissent les arbres. Avec le bois de ces arbres, on fit autrefois une croix ; on peut aujourd’hui, pour s’en souvenir, sculpter des crucifix, ou bien les stalles dans le chœur d’une cathédrale. On peut aussi fabriquer à la chaîne des meubles à assembler soi-même ; ou encore allumer un barbecue.
A défaut de mieux, disons que le choix peut relever d’une affaire de goût.
Encore un post-scriptum ??? Lapaque, encore et toujours
Je vous parlais l’autre jour d’Autrement et encore, de Sébastien Lapaque. Cette fois, j’ai commencé ce livre. On y trouve une magnifique réflexion sur le pain dans les pages 141 à 147. Un antidote à la profanation de tout par tout le monde.
Et, puisque c’est demain la Pentecôte, recevez en abondance les dons… du Saint-Esprit !


[1] En termes financiers uniquement. A-t-on jamais vu des charlatans s’enrichir d’une autre manière ?
[2] Tout est si banal désormais que plus personne n’est ému lors de son baptême de l’air…
[3] Aucun autre moyen de se supprimer ne semble appeler ce mot.

mercredi 15 mai 2013

To the happy few

De Mme Fioraso, de Marcel Proust et de quelques autres
La semaine dernière, France-Culture diffusait un débat – que j’ai entendu d’une oreille distraite – sur la proposition de délivrer des cours en anglais dans nos universités. Etaient présents Mme Geneviève Fioraso, ministre de l’enseignement supérieur, un universitaire toulousain qui lui faisait la claque et dont j’ai oublié de nom, et M. Antoine Compagnon, professeur de littérature bien connu pour ses travaux sur Proust, écrivain (je recommande à qui ne l’a pas encore lu La classe de rhéto, récit paru cet hiver chez Gallimard) et opposant résolu à ce projet. Notons que M. Compagnon a fait une partie de ses études secondaires aux Etats-Unis, pays où il a aussi enseigné : ce n’est pas a priori un ennemi de la langue anglaise.
On sait ce qu’une telle proposition a de ridicule : vouloir attirer des étudiants étrangers avec des cours baragouinés dans un anglais pauvre et inintelligible, alors que l’on pourrait proposer dans bien des pays des cours de français, par le biais de je ne sais quel institut culturel… Passons.
Le professeur toulousain a prêché pour sa paroisse : si des étudiants viennent à Toulouse, c’est pour trouver un emploi chez Airbus, où la langue de travail est l’anglais ; donc CQFD, la messe est dite, fermez le ban. On formera de petits technocrates tout juste capables d’ânonner des procédures en pidgin d’entreprise : belle ambition pour l’université !
Quant à Mme Fioraso, rappelons qu’elle a pondu cette petite perle dès le mois de mars : « si nous n’autorisons pas les cours en anglais, nous n’attirerons pas les étudiants de pays émergents comme la Corée du Sud et l’Inde. Et nous nous retrouverons à cinq à discuter de Proust autour d’une table, même si j’aime Proust… »
Personnellement, cette perspective m’enchante. Je vais postuler sans tarder pour faire partie des cinq, en espérant bénéficier de l’érudition de M. Compagnon.
Nous aurons aussi remarqué que Mme Fioraso a pris soin de préciser qu’elle aime Proust. Sans doute histoire de se distinguer de M. Sarkozy et de sa fameuse sortie sur La princesse de Clèves : c’est que l’on reste humaniste, à gauche, même lorsqu’il s’agit de transformer l’université en centres de formation pour singes savants à peu près doués de parole.
Justice pour les Gaulois !
On pourrait signaler à tous ces gens que la langue anglaise, quand il ne s’agit pas d’en faire un outil de communication a minima, peut s’avérer fort difficile. Certains écrivains anglais, et non des moindres, l’ont affirmé : que l’on se reporte à un passage assez savoureux dans A Tourist in Africa d’Evelyn Waugh, où celui-ci raconte (au chapitre 5) une brève visite dans une école professionnelle de ce qui s’appelait alors le Tanganyika (nous sommes en 1958).
Peut-être la difficulté de l’anglais tient-elle à ce que cette langue est fondamentalement une bizarrerie : de l’allemand simplifié, parlé avec l’accent danois et fourré de mots français. Allez vous y retrouver !
Que dire dans ce cas de notre belle langue française ? Du latin abâtardi de francique, jusque dans la prononciation. Tout cela, au départ, à cause d’une regrettable invasion italienne au cours de laquelle des Gaulois furent massacrés et d’autres réduits en esclavage, tandis que notre belle langue gauloise était désormais vouée à l’extinction. Il est temps, comme savent le faire les autoproclamés représentants des Français noirs (je veux parler du CRAN : difficile d’avoir une conception plus raciste de la population que ces gens-là), de réclamer une réparation à l’Italie, une réparation qu’elle nous doit depuis si longtemps, à nous autres, Gaulois, orphelins de notre langue et de notre culture ! J’en appelle solennellement à Mme Taubira et à M. Fabius ! Cela dit, la consonance dangereusement latine de ce dernier nom me laisse dubitatif quant au succès de cette entreprise.
Un post-scriptum à mon Roger Nimier, vite et bien
Je n’ai pas encore lu Autrement et encore, sous-titré contre-journal, de Sébastien Lapaque, paru tout récemment chez Actes Sud. J’en ai cependant parcouru quelques passages, et je recommande aux inconditionnels de Nimier les pages 332 à 339, qui sont très belles. Cette fois, je m’y suis retrouvé. En toute humilité…

samedi 11 mai 2013

La femme aux cent têtes

S'il y a des royalistes parmi mes lecteurs, ils seront tentés de me corriger : voyons, cher ami, vous aurez mal entendu ! La république, c'est la femme sans tête, pas la femme aux cent têtes ! Soit, l'expression est consacrée chez les royalistes (et elle est assez jolie, du reste), mais je ne crois pas que la réalité soit toujours aussi simple. J'ajouterai que la femme aux cent têtes, ce n'est pas mal non plus.
Voyons-y de plus près.

Manifs pour tout
Il y a déjà quelques mois, invité pour de grandes réjouissances dans un pays étranger cher à mon cœur pour des raisons familiales, je fus interrogé par un de mes commensaux à peu près en ces termes : "Il y a beaucoup de manifestations en ce moment en France. Comment se fait-il que, par exemple, au sujet du mariage, des centaines de milliers de personnes puissent descendre dans la rue ?" Précisons que cet aimable commensal ajouta qu'il trouvait cela plutôt admirable (cette remarque est à l'attention des conformistes qui, sur le même sujet, vous serinent toujours qu'à l'étranger on estime que de telles réactions sont excessives et donc ridicules). Comme je l'ai dit, nous étions là pour de grandes réjouissances et le repas était terminé : j'avais donc quelques verres dans le nez, je le confesse. Et je me gardai par conséquent de me lancer dans une longue explication dans laquelle je me fusse vite enlisé ; je me contentai de grommeler quelques "nous sommes ainsi, nous autres Français... quand ça ne nous plaît pas, nous le disons... Gaulois... fortes têtes... même pas peur, nous en avons vu d'autres, etc."
Ouais. Un peu court. J'ai eu le temps de réfléchir depuis et ai souvent entendu dire qu'il était vain, voire dangereux, de s'opposer à une loi qui serait votée (puis qui fut votée) par un parlement légitimement élu et proposée par par un gouvernement et un Président tout aussi légitimement installés. Je veux bien, mais qui me dit que ces institutions sont plus ou moins légitimes que le rassemblement de centaines de milliers (au bas mot) de personnes sur des avenues parisiennes ?

Le pouvoir est-il légitime ?
Voyons sur quoi il repose. Nous sommes depuis 1958 sous un régime connu sous le nom de Cinquième République - certains rêvent en ce moment d'une sixième et sont récemment descendus manifester pour le dire, mus sans doute par une superstition du genre numérologique ; je ne m'étendrai pas, ne tenant pas à laisser penser que les nombres m'obsèdent. La cinquième république, donc, fut instaurée lorsque fut renversée la quatrième, qui avait fini par lasser à peu près tout le monde. Elle résulte donc d'une sorte de coup d'Etat. Pas très légitime, ça.
Quid de la Quatrième République ? Elle naquit du Gouvernement Provisoire de la République Française, instauré en exil par opposition à l'Etat Français. Au départ, il s'agit donc de quelques personnes qui refusèrent l'autorité du maréchal Pétain sur le pays. Toujours pas légitime !
Alors... L'Etat Français, me direz-vous ? Pas plus. Un coup d'Etat, encore un, mené en 1940 sans violence avec la complicité du parlement d'une troisième république moribonde, affolé par nos désastres militaires.
On soupire d'aise. La Troisième République, voilà du solide ! Soixante-dix ans ! Voire : comme l'Etat Français, elle naquit d'une carambouille parlementaire, provoquée cette fois par la déroute de nos armées et la captivité de l'Empereur, en 1870. Faut-il en déduire que c'est Napoléon III et le Second Empire qui étaient légitimes ?
Ici, les républicains seront du même avis que moi : non. Encore un coup d'Etat, plus raide, celui-là. Et mené par Louis-Napoléon Bonaparte, Le Président de la République en personne, en 1851. Alors... La Deuxième République ?
Pas plus (ici, les républicains et moi divergeons à nouveau, et pour de bon, j'en ai peur). Elle résulte d'une série d'émeutes qui renversèrent, en 1848, le Roi des Français...
... Lequel avait profité, dix-huit ans plus tôt, de la panique créée dans l'entourage de Charles X par une autre émeute pour se proclamer roi, sans aucune considération pour l'ordre de succession au trône.
Nous pourrions nous arrêter ici et dire que nous sommes enfin remontés au vrai pouvoir légitime en France. J'avoue avoir quelques sympathies légitimistes, mais ce n'est pas si simple : Louis XVIII avait dû s'y prendre à deux fois, en 1814 et en 1815, pour restaurer la royauté en France, toujours à l'occasion de désastres militaires (décidément, où nous mènent les républiques et les "empires"...).
Passons rapidement sur l'Empire et auparavant le Consulat, rejetons de la Première République, laquelle fut, de 1792 à 1799 (ce fut plus paisible à l'intérieur sous le Consulat), une série de bagarres et de massacres où, de temps en temps, pour paraphraser Joseph de Maistre, "quelques scélérats firent périr quelques scélérats" avant de refaire une constitution à leur goût.
Il nous reste donc la royauté - quoiqu'affaiblie en droit en 1791 et dans les faits dès 1789 - comme seul régime politique légitime en France. Incontesté en tant que tel pendant huit cents ans. Ce ne fut pas toujours rose, mais les querelles - il y en eut, et de rudes - concernant le pouvoir ne pouvaient être que dynastiques : la guerre de cent ans (un long désastre) ne porta pas sur le mode d'élection des conseillers généraux, mais sur qui devait être le Roi de France.
Ceux qui m'auront suivi et qui ont tous leurs doigts peuvent compter : en deux cent vingt ans environ, nous avons eu dix régimes politiques différents, chacun né du renversement plus ou moins violent et rarement légal du précédent, soit une durée moyenne de vingt-deux ans. Nous avons dû y prendre goût et considérer que les institutions en vigueur ne le sont que tant que nous l'acceptons.
(Pendant ces deux-cent vingt ans, un pays comme la Suède eut dix rois - dont un assassiné et un déposé, certes : ils furent cependant tous deux remplacés selon l'ordre de succession - et l'Angleterre eut sept rois et deux reines ; ces deux pays sont aussi démocratiques que le nôtre et on y adopte aujourd'hui autant de lois bonnes ou absurdes qu'ailleurs.)

Ne serais-je pas un anarchiste de droite ?
A dire vrai, je trouve notre bazar assez joyeux. J'aime bien les Rois de France et les traditions qui s'y associent. J'aime aussi l'ordre, mais je me méfie pas mal de ceux qui le font régner. Ce qui pourrait être une définition de l'anarchiste de droite, monstre politique dont d'aucuns prétendent avoir vu, ici et là, de temps à autre, rôder des spécimens. Certains considèrent ces spécimens avec sympathie, d'autres avec amusement, quelques-uns en tremblant de peur et de haine.
Il n'est pas impossible que je sois un représentant de cette race bizarre. Que voulez-vous ? Je serais volontiers royaliste, mais je ne vois personne pour monter sur le trône. Shakespeare a fait dire à Richard III : "Mon royaume pour un cheval !" Je donnerais bien, pour ma part, mon cheval pour avoir un roi mais, hélas, je n'ai même pas de cheval.

mercredi 8 mai 2013

Bloc-notes (et post-scriptum)

Un regret
Il se trouve encore quelques personnes pour nous affirmer, des étincelles dans les yeux, qu'on n'arrête pas la progrès ! Dommage. J'aimerais bien porter plainte de temps en temps.
Qu'on en juge plutôt.

Dans le métro (1)
Une campagne d'affichage pour je ne sais plus quel jus de fruits trafiqué nous montre en ce moment un gros fruit indéterminé et hilare, muni de pieds et de jambes, dans des situations se prêtant à des calembours laborieux. Par exemple cette affiche, vue avant-hier dans le métro, me montrant ledit gros fruit attendant le métro et portant un carton, tel un auto-stoppeur, où on peut lire : "Père Lafraise". A part le fait que j'ai rarement vu quiconque faite de l'auto-stop dans le métro (effet des substances consommées par les publicitaires ?), cette épaisse blague ne m'a pas arraché le moindre sourire. J'ai pensé à ceux qui, parfois, prennent le métro pour aller au cimetière du Père Lachaise, pour un enterrement, par exemple : devoir en plus subir ça... Je n'ai pas eu à endurer cet affront l'an dernier, en me rendant au Père Lachaise pour les obsèques d'un ami. Mais je crois que si cela m'était arrivé, je me serais renseigné pour savoir où aller gifler au complet la bande de publicitaires camés qui ont dû pondre une niaiserie pareille, sans doute après douze ou quinze heures d'une éprouvante séance de brainstorming.

Dans le métro (2)
Toujours dans les mêmes boyaux, j'ai aussi vu une massive campagne pour le premier site de rencontres extra-conjugales pensé par des femmes (sic). En gros, si mon esprit quelque peu lent a compris quelque chose, s'agit-il d'un site internet destiné à trouver des amants aux femmes mariées ? J'ai dans ce cas d'autres propositions, qui devraient connaître quelque succès si on les essayait (soyons de notre temps !) :
  • jetrahismesamis.com : conseils, exercices pratiques et outils pour trahir ses amis en un clic !
  • jabandonnemesenfants.net : idem, mais pour abandonner ses enfants ;
  • jedenoncemesvoisins.fr : tout pour dénoncer ses voisins, avec un large choix de motifs (fraude fiscale, homophobie, xénophobie, résistance, collaboration, etc.) ;
  • jelachemescollegues.org : très utile au boulot, en cas de difficulté ou d'erreur que l'on souhaite faire assumer à un collègue.
En réfléchissant, on doit pouvoir en trouver bien d'autres.

Banalité du mal
J'entends souvent cette expression à la radio en ce moment, à l'occasion de la sortie du film Hanna Arendt, de Margarethe von Trotta. Tout le monde a l'air de trouver révolutionnaire cette expression. Pas moi. Point n'est besoin d'aller chercher jusqu'à Adolf Eichmann pour comprendre que le Diable ne s'orne pas nécessairement des oripeaux de quelque trompeuse splendeur. Il suffit de relire les exemples donnés ci-dessus. Le Diable peut aussi séduire par la médiocirté, la paresse, le confort (matériel ou intellectuel)...

Et enfin, un post-scriptum...
... à ma récente Numérologie : je lis dans le numéro de mai de Causeur (navré, pas de lien : cette fois, c'est sur papier ; demandez-le à votre marchand de journaux, en le menaçant de le faire périr de malemort s'il ne l'a pas), ceci, tiré de la chronique d'Alain Finkielkraut : "Le déluge de comparaisons actuel n'est pas, à mes yeux, le signe d'une recherche de la vérité, mais le signe d'une panique devant la vérité." Pas faux. J'ajouterais bien : le signe de l'ennui, qui nous fait mimer et rêver des événements historiques, tant nous avons le sentiment que cette époque n'a rien de réel ni de grand.

samedi 4 mai 2013

Numérologie

Ne craignez rien. Je ne me suis pas lancé dans ce pan de ce qu'il faut bien nommer la science des ânes. Mais la magie des chiffres a parfois des effets sur certains observateurs qui semblent y croire...

Comptez-vous !
Et puis zut. Non. Je ne compterai rien ni personne. Je commence à avoir soupé, avec toutes les manifestations qui ont eu lieu ces derniers mois, des décomptes "selon les organisateurs" et "selon la police". Bien entendu, pour ce qui est de celles auxquelles j'ai participé, je penche plutôt du côté des organisateurs que de celui de la police. On n'est pas parfait. Et le gouvernement a tant tenu à marteler que nous n'étions qu'une poignée de mémères à colliers et de skinheads, tous nostalgiques, bien sûr, du maréchal Pétain...

2013 nous rappellera-t-il 2013 ?
Cette accusation loufoque de nostalgie et ces rapprochements hâtifs m'amusent assez, en fait. Ils sont dans l'air du temps. Il y a quelques semaines, on pouvait lire en couverture du Point : "Sommes-nous en 1789 ?", en surimpression devant un portrait de sa Normalité en Louis XVI (ce qui est un peu insultant pour ce dernier, si vous voulez mon avis). Plus récemment, le site internet du Figaro proposait un sondage : "mai 2013 sera-t-il un nouveau mai 68 ?". D'aucuns le prédisent déjà, mais tous ne s'accordent pas pour dire si ce mai 68 sera à l'endroit ou à l'envers. Et, à la radio, j'entends de loin en loin : "montée des populismes... extrême-droite décomplexée... crise économique... atmosphère qui rappelle les années 30...". Du reste, peut-être certains ont-ils été pris de fantasmes, le 24 mars 2013, en voyant débouler vers 18 heures sur les Champs-Elysées quelques milliers de manifestants jusque-là bloqués place de l'Etoile : ils auront rêvé  - ou cauchemardé - un nouveau 6 février 1934. Qu'on se rassure, il n'en fut rien. On reste globalement correct, un dimanche des Rameaux.

Magie des chiffres
Pour ma part, je me sens encore jeune, n'étant pas encore né en 1789, ni en 1934, ni même en 1968. Mais je me rappelle qu'en 1986, au temps de la "loi Devaquet", on nous avait déjà servi du 68. 86, 68, après y avoir regardé de près, les plus sagaces des observateurs étaient en mesure de nous l'apprendre, non sans gravité : cela s'écrit avec les mêmes chiffres.
Je ne devrais pas trop me moquer de nos amis les journalistes. Après tout, je les trouve plutôt consciencieux : il faut bien dire ou écrire quelque chose de ce qui se passe, quand on est payé pour le faire. Et puis chercher de tels rapprochements, non seulement ça occupe, mais voilà qui permet aussi de rappeler qu'on a appris l'histoire de France et qu'on en a médité les dures leçons. Bref, qu'on n'est pas un illettré prétentieux, contrairement à ce que certains populistes voudraient nous faire croire. Ce qui serait dangereux.

Propos de popote
Cet étalage de dates tend à me rappeler un livre d'une drôlerie exquise - comme à peu près tout ce que fait Sempé - paru en 1975 et dont l'histoire se déroule en 1972 (année où, enfin, je naquis) : L'ascension sociale de Monsieur Lambert. Au Picard, le bistrot où déjeunent les cadres subalternes de la S.A.M.E.M.U., les discussions politiques vont bon train ; au tout début, on lit :
- (...) 36, on s'en doutait dès 34 !...
- Même en 32 ! (...)
- De même qu'en 36, on voyait 39 gros comme une maison !...
- Et les résultats de 36, eh bien, on les a vus en 40 !...
- Qu'est-ce que vous nous racontez ! 40, c'est à cause de Munich, en 38 !
- De toute façon, 36, eh bien en 37 c'était terminé !...
- C'est bien pour ça qu'il y a eu 38 !
Cela, évidemment, c'est du tout venant, du bavardage pour le petit peuple. Indigne des journalistes sérieux et des élites qui les lisent attentivement. A la fin de l'histoire, M. Lambert, devenu cadre supérieur, fréquentera d'autres mangeoires, où causent des gens plus cultivés ; citons encore :
- (...) Vous ne pouvez pas comparer mai 68 à 36 ! Mai 68 c'était 71. 1871. Tandis que 36 c'était 1848 !
- Et 1792, c'est quoi pour vous ? C'est pas du mai 68 ?
- Oui, mais avec du 1789 que n'avait pas mai 68 !
- Il n'y avait pas de 89 en 68 ? 68 était bourré de 89. Bourré !
Vous avez suivi ? Virtuose, non ? De là à dire qu'il y a du 1972 raconté en 1975 chez les journalistes de 2013, je n'oserais...

Cependant...
Cette semaine, dans le Point, M. Philippe Tesson a glissé ceci dans un éditorial peu amène à l'égard de sa Normalité : "... il a beau gouverner à la manière des présidents du conseil de la IVème république...". M. Tesson a fait là une belle action : les références aux années 50 étaient un peu rares, à mon goût. Et je ne lui donnerai pas tort, d'ailleurs : sa Normalité me fait parfois penser au peronnage du président Melba, dans Perfide, du vénéré Nimier. Décidément...