mardi 30 avril 2013

Roger Nimier, vite et bien

Secouons donc un peu nos pieds, voulez-vous bien, et laissons à sa place, c'est-à-dire par terre (pour paraphraser quelque peu les Epées) l'actualité qui colle à nos semelles. Evoquons plutôt ce que nous aimons, sans raison particulière.
Je veux parler de littérature.

A contre-temps
Décidément, il ne sera (presque) pas question aujourd'hui d'actualité. Car, dans le vacarme commémoratif désormais permanent, c'est en septembre dernier, le 28, que le cinquantième anniversaire de la mort de Roger Nimier (1925-1962) est passé plutôt inaperçu. Saluons cependant la parution à cette occasion d'un numéro des Cahiers de l'Herne, de Roger Nimier, Antoine Blondin, Jacques Laurent et l'esprit Hussard, recueil de contributions variées sous la direction de Pierre-Guillaume de Roux et Philippe Barthelet (aux éditions Pierre-Guillaume de Roux) et, pour les fanatiques, de Roger (Nimier), genre d'exquis scrap-book assemblé avec art par son ami Massin, ancien directeur artistique chez Gallimard (aux éditions rue fromentin).
Et pour n'être, du coup, pas actuel du tout, il est toujours possible de s'instruire dans la riche biographie parue chez Flammarion en 1989, Roger Nimier, Hussard du demi-siècle, de Marc Dambre.

Hussard(s) ?!
La ponctuation ci-dessus est de rigueur et, comme toujours, il faut trancher au plus vite ce noeud plus hongrois que gordien (d'un coup de sabre de cavalerie légère, bien entendu) : pas d'école, pas de mouvement, pas même de bande du nom de Hussards. Pas de chef de file non plus, par conséquent. Nimier, Blondin et Laurent furent, comme chacun devrait le savoir, affublés de ce sobriquet en décembre 1952 par Bernard Frank, dans Grognards et Hussards, article des Temps Modernes rédigé sans doute à la demande de Jean-Paul Sartre afin d'achever une fois pour toute la race indigne et maudite des "écrivais de droite". Un débutant comme Frank devait y suffire ; le maître n'allait quand même pas se déranger pour si peu. L'inventeur du nom fut du reste mal récompensé par ses commanditaires, lesquels le traînèrent l'année suivante dans la boue, à la parution des son premier roman, les Rats. Ce fut Jean Cau qui fit office d'exécuteur, je crois. Mais c'est une autre histoire.
Quoi qu'il en soit, Barbey d'Aurevilly n'avait-il pas écrit que "les plus beaux noms portés parmi les hommes sont les noms donnés par les ennemis" ? Et, après tout, hussard, Nimier l'avait été, au 2ème régiment de ce nom (Noblesse oblige, Chamborand autant), en 1945. Quelques années, donc, avant d'écrire le Hussard bleu.

Pourquoi aimer Nimier
Certes, pour ce que ses romans (et leurs personnages) respirent de dégoût et d'ennui devant un monde qui, après d'horrifiques et engageantes tempêtes, retournera à ses petites affaires ou, pour rester poli, à sa médiocrité. Pour le mélange bien dosé de cruauté et de tendresse, de cynisme et d'exigence, de colère et de fantaisie qu'on y trouve aussi, indissociable de cet ennui.
Mais surtout pour son style. Un style qui donne envie de dire que rien ne manque sans qu'aucun mot ni aucun signe soit de trop, tout en nous surprenant par son agilité et des ruptures ou contrastes de ton qui nous entraînent où Nimier le désire. Ces ruptures et ces contrastes, il me semble, dépassent le seul cadre du ton et traduisent souvent une méfiance pour les grands mots et les grosses fanfares qui ronflent. Qu'on ouvre le Grand d'Espagne ou le Hussard bleu pour apprécier comment on peut exprimer sans enflure la rage du patriotisme déçu : "La France appartenait encore à la famille mais on n'en parlait plus qu'à voix basse" (le Grand d'Espagne) et "je ne faillissais pas à verser quelques larmes émues en entendant invoquer la France éternelle, expression à laquelle il faut substituer dans notre esprit, pour en goûter le sens, des locutions telles que : le Honduras éternel, le Libéria for ever, ou Monaco à la vie, à la mort" (le Hussard bleu).

Que lire de Nimier
Tout, mais dans un ordre choisi. Commencer par les trois premiers romans qu'il publia : les Epées, le Hussard bleu et les Enfants tristes. On y trouvera en abondance tout ce qui le rend admirable. On ajoutera ensuite un Nimier plus léger, moins mûr, avec l'Etrangère, roman écrit à vingt ans et publié seulement six ans après sa mort (précédé en prime d'une préface de Paul Morand). Cela fait, on se jettera dans d'Artagnan amoureux, son dernier roman, écrit après des années de "silence" : une pure fantaisie, l'aisance d'un artiste qui a enfin retrouvé la grâce. Cette vigueur nouvelle était déjà en germe dans les nouvelles recueillies voici un peu plus de vingt ans sous le titre les Indes galandes aux éditions Rivages. Bien sûr, ne pas oublier le Grand d'Espagne ("sept courts essais de politique et de morale..." et exercice d'admiration envers Bernanos), ainsi que son pendant romanesque, Perfide, hénaurme farce où les amateurs d'actualité politique verront que la médiocrité qui nous consterne ces temps-ci n'est pas d'hier (pour ce tableau, l'ambiance se rapproche plus de Marcel Aymé que de Georges Bernanos).
C'est alors seulement que je conseille de lire Histoire d'un amour, le roman décevant après lequel Nimier s'imposa le "silence" (à vingt-huit ans !). Il pourra même être relu, pour y trouver quelques bonheurs d'écriture bien Nimiesques, qui émergent ici et là et feront les délices des amateurs.
Enfin, les inconditionnels et les esprits curieux n'auront aucune excuse s'ils n'ouvrent pas avec voracité les recueils posthumes de ses articles de critique littéraire : l'Elève d'Aristote, Journées de lecture (I et II), les Ecrivains sont-ils bêtes ? . Sans oublier le plus éclectique Variétés.

Une fin tragique ?
Je ne m'étendrai pas sur la mort prématurée de Nimier, dans une voiture puissante, un soir, sur l'autoroute de l'Ouest, aux côtés d'une jeune et jolie romancière, ni du genre de légendes absurdes qu'un bête accident peut faire naître : Antoine Blondin a magnifiquement fait un sort à ce romantisme en toc dans deux textes aussi émouvants qu'il sont drôles, violents, déchirés (un drôle de chevalier et Roger Nimier ne me quitte pas, tous deux réunis en 1982 parmi d'autres écrits dans Ma vie entre des lignes). Non, je pensais plutôt à la grâce retrouvée dans d'Artagnan amoureux : les artistes qui retrouvent enfin la grâce feraient bien d'être prudents ; la mort rôde autour d'eux ; ils semblent plus que jamais exposés à je ne sais quel foudroiement. Je songe aussi, quelques années plus tôt et dans un autre domaine, à Nicolas de Staël.

On réclame un peu de cuir
Ce matériau, en somme, sied au hussard : on pensera aux bottes, au harnais, à la selle (les connaisseurs et les maniaques ajouteront la sabretache) ou même au casque de cavalerie modèle 1935. Mais je préfère penser à une reliure - celle de la Pléiade. Christian Millau, dans son récent Journal d'un mauvais Français, le suggère. Il ne me semble pas que les écrivains du XXème siècle qui s'y trouvent déjà auraient motif à se pincer le nez.
On se demande ce qu'ils attendent, chez Gallimard.

vendredi 26 avril 2013

Toujours en passant

Deux remarques (bienvenues) d'Erik Orsenna
Entendu ce matin, toujours sur France-Culture, un entretien avec Erik Orsenna. Ce dernier, se rappelant le temps de sa mitterrandienne négritude, a mis le doigt sur le problème qu'ont les socialistes, lorsqu'ils sont au pouvoir ou qu'ils s'apprêtent à y accéder : la pensée magique. Pour faire bref, si la réalité rend leur programme impossible, c'est que la réalité est de droite et qu'il faut lui faire ravaler son arrogance. M'est avis que cela ne se limite pas à l'économie... Pour qui veut passer de longues (et passionnantes) heures pour se cultiver à ce sujet, recommandons évidemment le XIXème siècle à travers les âges, de Philippe Muray (cet ouvrage érudit et original se trouve facilement, chez Gallimard, collection "Tel").

Plus tard, Orsenna a dit ce qu'il pensait du projet consistant à donnner dans les universités françaises des cours en anglais pour y attirer les étudiants étrangers : pourquoi ces étudiants iraient-ils écouter des professeurs français parler un anglais inintelligible alors que des cours sont dispensés en anglais correct par des professeurs britanniques ou même américains ? On se le demande, en effet. Et on se demande à quoi pense le ministre (dont j'ai oublié le nom) qui caresse ce brillant projet.

Quoi qu'il en soit, agréable surprise d'entendre qu'il existe encore un peu de liberté et de calme chez des gens de gauche...


A propos du "mur des c..." et autres blagues
Un scandale, vrai ou faux, chasse l'autre : voici donc maintenant le mur des cons, défouloir du Syndicat de la Magistrature. Comme ces gens sont de gauche, on y trouve beaucoup de personnalités de droite, affublées de jolis noms. Bon, pas de quoi se tortiller d'indignation. Il faut bien qu'ils s'amusent un peu, non ? Cependant, vu la tendance qu'ont en ce moment les amis du gouvernement à insulter tout ce qui ne pense pas comme eux, je me demande si ce mur est si drôle. Comme tous ceux qui ont, sur des tons divers, avec plus ou moins de talent, d'inspiration, de délicatesse ou d'irritation, manifesté leurs réserves ou leur franche hostilité à certain projet sociétal (curieux comme on se jette sur un mot aussi laid), se voient accuser de souffrir de phobies variées, ne serons-nous  pas bientôt nombreux à finir enfermés dans quelque cage aux phobes ?


Un curieux rossignol
Mais assez de politique. Acheté, samedi dernier, à la librairie d'un grand magasin parisien, Salut au Kentucky, de Kléber Haedens : plusieurs exemplaires, empilés devant les rayonnages, s'offraient au frôleur de livres que je suis. Pour ceux qui ignorent qui était Haedens, lire Au galop des Hussards, de Christian Millau : ils apprendront entre autres détails que cet écrivain avait le teint mauve. Ce qui n'est pas rien.

Parvenu chez moi, je feuillette le volume et observe d'abord que la typographie est un brin... vieillotte. "Bah, me dis-je ; Grasset écoule ses rossignols". Et me voici en quête de l'achevé d'imprimer : décembre 2012. Tiens... mais quelque chose cloche aussi dans les pages : ... 14, 15, 16, 17, 20, 19, 22, 21... et ainsi jusqu'à la page 319, précédée de la page 320, en bas de laquelle figure le mot "FIN". Ils sont plutôt farceurs, chez Grasset, non ? Notons qu'outre le tournis qui me prendra certainement en lisant ce roman, je me trouve dans l'impossibilité de savoir ce qui est écrit à la page 18. L'essentiel, peut-être ?

mardi 23 avril 2013

Encore de la politique ?!

... Oui, mais seulement quelques notes légères au passage, étant toujours dans les brouillards du rhume :
  • Mme Taubira a paraît-il prédit, à l'occasion du vote du "mariage pour tous", qu'un vent d'allégresse allait souffler sur la France (cité de mémoire). On imagine l'allégresse des métallos d'Arcelor.
  • Toujours à propos du "mariage pour tous" : un militant LGBT, entendu ce soir sur France-Culture, affirme qu'enfin les homosexuels sont des citoyens à part entière. Et les célibataires, alors ? Militons pour le droit au mariage des personnes seules ! Halte à la discrimination célibatophobe ! Et puis, après tout, on n'est plus à une absurdité près.
  • Entendu hier matin (toujours sur France-Culture) : le mouvement de la "manif pour tous" s'essouffle, car il y avait dimanche moins de manifestants à Paris que le 24 mars et le 13 janvier. Comment dire... C'était une manifestation régionale, pas nationale. Et si Mme Frigide Barjot se lave les dents seule le matin, est-ce aussi un signe d'essoufflement de ladite "manif pour tous" ?
  • On nous dit aussi : "vous voyez, la civilisation française ne s'est pas effondrée cet après-midi !" Certes, mais Rome ne s'est pas défaite en un jour...
Quand je vous dis que mon rhume est légèrement incapacitant... Allez plutôt lire un des plus récents articles de Causeur sur le sujet (le "mariage pour tous", pas mon rhume, sujet sans le moindre intérêt).

lundi 22 avril 2013

En rev'nant d'la manif...

 
En bon réactionnaire qui ne comprend rien aux évolutions sociétales, je suis allé faire un tour avec des amis, hier, sur le boulevard des Invalides. Etait-ce le beau temps ? Les arbres en fleurs ou les jeunes manifestantes idem, mais je me suis senti inspiré et ai tenté de lancer deux slogans :
Pas, pas du tout,
Maman non plus !
et
Nous somm's une
Poignée d'individus !
Quelques sourires sont bien apparus, mais mes slogans ont fait un bide. Mon génie demeurera décidément encore méconnu.

Je livrerai bientôt quelques réflexions moins frivoles sur le sujet ; ce sera quand j'aurai soigné un méchant rhume qui m'interdit pour l'instant de développer toute pensée profonde.

samedi 20 avril 2013

Sommes-nous sortis de l’histoire par le kitsch ?

 
Tout est parti d’un verre – ou de plusieurs – pris avec un ami dans un établissement connu pour ses rhums et ses punchs, que nous fréquentons depuis vingt ans. Il y a encore quelques années, ces breuvages, aussi antillais que possible, nous étaient servis par des garçons plus auvergnats que ce qu’autorise la plus solide imagination. L’un d’entre eux, lorsque nous nous étonnâmes, un soir de nos premières années de fréquentation du lieu, de le voir sans sa moustache, nous avoua qu’il l’avait rasée pour l’été, car il ne la portait qu’en hiver : « c’est que ça me tient chaud ! » Aucun des plus serviles imitateurs de l’immense Vialatte n’eût pu l’inventer.
Or, voici quelques années, le propriétaire a changé : les murs sont à peu près les mêmes, les boissons et en-cas demeurent ce qu’ils étaient, mais l’éclairage est différent, nos aimables et bougons Auvergnats en gilet vert ont cédé la place à de jolies filles mal fagotées, dont certaines – a-t-on idée ? – sont même antillaises ! Il faut croire que ces changements ont été opérés pour aller avec le rhum : une boisson détendue et sans façons.
Ne pleurons pas trop cependant sur Saint-Germain des Prés : ce quartier, depuis qu’il existe, n’a jamais cessé de ne plus être ce qu’il avait été. A ce sujet, de doctes vieillards sont formels : c’était foutu dès 1950. 1970, diront de moins vieux. 2000, dirions-nous, si nous étions sentimentaux, pour désigner une époque où nous nous sommes soudain sentis moins jeunes. Mais laissons chaque mort enterrer les siens.
Les touristes, eux, sont ravis. Ils trouvent Saint-Germain authentique et les plus lettrés d’entre eux sont simplement un peu déçus de ne pas voir apparaître Jean-Paul Sartre au coin d’une rue. Cela devrait pouvoir s’arranger : quelques figurants pourraient se relayer, ce qui du reste ferait diminuer le chômage parmi les petits hommes bigleux. Les moins lettrés des touristes en profiteraient, apprenant que Jean-Paul Sartre a existé et quelle était son apparence.
Soyons à nouveau de vieux grincheux, voulez-vous bien… Autrefois, quand nous étions encore vivants (au moyen-âge, pour faire vite), une ville était faite pour y habiter, y travailler, y prier ; chaque bâtiment devait remplir convenablement ses fonctions sans trop offenser l’œil. Ce qui eut pour résultat la construction d’édifices parmi lesquels nous pouvons compter les cathédrales gothiques.
Plus tard, on préféra imiter l’architecture antique. Ou l’idée qu’on s’en faisait. Parce que. L’antique c’est beau. C’est noble. D’ailleurs, c’est antique. Kitsch sublime, qui nous mit déjà un pied dans la tombe.
Bien plus tard encore, de riches désœuvrés inventèrent le voyage d’agrément et le tourisme : on venait dans une ville pour voir. Le second pied prenait son élan pour rejoindre le premier dans la tombe : on n’entrait plus dans une église pour prier ou recevoir les sacrements, mais pour admirer ; les palais, quant à eux, devinrent des musées…
Quand ensuite les touristes devinrent des foules, on s’aperçut de l’importance que cela pouvait avoir pour l’économie. Et l’on dut vendre la beauté des villes. Ainsi que l’ambiance qui y règne. Quitte à la fabriquer. Et à ne laisser à certains édifices qu’une fonction touristique. L’importance du tourisme est telle que l’habitant d’une ville touristique est désormais fermement invité à choisir : touriste lui-même ou attraction. Il doit se réapproprier sa ville.
Kitsch de fabrication : nous sommes morts et nos villes sont des tombeaux.
L’étape suivante consistera à oublier ces tombeaux ; visiter une capitale reviendra à comparer les galeries commerciales et les parcs d’attraction avec ceux de la capitale visitée la veille.